Charles Mwando Nsimba. Un nom. Une histoire qui continue à se conjuguer au présent. Qu’il vous reçoive à son bureau officiel du Palais ou à son cabinet privé à la Gombe à un jet de pierre de la place de la Poste, le rituel est invariablement le même. Ponctualité, façon helvétique, protocole impeccable…, bref l’univers Mwando sent de l’ordre. Et lorsque cet homme, du haut de son demi-siècle d’expérience, parle politique, il sait bien de quoi il parle. Lui qui, dans sa longue carrière aura tout vu, tout entendu et donc tout vécu. Lui qui a fait plusieurs fois le tour du pays. Lui qui connaît par le menu le personnel politique congolais d’avant-hier, d’hier et d’aujourd’hui. Doyen des gouverneurs de provinces, vice-premier ministre en charge des questions économiques et monétaires, ministres du développement rural , de l’Intérieur- deux fois , des Travaux publics, des Transports, de la Défense, député …Lorsqu’entre deux interventions à l’occasion du séminaire organisé par son parti, cette personne-ressource s’exprime sur les questions d’actualité, cela vaut de l’or . Calendrier électoral global ? « La CENI peut tenir son calendrier en reportant utilement les élections locales ». Question d’aérer le calendrier. Histoire de réduire aussi le coût des élections. Quid de l’enrôlement des nouveaux majeurs ? Il faudrait justement renvoyer les locales et privilégier cette opération autour de laquelle l’unanimité se dégage, répond le patriarche du Katanga doublé d’icône du Tanganyika. Modalité de désignation des gouverneurs de nouvelles provinces ? « Pas d’autre issue que les élections. C’est ce qui est constitutionnel », souligne l’élu de Moba. Interview .
Les nouvelles provinces sont désormais une réalité. Faut-il élire ou désigner les gouverneurs en attendant les élections provinciales ?
En ce qui concerne l’installation des nouvelles provinces, la loi de programmation énonce la mise sur pied des commissions qui avaient 30 jours pour terminer leur travail… Il y a eu du retard. Il n’en demeure pas moins que ces commissions ayant déposé leurs rapports auprès des assemblées provinciales grand format, ce dépôt des rapports constituait par le fait même le démembrement, l’éclatement des provinces. Et les assemblées en prenaient acte. Et la loi s’arrête là. Par ailleurs, avec le démembrement ainsi opéré, la loi précise à l’article 9 que les assemblées des nouvelles provinces se réunissent de plein droit en session extraordinaire. Il convient de souligner que la loi électorale répartissant les sièges pour les députés provinciaux tenait déjà compte des nouvelles provinces. Donc, ces députés- là étaient élus en fonction de l’article 2 de la Constitution.
Mais, un élément important qui intervient dans cette loi de programmation, c’est qu’elle considère ces nouveaux députés comme si c’étaient des nouveaux élus. En effet, cette loi dit : installation des bureaux provisoires, validation des mandats, élaboration du Règlement intérieur, élection d’un bureau définitif.
Mais au point 2, après l’installation du bureau provisoire, il y a un point important qu’il faut souligner, la validation des pouvoirs. Cette loi contourne le fait que le mandat de ces députés- là avait déjà expiré. On confère à ces anciens députés une nouvelle légitimité par cette validation qui leur donne ainsi le pouvoir de procéder à l’élection du gouverneur et du vice-gouverneur. Nous sommes donc enfermés dans cette loi. Sortir de la loi pour nommer un fonctionnaire équivaudrait à sortir de la légalité.
L’article 6 alinéa 2 dispose que la Commission est dirigée par un haut fonctionnaire de l’Etat. Ce fonctionnaire-là, jusqu’à l’élection du gouverneur, gérerait les affaires courantes de cette province. Or, ce n’est pas le cas. Toute autre démarche violerait malheureusement la Constitution qui fixe les organes des provinces, à savoir l’assemblée et le gouvernement provincial. Voilà pourquoi, aujourd’hui, il est difficile de trouver des voies de sortie. Le ministère de l’Intérieur risquerait de tomber dans l’illégalité, ce qui nous mettrait mal à l’aise. Je parle sur base des textes existants.
Donc, au stade actuel, aucune autre issue, en dehors d’aller jusqu’au bout de la logique. La seule solution légale, c’est d’aller jusqu’au bout, à savoir procéder aux élections de gouverneurs de provinces.
A propos de ces nouvelles provinces, quelle solution préconiseriez-vous pour que cette expérience réussisse ? Ce, compte tenu des difficultés réelles liées, pour l’essentiel, au manque d’infrastructures et de ressources dans la majorité de provinces issues du démembrement.
