Se targuant d’une souveraineté chatouilleuse
Quelles pourraient être les conséquences d’une épreuve de force engagée entre Kinshasa et la nébuleuse communauté internationale, dont les tireurs de ficelles sont les Occidentaux maîtres du monde? Au pis aller, laquelle des deux parties pourrait en faire les frais? Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse.
Il serait très périlleux d’oser se mesurer à ces puissances du monde. Ce ne serait pas en tout cas un combat à armes égales, mais la lutte du pot de terre contre le pot de fer. Qui s’y frotte s’y pique. Toutes ces questions liminaires ne sont pas posées fortuitement.
Elles procèdent de la teneur et du ton du discours solennel du Président Joseph Kabila sur l’état de la Nation, prononcé le lundi 15 décembre devant le congrès, et coïncidant avec la clôture de la session parlementaire. Ce discours a fait grand bruit dans l’opinion nationale autant qu’à l’extérieur.
Sans mâcher ses mots, avec une assurance et un flegme stupéfiants pour les auditeurs présents dans la salle ou les téléspectateurs scotchés devait la télé au salon et au bureau, le chef de l’Etat congolais s’est avisé de dire ses quatre vérités à la communauté internationale, dont des plénipotentiaires s’auto-invitent dans les affaire la politique interne de la RDC.
Tout au moins en les laissant libres d’émettre leurs avis, conseils et suggestions, il a souligné qu’il n’avait pas d’injonctions à recevoir de leur part, son pays étant indépendant et souverain.
Il est sous-entendu qu’il s’agit de la pression incessamment exercée sur lui par Washington, Paris, New York et Bruxelles (Union Européenne) pour l’empêcher de réviser la Constitution, pour ne pas se représenter à l’expiration de son mandat en cours, pour respecter l’échéance électorale de 2016.
Se targuant d’une souveraineté chatouilleuse, l’establishment de Kinshasa tente astucieusement un glissement au delà de 2016, à en croire le chef de l’Etat qui fait fond sur Malu-Malu de la CENI contesté et sur l’ONIP (office national de l’identification de la population) de fraiche création, tout aussi décrié et jugé superfétatoire.
Tardant encore à être opérationnel et ses animateurs se montrant peu pressés, l’ONIP est perçu par les observateurs politiques et diplomatiques comme une astuce devant servir à la production automatique d’un glissement au delà de 2016. Les opérations de dénombrement de la population par l’ONIP peuvent durer trois à quatre ans (3 à 4) pour un pays aussi_vaste_et_dépourvu de moyens de communication appropriés.
Flou artistique
L’établissement du calendrier électoral global exigé par la communauté internationale et la classe politique ainsi que la société civile, dépendra naturellement des résultats des opérations de l’ONIP.
Le gouvernement, le chef de l’Etat, l’Assemblée nationale, la CENI et l’ONIP sont tous de mèche et s’entendent comme larrons en foire autour de cette cabale de glissement de l’échéance au delà de 2016.
Et la communauté internationale s’est entendue dire: bas les pattes! Le discours du lundi 15 décembre a été délibérément teinté d’un flou artistique bien dosé. On n’a pas entendu Joseph Kabila dévoiler clairement sa positon sur la révision ou non de la Constitution, sur sa représentation ou non à l’issue du mandat en cours, sur la fortune exacte de l’échéance de 2016.
Il s’est soigneusement cantonné dans la langue de bois. Au lieu d’être apaisés et rassurés, les esprits sont restés tenaillés encore! Néanmoins, il faut déduire de ce flou artistique pour percer ce qu’il doit y avoir réellement dans les hautes sphères officielles.
L’embrouillamini est sciemment conçu et systématiquement organisé pour déboucher sur le cas de force majeure en décembre 2016, d’où la remise du compteur à zéro serait mise à profit pour le maintien de Joseph Kabila tant qu’un nouveau Président de la République ne serait pas élu.
