Après les dragons asiatiques, l'heure des lions africains aurait enfin sonné. La démocratisation en Afrique avancerait à grands pas. La preuve : une trentaine de pays sur 54 doivent organiser d'ici à la fin 2016 des élections, présidentielle, législatives ou autres. Pourtant cette vision semble bien superficielle. Car l'Afrique reste un continent fragile. Les institutions de nombre de pays sont menacées par des groupes terroristes comme Boko Haram au Nigeria, les Shebabs en Somalie, Al Qaida au Maghreb, ou encore des rébellions comme en République centrafricaine ou encore en République démocratique du Congo. Sans parler des conséquences des épidémies comme celle d'Ebola, loin d'être éradiquée.
Certes le nombre de conflits tend à diminuer. Mais des rebelles ont aujourd'hui accès à des armements lourds dont une grosse partie dans le Nord proviennent directement de Libye. De plus l'Afrique - du moins certains pays - est toujours soumise à ses vieux démons : nombre de dirigeants s'accrochent au pouvoir. Ce qui participe aussi à un autre phénomène : celui de la corruption et des inégalités. « La croissance économique ne profite qu'à une minorité tout en faisant flamber le coût de la vie pour tous », écrit Sylvie Brunel, professeur à Paris Sorbonne, dans un ouvrage récent : « L'Afrique est-elle si bien partie ? ». Pourtant sur ce continent de tous les paradoxes, la classe moyenne est en plein essor. D'après la Banque africaine de développement (BAD), un Africain sur trois appartient à la classe moyenne, soit 370 millions de personnes sur 1,1 milliard d'habitants, d'après les standards africains avec des revenus commençant à 2,2 dollars par jour.
Certes il n'y a pas de commune mesure entre les 54 pays du continent. Mais il existe de grandes tendances. Aujourd'hui comparée à une Europe à la croissance poussive, un Japon qui peine à sortir de sa déflation, une Chine en plein ralentissement, l'Afrique demeure le continent de l'espoir sur le front économique. L'Afrique « devrait poursuivre sur la lancée de ces vingt dernières années, marquées par une croissance ininterrompue », affirmait récemment Francisco Ferreira, économiste à la Banque mondiale. La croissance du continent devrait s'accélérer en 2015 pour se situer globalement aux alentours de 5,2 % après 4,6 % en 2014. Un pays comme la République démocratique du Congo tourne actuellement aux alentours de 9,5 %. Et l'attraction des pays africains pour les investisseurs internationaux - et pas seulement dans les mines comme en RDC ou au Nigeria - est forte. « The Economist » citait récemment le cas de la société exploitant le réseau électrique en Ouganda qui a garanti des rendements de 20 % en dollars par an à ses actionnaires. Mais cet attrait ne peut faire oublier les difficultés politiques propres à l'Afrique.
La plupart des pays africains, comme le soulignait John Mukum Mbaku, un chercheur associé à la Brookings Institution, ont encore du mal à achever leur transition démocratique commencée pour certains depuis la moitié des années 1980. Blaise Compaoré au Burkina Faso, renversé en octobre 2014 pour avoir essayé de modifier la Constitution et de se maintenir au pouvoir qu'il détenait depuis plus d'un quart de siècle, en est certainement la preuve. Une mobilisation populaire est parvenue à le pousser vers la sortie. Mais la transition est néanmoins loin d'être achevée avant la préparation de nouvelles élections législatives et présidentielle prévues en octobre prochain.
Certes il n'y a pas de comparaison avec la République démocratique du Congo. Mais en laissant planer un doute sur ses intentions, Joseph Kabila, qui a succédé à son père, assassiné en 2001, a dû faire face à des manifestations dans la capitale et dans d'autres villes qui ont fait, selon des ONG, une quarantaine de morts. Conséquence vraisemblable de la pression, les élections ont été finalement fixées à novembre 2016 par la commission nationale indépendante. Mais est-ce à dire que tout risque a disparu ? Loin de là. Ni en RD Congo ni ailleurs.
Le Nigeria, le pays le plus peuplé et le plus riche d'Afrique, vient de décider de repousser la date des élections générales du 14 février au 28 mars prochain. Le motif officiel : l'instabilité en raison de la rébellion de Boko Haram. Mais ce report de ces élections qui étaient supposées inaugurer une série de six scrutins en Afrique de l'Ouest pourrait masquer des arrière-pensées. « C'est un mauvais exemple pour une région qui connaît déjà nombre de soulèvements », note le think tank International Crisis Group. Car pour le président sortant Goodluck Jonathan, qui se représente, c'est aussi un moyen d'épuiser financièrement son adversaire, Muhammadu Buhari, aux ressources plus limitées.
Quant au Soudan du Sud, le dernier-né des Etats africains, toujours enfoncé dans la guerre et dans une crise humanitaire sans précédent, les élections ont été reportées sine die à 2017. Ce qui donne encore un sursis de deux ans au président sortant, Salva Kiir. Mais quelque chose est en train de changer. En Côte d'Ivoire, Laurent Gbagbo, pour avoir tenté de contester le résultat de l'élection de 2010, qui donnait son rival Alassane Ouattara vainqueur, a été chassé du pouvoir avec l'aide de l'armée française. Depuis il attend en prison à La Haye son procès devant la Cour pénale internationale. De quoi faire méditer.
Le paradoxe néanmoins : Robert Mugabe, président du Zimbabwe depuis 1987 (après avoir été Premier ministre de 1980 à 1987), qui a contribué à la ruine de son pays, vient d'être élu président de l'Union africaine, à quatre-vingt-onze ans. Loin de l'image de l'Afrique du Sud de Nelson Mandela.
Jacques Hubert-Rodier