Il livre pour la première fois son histoire, une « partie de vie » difficile à raconter. Celle où Thomas Elongo, 32 ans, était enfant soldat en République Démocratique du Congo. Un récit qui parfois s’arrête net, des explications en pointillé, le regard perdu au loin. Au loin, vers les provinces centrafricaines traversées par le fleuve Congo et dans son village de Kibombo où il est né le 12 décembre 1984.
Un regard un peu perdu, qui en dit long. Thomas Elongo, l’ex enfant soldat, aujourd’hui père de famille et chef d’entreprise de maçonnerie fraîchement installé à Vaux-le-Pénil, témoigne aujourd’hui pour évacuer la honte et le tabou. « Je ne veux pas que mon passé fasse peur ni qu’on ait pitié de moi, craint-il. L’ex-enfant soldat peut retrouver une vie normale ».
A 12 ans, en 1996, alors que d’autres enfants jouaient au ballon, Thomas prenait les armes. Sans famille, ayant perdu son père à l’âge de 7 ans, il voulait quitter le village. « Je n’ai pas été recruté par la force. Je sais que d’autres l’étaient mais pas moi », souligne-t-il d’emblée. « Des copains de l’école me disaient de m’engager, ils me disaient que l’armée c’était bien que l’école serait gratuite ».
« Je ne veux pas que mon passé fasse peur ni qu’on ait pitié de moi »
Pendant un an, il fait partie de l’armée rebelle menée par Laurent-Désiré Kabila. « Je n’ai pas eu à utiliser mon arme. Je n’ai tué personne. À aucun moment nous n’avons tué des civils ou pillé des villages », assure-t-il, sans plus de précision sur cette période qu’il préfère garder sous silence.
En 1997, quand Kabila renverse Mobutu et devient président, Thomas sort de la rébellion et entre dans les forces armées congolaises. De justesse, et grâce au soutien d’un commandant qui l’avait pris sous son aile, l’ado de 13 ans parvient à éviter le front et devient son garde du corps. « C’est grâce à lui que je suis vivant. Tous les autres enfants avec qui j’étais sont partis dans l’unité armée. Aucun n’en est revenu. Un autre ami, qui vit aujourd’hui à Londres, s’est tiré une balle dans le pied pour pouvoir quitter l’armée », confie-t-il.
Mais un jour son protecteur disparaît. « Je suis allé à l’état-major ensuite, j’ai failli mourir… » Mais l’ancien béret rouge ne donnera pas plus d’explication. « Je n’ai jamais connu la peur. On a peur quand on a quelque chose à perdre ». Il évoque rapidement la fois où il a été « frappé » en prison. « Il ne manquait plus qu’un coup de téléphone pour qu’on me tire une balle. J’ai fait ce qu’ils m’ont dit, c’est tout… ». De qui parle-t-il ? On ne le saura pas.
En Seine-et-Marne depuis 2002, Thomas y a trouvé la paix, l’amour et du travailVaux-le-Pénil, mercredi. Thomas Elongo a créé en 2011 DME Maçonnerie, sa propre entreprise, qu’il vient d’installer à l’Hôtel des Artisans. (LP/Marjorie Lenhardt.)Thomas Elongo est arrivé en France à l’âge de 17 ans. C’était en 2002. Une nièce l’a hébergé provisoirement à Savigny-le-Temple. Depuis, il n’a plus quitté la Seine-et-Marne même si son parcours a entretemps été très compliqué. Il dit avoir beaucoup souffert de la solitude à cette époque.
Il a repris la scolarité en tant qu’interne au lycée Léonard de Vinci à Melun. C’est là qu’il a rencontré sa femme avec qui il vit toujours à Melun. Ils ont un petit garçon et attendent un second enfant pour 2016.
Thomas Elongo se souvient avoir bénéficié d’aides conséquentes par les antennes de la Croix Rouge de Melun et de Dammarie, notamment pour la nourriture et les vêtements. Puis Thomas a été placé au centre d’hébergement les Copains de l’Almont à Melun. Pendant son CAP maçonnerie, il vivait au foyer des jeunes travailleurs. Son diplôme en poche, il a trouvé du travail en intérim dans le bâtiment.
En 2011, il a suivi une formation de chef de chantier puis il a ouvert sa propre entreprise DME Maçonnerie, à La Rochette. En 2014, subissant la crise comme de nombreuses affaires du BTP, DME Maçonnerie a été placée en redressement. Depuis, Thomas Elongo remonte la pente. Il vient de s’installer à l’Hôtel des Artisans, à Vaux-le-Pénil pour y prendre un nouveau départ professionnel.
Marjorie Lenhardt
Le trentenaire reste prudent car la situation politique de son pays n’est pas encore stabilisée. « On ne mesure pas ce qu’on est capable de faire pour se sauver, la force que l’on a en soi ».
Un jour que le président Kabila allait remettre les grades aux militaires, Thomas marche imprudemment sur le tapis rouge. Les gardes présidentiels le prennent violemment et lui demandent de choisir entre la prison et les coups. « J’ai choisi les coups car on ne sort jamais vivant de la prison présidentielle ».
Le 17 décembre 2001, les 300 premiers enfants soldats sont démobilisés. Thomas a 17 ans, il en fait partie. Il a rejoint la France y a fondé une famille et trouvé du travail au prix de nombreux efforts et de moments de solitude (lire ci-dessous). Mais tous ne s’en sont pas sortis aussi bien que lui. « Beaucoup sont morts de désespoir. On se fiche de ce qu’on est devenu alors que nous avons permis à des hommes d’accéder au pouvoir ».
Le climat reste tendu en République Démocratique du CongoVaux-le-Pénil, mercredi. Thomas Elongo montre son ordre de démobilisation. Il fait partie des 300 premiers enfants soldats à avoir été libérés des forces armées congolaises en 2002. (LP/Marjorie Lenhardt.)Depuis la démobilisation des 300 premiers enfants soldats actée fin 2001 par Laurent-Désiré Kabila, père de l’actuel président de la République Démocratique du Congo, des centaines d’autres ont été libérés. Mais le climat politique et la situation sécuritaire en République Démocratique du Congo reste tendue.
La date de l’élection présidentielle, qui doit normalement se tenir courant 2016, n’a toujours pas été arrêtée. L’opposition accuse le chef de l’État, Joseph Kabila - en poste depuis l’assassinat de son père en 2001 et qui n’a pas le droit de se représenter - de se maintenir au pouvoir le plus longtemps possible.
Par ailleurs, au cours des six premiers mois de 2015, près de 600 enfants soldats ont été retirés des forces démocratiques de libération du Rwanda voisin.
Marjorie Lenhardt.