Je crois que ce sont des situations qui auraient dû être examinées en amont. Ça aurait dû être le rôle de ces commissions-là. Aujourd’hui, on ne peut pas dire du jour au lendemain, une province sans infrastructures peut être créée tout de suite. Parce qu’ici, quand on lit cette loi, on parle même de la programmation de budget de 5 ans pour les investissements. Mais, au stade actuel, c’est plus la volonté politique qui a fait qu’on puisse mettre en place les nouvelles provinces. Au motif que finalement, tout compte fait, ’il fallait installer ces nouvelles provinces telle que prévue par la Constitution en minimisant l’aspect infrastructures. Maintenant, les assemblées siègent dans des écoles ou on déloge des fonctionnaires. Je ne peux pas préconiser de solution immédiate. C’est le Gouvernement central qui, par le truchement des rétrocessions à consentir à chaque province, va faire en sorte qu’on puisse trouver les moyens. Il y a la loi sur la péréquation, elle nécessite qu’on identifie d’abord les provinces qui produisent. On ne peut pas dire au stade actuel que même les provinces apparemment riches ne vont pas avoir des besoins immédiats pour améliorer l’intérieur de leurs provinces…
Par exemple le Lualaba, le gouvernement qui sera là-bas aura besoin en premier lieu aussi de commencer par réhabiliter les infrastructures de sa juridiction par exemple à Dilolo. Car, c’est ça la mission essentielle de la création de nouvelles provinces, c’est rapprocher le gouvernant de l’administré. Et en même temps créer une dynamique de développement à la base. L’autre difficulté qu’il y aura, c’est le Gouvernement central lui-même qui doit fonctionner. Jusque là, le Gouvernement central a fonctionné en ne rétrocédant pas toujours ce qui était dû aux provinces. Et à fortiori maintenant il y aura ce problème. Mais pour me répéter, le démembrement des provinces procède d’une volonté politique. Le reste, le Gouvernement prendra ses responsabilités pour trouver les voies et moyens afin de les faire fonctionner.
C’est pourquoi, nous qui avons soutenu qu’il ne fallait pas installer ces nouvelles provinces maintenant, qu’il fallait procéder d’abord par des élections provinciales. Faire les élections provinciales qui allaient en même temps conférer la légitimité. Parce que les députés provinciaux doivent être élus au suffrage direct. En ce moment -là, on installait les institutions. Ca aurait évité le coût exorbitant. Parce qu’aujourd’hui, quand on parle à la fois de l’installation de nouvelles provinces, en même temps d’élections locales, c’est constitutionnel, la machine est enclenchée. On installe les nouvelles provinces maintenant et on élit les gouverneurs donc au mois d’octobre. Après, au même mois d’octobre si la CENI respectait son calendrier, on élit d’autres députés provinciaux, on recommence l’élection de gouverneurs, l’installation de nouveaux gouvernements provinciaux, voyez le coût uniquement de cette opération là. Et en même temps, on organise les locales avec tout ce qui s’en suit comme coût. Donc si, en ce qui me concerne, on devait évaluer les coûts rien que pour les installations, aujourd’hui on ne s’en rend pas encore compte parce que les gouvernements provinciaux ne sont pas encore installés. Rien que pour les 3 mois durant lesquels ils vont fonctionner, il faut des frais de fonctionnement. Maintenant ajouter à cela les élections locales, vous élisez, ça a un coût. Et puis les élus locaux eux-mêmes, il y a un coût parce que ces institutions-là doivent fonctionner avec leurs organes aussi : conseillers urbains, des chefferies, conseillers de secteurs... Ces conseillers là, il faut les payer. Nous sommes dans une machine qui risque de nous amener à un danger. Voilà pourquoi, nous estimions que de bonne foi, je continue à soutenir ça. A savoir, n’alourdissons pas trop les charges.
Il faut considérer que les locales deviennent une charge telle que, en tant que responsable, même si on prétend que c’est la base qui réclame. De quelle base parle-t-on ? Moi je suis de l’intérieur. J’y ai été dernièrement, la base dit c’est quoi, ça va se passer comment, le chef dans tout ça c’est quoi etc. Ce n’est pas cette base là qui attend, c’est nous qui disons qu’il faut installer. C’est toujours nous qui pouvons dire pour le moment nous suspendons, nous reportons ces élections là. Ça je tenais à le souligner.
Pour le moment, on ne peut pas sortir de là, à moins que le ministère de l’Intérieur, puisque nous apprenons que les assemblées provinciales seraient invitées ici pour une rencontre au niveau du ministère de l’Intérieur. Aujourd’hui au niveau du pouvoir, du gouvernement central, nous en sommes à l’application stricte de la loi, à moins de trouver d’autres formules ou imaginer d’autres lois mais qui ne violent pas la Constitution.
