Un grand commis de l’Etat vient de tirer sa révérence après tant de services éminents rendus à la République Démocratique du Congo dans le cadre de la territoriale, dont il était l’une des figures les plus marquantes. Ce serviteur infatigable de la chose publique rejoint les ancêtres dans l’autre monde avec un vif regret : celui de n’avoir pu mettre en œuvre l’ambitieux programme de reconstruction de sa chère province de l’Equateur.
Il s’était battu avec acharnement pour obtenir de grands électeurs de l’Assemblée provinciale la responsabilité de gouverner sa province d’origine. Il s’était lancé dans cette bataille non pas pour satisfaire ses ambitions personnelles, mais principalement pour offrir à l’Equateur sa riche expérience d’homme de terrain accumulée pendant sa longue itinérance aux quatre coins de la RDC.
En effet, partout où il était appelé à accomplir sa mission de serviteur de l’Etat, Alphonse-Louis Koyagialo s’était systématiquement comporté comme un natif de sa juridiction, avec le seul souci de donner le meilleur de lui-même dans l’intérêt exclusif de ses administrés. Lesquels ont toujours tenu à lui manifester une pleine reconnaissance pour l’œuvre accomplie au milieu d’eux.
A cet égard, l’exemple le plus frappant a été celui des populations du Katanga, au service desquelles Koyagialo avait œuvré comme gouverneur de province. Sa force de travail, son intégrité morale, sa capacité d’écoute à l’égard de tout le monde et son ouverture d’esprit avaient suscité auprès de ces dernières, au-delà de l’admiration, un profond sentiment de fierté d’être gouvernées par un tel personnage. D’ailleurs, le gouverneur Koyagialo était tellement dévoué pour ses administrés que peu de Katangais connaissaient ses origines ngbandi. Quoi qu’il en soit, celles-ci passaient aux yeux des Katangais comme tout à fait secondaires compte tenu de la bonne gestion de la province par Koyagialo.
Puis était venue l’affaire de l’opération « lititi mboka » qui aurait abouti au « massacre » d’étudiants au campus de l’Université de Lubumbashi en mai 1990.
RETOUR SUR LE « MASSACRE » D’ETUDIANTS
A L’SHI
C’est donc seulement à l’occasion des événements survenus au campus de Lubumbashi dans la nuit du 11 au 12 mai 1990 qu’une publicité négative avait commencé à circuler contre les membres de l’ethnie ngbandi en général et, par ricochet, autour de l’appartenance de Koyagialo à cette communauté.
En résumé, cette affaire qui avait été à l’origine du pourrissement des relations entre les pays occidentaux, la Belgique en tête, et le régime du maréchal Mobutu, avait été démesurément grossie pour les besoins de la cause. Plusieurs sources crédibles confirment cette assertion, en relevant notamment le fait que jusqu’à nos jours, aucune preuve tangible n’a étayé ces accusations de massacre. Jusqu’ici, en dehors d’un seul étudiant dont le décès a été formellement acté par l’enquête officielle, tous les autres chiffres avancés par les uns et les autres, n’ont reçu aucune confirmation matériellement vérifiable.
Et pourtant, c’est sur la base de ces accusations sans preuves faisant état d’une trentaine à plus d’une centaine d’étudiants qui auraient été assassinés au cours des affrontements entre étudiants et par des éléments de la Division Spéciale Présidentielle, que le gouvernement belge avait décidé d’isoler internationalement le régime de Mobutu, tout en imposant un strict embargo sur le Congo.
En fait, comme l’ont souligné de nombreuses études sur les événements qui s’étaient déroulés dans la nuit du 11 au 12 mai 1990 au campus universitaire de Lubumbashi, et connus du nom de code « Lititi Mboka », l’exploitation qui en avait été faite en Occident n’avait eu qu’un seul but : se débarrasser de Mobutu devenu inutile et encombrant à ses yeux après l’avoir utilisé pendant des années pour servir ses intérêts.
Il faut d’ailleurs souligner à ce sujet que la méthode n’avait pas été une nouveauté. Les Occidentaux l’avaient déjà expérimentée avec succès pour chasser Jean-Bedel Bokassa du pouvoir en Centrafrique, en l’accusant notamment d’avoir tué des enfants. La même méthode de diabolisation à outrance avait servi à éliminer physiquement Patrice-Emery Lumumba taxé alors de dangereux communiste dans les chancelleries occidentales.
