On se perd vainement en conjectures: Il y a un abîme entre Tshisekedi et Kabila

Mardi 12 mai 2015 - 11:34

La démocratie et la dictature sont les deux montagnes qui ne se rencontrent pas. Les deux concepts sont inconciliables. La démocratie peut éventuellement dégénérer en dictature et en anarchie, mais la dictature ne peut jamais évoluer vers la démocratie et l’Etat de droit.

Les partisans de deux concepts sont des adversaires jurés qui ne se font pas de cadeaux, politiquement s’entend. Faute de faire entrer en ligne de compte cette nature des rapports de force, commentateurs et analystes politiques se sont vainement perdus en conjectures sur l’atterrissage samedi 02 mai d’un émissaire de la présidence de la République à la résidence à Kinshasa-Limete du président de l’UDPS, Etienne Tshisekedi, pourtant encore en Belgique depuis plusieurs mois pour des soins de santé. Cet émissaire a déposé un pli scellé à faire suivre au destinataire en Europe par le Secrétaire général de l’UDPS, Bruno Mavungu.

Le pli n’était pas décacheté ni son contenu divulgué. Tout le monde est resté dans le brouillard, s’accommodant d’analyses et de commentaires bizarres, ridicules. Des messages similaires auraient été également déposés au MLC de Jean-Pierre Bemba et à l’UNC de Vital Kamerhe. Mais celui destiné à l’UDPS a volé la vedette aux autres.

Selon des analystes et commentateurs, Joseph Kabila voudrait négocier avec l’opposition pour se ménager une porte de sortie plus ou moins honorable…. Joseph Kabila chercherait à proposer au dialogue avec l’opposition l’idée d’une transition ne dépassant pas 12 mois, avec lui comme chef de l’Etat et un Premier ministre issu de l’opposition etc… Je m’arrête à ces deux cas de figure qui paraissent essentiels.

Néanmoins, tous ceux qui connaissent plus ou moins le leader de l’UDPS, et qui auraient lu attentivement et intelligemment, sans arrière-pensée, sa feuille de route publiée il n’y a pas longtemps, peuvent comprendre facilement que la démarche de la présidence de la République, en quête désespérée de bouée de sauvetage à 19 mois de l’expiration du second et dernier mandat présidentiel, serait tout au moins une manœuvre de diversion, et, à la limite, une mise en scène folklorique, fallacieuse.

Dans sa feuille de route, Etienne Tshisekedi n’entend se prêter à aucun compromis avec tous ceux qui se seraient mouillés dans les tripatouillages électoraux de 2011. Ils sont ipso facto disqualifiés pour prétendre figurer encore parmi les dirigeants des institutions de ce pays.

Kabila jaloux de son pouvoir

Il ne faut pas feindre d’ignorer que le leader de l’UDPS dénie au Président Joseph Kabila toute légitimité et s’estime toujours lui-même vainqueur du scrutin présidentiel du 28 novembre 2011. Il y a pratiquement un abîme entre les deux hommes.

Dans les circonstances actuelles caractérisées par la pourriture dans laquelle patauge le pays sous le règne du PPRD et de la MP, même le MLC de Jean Pierre Bemba et l’UNC de Vital Kamerhe ne seraient pas du tout disposés à flirter avec Joseph Kabila. D’ailleurs, Joseph Kabila et son entourage de flatteurs obséquieux sont tellement jaloux de leur pouvoir qu’ils ne peuvent consentir à le cogérer avec l’opposition pour tout l’or du monde.

Les torts que le pouvoir fait à l’opposition et à la société civile sont énormes et creusent davantage le fossé entre les dirigeants et les forces patriotes politiques et sociales du contre-pouvoir. Tendance à atomiser l’opposition, débauchage de ses éléments, arrestation et détention arbitraires des personnages éminents de l’opposition et de la société civile etc… L’obstination à violer constamment et délibérément la constitution et le recours à des manœuvres déloyales pour s’éterniser au pouvoir sont si frappants et si troublants que l’opposition ne saurait accepter de donner au pouvoir le bon Dieu sans confession.