On observe, au niveau de la MP, une pluralité de candidatures pour ce qui est des élections des gouverneurs de provinces. Est-ce qu’in fine, la MP va donner une liste de candidats qui seront soutenus officiellement par elle, ou vous irez en ordre dispersé et auquel cas vous ne craignez pas des déchirements ?
Non. Je ne sais pas s’il faut parler d’aller en ordre dispersé. Il faut qu’à un moment donné, la machine démocratique joue à l’intérieur, c’est ce qui aura manqué chaque fois. Il faut qu’on puisse considérer quels sont les partis politiques qui, dans tels espaces, ont pignon sur rue. Parce qu’aujourd’hui, nous en sommes encore au stade de considérer le poids politique. Mais, le poids politique des élus provinciaux, ce sont les élus provinciaux de 2006 ! Si vous comptabilisez ces élus provinciaux comme constituant le poids politique, je crois qu’on est en dehors. Sur ce point là, je crois qu’au niveau de la MP, on est encore au stade de l’examen des critères. Et selon les critères qui vont être préconisés, on va trouver le consensus nécessaire pour maintenir la cohésion. C’est un consensus qui tienne compte de la nécessité de la cohésion. Il peut y avoir autant de candidats, mais je crois que les responsables de la famille MP ou du bureau politique trouveront les mécanismes appropriés. Je vous donne un cas bien précis, l’élection du gouverneur du Kasaï Occidental, de l’Opposition. Et moi je suis bien placé pour le dire parce que j’avais un candidat en ce moment là qui était sur le point de passer. Il s’est fait que pour des considérations d’ordre purement politique, je m’en souviens j’étais à Kampala, il m’avait été demandé (c’était Koyagialo en ce moment- là) de retirer mon candidat. Mais, je crois que cette fois-ci, il faut ce genre d’imposition, il faut convaincre que voilà ce profil là, c’est celui qui convient dans tel espace. Parce que pour cette partie, ce parti là pour le moment y est réellement implanté. Et qu’on n’aille pas dire que ce parti là n’a que zéro élu. Sinon, on se déconnecte de la base. Mais, je crois que pour le moment, nous en sommes à l’élaboration des critères. Certes, on a commencé à collecter les candidatures, mais nous n’avons pas encore débattu de ça. Je donne sommairement la situation. Mais, le souci c’est la cohésion, bien sûr en tenant compte d’une démarche démocratique.
Pensez-vous que dans les circonstances actuelles, la CENI peut tenir son calendrier ?
Dans les circonstances actuelles, la CENI peut tenir son calendrier si seulement on reportait les locales. La CENI est consciente, elle a cherché un mécanisme pour réaménager son calendrier, d’autant plus que je suis de ceux qui pensent qu’avant les élections, dès lors que l’unanimité de la classe politique est constatée autour des nouveaux majeurs pour les faire participer à ces élections, pour leur enrôlement, moi j’aurai pensé que en reportant les locales, on aurait pu encourager la CENI dès ce mois à traiter de ces opérations d’enrôlement puisque ça ne nuit en rien l’élection de gouverneurs. Parce que l’élection des gouverneurs, c’est envoyer les délégués de la CENI pendant un jour etc. mais en même temps observer la campagne. Ca ne gêne pas l’enrôlement puisqu’il y a des agents de la CENI qui sont sur le terrain. C’est là où je crois effectivement que la difficulté de l’organisation des provinciales au mois d’octobre risque de se poser. Si on intégrait le volet enrôlement des nouveaux majeurs, il faut quand même compter un minimum, je ne sais pas si en trois mois on peut le faire, mais je penserais que jusqu’à décembre on serait en train de mettre au point le fichier électoral à cause de cet enrôlement. Donc la CENI, si on veut aérer le calendrier électoral, il faut enlever les locales et les remplacer par l’enrôlement de nouveaux majeurs. A cette condition, le réaménagement du calendrier est possible. L’année 2016 serait alors électorale. Au premier semestre, on ferait les élections provinciales avec ce qui s’en suit et au second, on pourrait avoir les autres élections prévues par la Constitution en décembre 2016, les législatives et la présidentielle. On serait quand même encore dans le délai.
Concernant le calendrier électoral global de la Ceni, vous l’avez quelque peu déjà abordé dans votre réponse à la question précédente, mais nous y revenons quand même pour plus de précisions. A ce jour, ces prévisions vous paraissent-elles réalisables, pour ne pas dire réalistes ?