VICTIME INNOCENTE
A moins d’être sanguinaire par nature, aucun dirigeant digne de ce nom ne peut laisser complaisamment le sang couler dans son champ d’action sans jamais intervenir. En sa qualité de gouverneur de province à l’époque des faits, Koyagialo avait bel et bien pris ses responsabilités en mains pour faire cesser des troubles dans l’enceinte de l’Université de Lubumbashi.
Mais, au cours d’un procès bidon que le président Mobutu avait fait organiser juste pour détourner l’hostilité des Occidentaux à son égard et assurer ainsi sa propre survie politique, Koyagialo s’était vu injustement condamné à 4 ans de prison au Centre pénitentiaire de Makala. Les choses avaient été orientées de manière à trouver le bouc émissaire idéal et à lui faire porter la responsabilité de tout le tapage médiatique orchestré en Occident par ceux qui avaient juré d’avoir la peau de Mobutu. Koyagialo n’avait pas mérité le sort qui lui avait été réservé, mais il avait accepté courageusement de payer à la place des autres, et principalement à la place de Mobutu.
Comme j’avais pu m’en rendre compte un jour, le maréchal Mobutu était lui-même tout à fait conscient que le gouverneur du Katanga à l’époque n’était absolument pour rien dans la situation créée au lendemain des bagarres inter estudiantines à l’Unilu, et qu’il ne méritait pas la prison.
En effet, dans sa réponse à ma question de connaitre les vraies raisons de l’emprisonnement du gouverneur Koyagialo, que je considérais personnellement comme innocent, le Maréchal m’avait avoué à cette occasion qu’en réalité, ce dernier n’était que le bouc émissaire qui était en train de payer à sa place. « Tika nainu avanda wana, tika afuta masumu ya biso banso » (« Qu’il reste encore là-bas, qu’il paye nos péchés à nous tous »), m’avait-il répondu. Un langage sans détour qui signifiait clairement que Koyagialo avait servi de fusible pour éviter au Maréchal Mobutu de sauter des suites des attaques croisées des Occidentaux.
Le Maréchal m’avait tenu ce langage sans cependant manifester un quelconque remords. Un peu comme s’il voulait me faire comprendre qu’il fallait bien que dans cette affaire il y ait eu quelqu’un pour être sacrifié et que, dans le cas d’espèce, Koyagialo avait été victime d’une certaine fatalité. D’où Koyagialo, le fusible du Maréchal Mobutu.
RENAISSANCE POLITIQUE
Sorti de prison, Koyagialo s’était volontairement retiré dans la méditation, attendant le moment favorable qui lui permettrait de rebondir. Il savait qu’il n’avait été qu’un bouc émissaire, mais il se montrait très réservé pour désigner un quelconque coupable, en se disant certainement qu’il faut s’attendre à tout lorsqu’on fait de la politique. C’est seulement 22 ans après les faits ayant conduit à son emprisonnement que Koyagialo sortira de sa réserve à travers son livre-explication « Massacre de Lubumbashi du 11 au 12 mai 1990 ».
Cette retraite volontaire avait pris fin au moment où feu Augustin Katumba Mwanke s’était souvenu de lui. En effet, les deux s’étaient liés d’amitié à l’époque où ce dernier était cadre à la Gécamines et Koyagialo gouverneur de province au Katanga. Devenu Secrétaire général du Parti du Peuple pour la Reconstruction et le Développement (PPRD), Katumba Mwanke fera adhérer Koyagialo à ce parti et le prendra à ses côtés parmi ses plus précieux collaborateurs.
Excellent travailleur, l’ancien gouverneur du Katanga s’était vite fait distinguer au sein du PPRD où il était parvenu à gravir plusieurs échelons, jusqu’à occuper le poste de Secrétaire général adjoint avant d’être nommé au gouvernement comme vice-Premier ministre et ministre des Postes, Télépones et Télécommunications dans la dernière équipe d’Adolphe Muzito. Et, pour boucler la boucle, il a été Premier ministre intérimaire du 7 mars au 9 mai 2012.
Le décès de Koyagialo laisse évidemment un vide parmi les populations de l’Equateur qui perdent ainsi leur meilleure chance de développement qu’ a représenté leur gouverneur tant attendu.
Adieu «ndeko» !
Bondo Nsama
Journaliste