Aussitôt que la feuille de route de Tshisekedi a été rendue publique, des politiciens et des intellectuels obnubilés par des préjugés et la haine se sont mis à casser du sucre sur le dos du leader de l’UDPS, disant pis que pendre de lui. Mais Etienne Tshisekedi, visionnaire et homme de principes, a toujours été compris avec beaucoup de retard. Le dialogue qu’il préconisait dans sa feuille de route n’est plus aujourd’hui une caricature, mais une réalité incontournable dont presque tout le monde embouche la trompette et prétend jouer la carte ouvertement.

Faute d’avoir réussi la révision de la constitution pour permettre au Président Joseph Kabila de briguer un 3ème mandat, et en dépit de toutes sortes de manœuvres subséquentes mises en œuvre dont les concertations politiques, la nouvelle loi électorale farcie de complications, le calendrier électoral soi-disant global pratiquement irréaliste et irréalisable, la concrétisation incertaine de la mise en place de 26 nouvelles provinces, on est toujours soucieux de provoquer astucieusement un glissement au de-là de 2016.

Envisager et entreprendre de se rapprocher de façon spectaculaire de l’UDPS d’Etienne Tshisekedi et, subsidiairement, du MLC de Jean Pierre Bembe et de l’UNC de Vital Kamerhe, est un autre procédé machiavélique de chercher à franchir sain et sauf le cap de 2016, une sorte de glissement en douce avec la complicité inexplicable de l’UDPS avec le MLC et l’UNC.

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Crise et gangrène du score de 2011

On donne l’impression que le Président Joseph Kabila est au dessus de la mêlée et qu’il peut s’ériger en arbitre de la crise politique actuelle très aiguë. Or, c’est lui-même qui est la cause principale de la gangrène qui ronge le pays dans toutes ses œuvres vives.

N’est-il pas détenteur d’un pouvoir issu du scrutin controversé et décrié du 28 novembre 2011, dont lui-même a reconnu officiellement des irrégularités au cours d’une rencontre avec la presse ? Cette crise et cette gangrène sont nées justement du score douteux et sujet à caution du scrutin.

Il a aussi reconnu implicitement les déficiences et faiblesses du pouvoir décrites noir sur blanc dans l’Accord-cadre d’Addis-Abeba qu’il avait paraphé en même temps qu’une dizaine de chefs d’Etat africains. Il est la source principale de l’équation parce qu’il n’ose se prononcer clairement pour que l’opposition sache s’il va ou non briguer un 3ème mandat. Les gens sont laissés dans le brouillard.

Dire seulement qu’on va respecter la constitution, qu’on va passer le témoin de manière civilisée, cela est l’usage de la langue de bois qu’il faut prendre pour ce qu’elle vaut, c’est-à-dire sans se faire d’illusions là-dessus.

Manque de délicatesse et d’élégance

L’UDPS qui s’estime victorieuse de l’élection présidentielle du 28 novembre 2011 et se sent frustrée et inconsolable, est viscéralement hostile au pouvoir de Joseph Kabilak, comme le MLC et l’UNC le sont dans une certaine mesure toutes proportions gardées.

Et le pouvoir les considère comme les partis sérieux qui lui donnent du fil à retordre, torpillent ses plans et l’empêchent d’assouvir son ambition de pérenniser son autocratie. En conséquence, les avances de rapprochement que la présidence de la République vient de faire aux leaders de ces partis ne pourraient être accueillies cordialement comme venant d’un partenaire sincère et loyal.

Des combattants et des cadres de ces partis sont persécutés, arrêtés et détenus soit à la prison centrale de Makala sans procès ou à la suite des procès bidon, soit dans des culs-de-basse-fosse.

Le pouvoir a manqué de délicatesse et d’élégance pour charmer et émouvoir les leaders de ces partis avant de frapper à leurs portes. Rien n’aurait été aussi frappant et admirable que le recouvrement inattendu de leur liberté par tous ces combattants et cadres de l’opposition. Conclusion : un abîme entre Tshisekedi et Kabila, des comptes à régler par Bemba et Kamerhe au pouvoir du PPRD et de la MP.

Par Jean N’saka wa N’saka /Journaliste indépendant