Les dirigeants à Kinshasa sont eux-mêmes parfaitement conscients que la tenue des élections présidentielle et législatives en 2016 est une gageure. Ils ont inexcusablement failli à leur devoir pour préparer convenablement l’organisation des élections. Ils se réveillent en sursaut trop tard et se voient dépassés par les événements.
Les princes de la terre à qui nos dirigeants congolais refusent de leur donner des injonctions ne sont pas des intrus. Ils se considèrent comme de vrais propriétaires des arcanes alchimiques du score électoral de 2006 et de celui de 2011 en RDC. Ils savent qu’ils tiennent dans leur main les fils de la situation en RDC.
Rien ne leur échappe. Tous les autocrates africains » présidents à vie » sont des filleuls de leurs officines qu’ils ont catapultés au pouvoir à titre d’intendants soumis et serviles des intérêts impérialistes dans leurs propres pays.
C’est pour cela qu’ils ne sont pas du tout gênés de les sermonner, de les rappeler à l’ordre, de leur donner des injonctions s’ils les voient commencer à devenir têtus, insubordonnés, incontrôlés, soucieux de s’éterniser au pouvoir et hostiles à l’alternance démocratique, violer les droits de l’homme; persécuter les opposants, réprimer la population etc.
La réplique dé Kobler
Ces » présidents à vie » en Afrique n’ignorent pas qu’ils sont arrivés au pouvoir avec le concours discret des Occidentaux comme leurs parrains, moyennant des élections de la vérité des urnes. Nul ne peut leur tenir tête -S’ils scellent son sort.
En RDC, nous avons encore souvenance des conditions de suspicion et sous un climat lourd de tension et de morosité quand Malu Malu avait publié le score de la présidentielle de 2006, » et Ngoy Mulunda celui de la présidentielle de 2011.
Nous n’ignorons pas le rôle joué par le Belge Louis Michel et l’Italien Aldo Adjello, en 2006. Il nous souvient toujours de la besogne abattue par des experts de l’Union européenne et de l’ONU discrètement en 2011.
Se prévalant d’une souveraineté ombrageuse, le Président Joseph Kabila a demandé d’envisager la réduction des Casques bleus de la Monusco et leur départ progressif de la RDC. A peine le message balancé par Kinshasa, la réaction de l’ONU n’a pas été lente à venir par le truchement de Martin Kobler.
Le représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU en RDC et patron de la Monusco a déclaré mercredi dernier au cours du point de presse hebdomadaire habituel que la question des Casques bleus de la Monusco relevait de la compétence du Conseil de sécurité et on ne devrait pas les réduire ou les évacuer et laisser un pays aussi fragile que la RDC.
Il a tenu ces propos visiblement sur un ton très sec, sans complaisance, sans prendre des gants, loin de s’embarrasser le moins du monde d’une sacro-sainte souveraineté mise en avant par le Président Joseph Kabila. La réplique prompte et dure de Martin Kobler montre que les dirigeants africains et leurs pays, anciennes possessions coloniales, sont toujours à la merci des puissances occidentales qui ont le droit de regard sur eux.
Les Casques bleus de la Monusco sont en RDC et y demeureront aussi longtemps que le Conseil de sécurité n’en aura pas décidé autrement. Le moment est très mal choisi, pour Kinshasa, de s’estimer capable de croiser le fer avec la Communauté internationale.
On est en panne de la cohésion nationale; l’autorité de l’Etat est mise à mal au Kivu et au Katanga par des groupes rebelles ; le climat politique et social de plus en plus néfaste; des remous de grogne par-ci par par-là, même au sein de la plateforme au pouvoir; refroidissement des rapports entre la RDC et ses partenaires occidentaux et certains de ses voisins africains; l’équation de l’échéance de 2016 que le discours du lundi 15 décembre devant le congrès a compliquée davantage etc.. L’establishment est pratiquement sur le fil du rasoir.
Par Jean N’Saka wa N’Saka/Journaliste indépendant)