En définitive, la CENI agit selon les options politiques. On a dit il faut démembrer et nous revenons à cette question. Dans un premier temps, vous savez qu’il y a un calendrier du ministère de l’Intérieur. Et, on s’est vite rendu compte pour se ressaisir qu’en fait, on était en dehors de la loi. Et, la CENI qui possède les éléments légaux, c’est-à-dire le contenu de la loi sur ces questions, a projeté le calendrier selon le contenu de la loi parce qu’on avait escamoté certains éléments de la loi, en l’occurrence la campagne électorale, la présentation c’est-à-dire l’entérinement des candidatures par la Cour d’appel ou la Cour constitutionnelle…tout ça avait été omis parce qu’on voulait aller vite. Aujourd’hui, le calendrier est là. Dire qu’il est irréaliste, moi je ne le dirai pas. Je dis il faut que maintenant, le politique lève les options. Qu’est-ce que vous voulez exactement ? Vous parlez du dialogue mais vous ne le tenez pas. Organisez votre dialogue, dites ce que voulez…c’est alors que la CENI pourra en définitive agir selon les options qui seront levées par ce dialogue si jamais il a lieu. Et, s’il n’avait pas lieu ? Je crois qu’aujourd’hui, il faut éviter que Mwando dise " voilà, aujourd’hui c’est comme ça…même quand nous ne nous sommes pas réunis au niveau du Bureau politique ". Non, on doit d’abord se réunir. Et, les institutions officielles telles que le Gouvernement, l’Assemblée nationale…on ne peut pas affirmer chaque jour, au nom du pouvoir qu’on a dit ceci ou cela. Non ! On n’entend pas le Conseil des ministres, ca c’est ma préoccupation…on ne peut pas prendre tout un peuple en otage en essayant de lui faire croire que c’est ça l’option. Dites-nous quelles sont les options réelles ? Il faut que quand le Bureau politique se réunit, qu’il y ait officiellement une déclaration du Bureau politique pour dire voici les options. Donc, je vous dis purement que nous pensons que la Ceni doit s’adapter aux options. Pour le moment, nous en sommes à l’élection des Gouverneurs. Il faut y aller et il faut trouver les voies et moyens pour que la loi soit appliquée et qu’on ne s’écarte pas des dispositions constitutionnelles.
Vous êtes donc de ceux qui pensent qu’il faut organiser les élections de la base au sommet ? Parce qu’il y a une autre opinion qui estime que l’on peut privilégier les législatives et la présidentielle…
Je crois que considérer qu’il faut mettre les provinciales après, ça veut dire nous renforçons encore la thèse de l’illégitimité des députés provinciaux et des sénateurs. Je crois qu’à mon avis, je voudrais quand même qu’on fasse ces provinciales et qu’on fasse les législatives et présidentielle comme prévu. Effectivement, de plus en plus avec ce problème de moyens dont on parle, il fallait intégrer tout ça dès le départ. Il y a là effectivement, sauf pour la thèse, extrême, selon laquelle, il faut que l’on fasse les trois en même temps, c’est-à-dire provinciales, législatives et présidentielle. C’est une thèse aussi qui peut se défendre. Du moment qu’on est dans la fourchette constitutionnelle… L’essentiel c’est de rester dans la fourchette du délai constitutionnel.
Il faut trouver des voies et moyens pour respecter la Constitution. Mais, entretemps, 2016 approche à grand pas. Qu’en dites-vous ?
2016 c’est proche ! Et qu’est-ce qui ne l’est pas ? Pourquoi vous dites que 2016 c’est proche ? J’ai parlé tout à l’heure des options à lever. 2016, nous avons encore une année devant nous. Si vous aérez le calendrier de la CENI, parce qu’il y a un autre élément qu’on ne sait pas encore gérer de manière claire jusque-là : l’enrôlement de nouveaux majeurs. Est-ce avant ou après ? Si c’est avant, il faut le dire. Et, si on le dit maintenant, donc la CENI est obligée de revoir son calendrier. Quoi qu’il en soit, nous sommes coincés par la Constitution qui, à un moment donné, nous dira " stop ! " Vous devez me donner votre nouveau président, vous devez me donner votre nouveau Parlement. Voila où on est coincé. Mais, par rapport à tout cela, je crois que si tout est bien articulé, on peut y arriver.
Une question sur le parti. Est-ce que vous pensez que maintenant l’Unadef va mieux qu’avant la restructuration ?
En tout cas pour le moment, sans fausse modestie, l’UNADEF est devenue une force avec laquelle il faut compter… Nous n’avons pas l’ambition de nous présenter partout. Quoi que nous soyons implantés sur tout le territoire national. Nous avons ciblé les circonscriptions où nous sommes fortement présents. Enfin, nous y arriverons. Propos receuillis par José NAWEJ et Laurel KANKOLE