L’homme n’a pas dérogé à la règle. Depuis le début de la législature, Samy Badibanga Ntita nous a
habitué à des sorties remarquées dans les grands médias internationaux. C’est à lui que Jeune
Afrique a recouru pour faire face au ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internatio-
nale, Raymond Tshibanda Ntunga Mulongo, dans un débat centré sur le processus électoral. Dans l’édition n°2825 du 1er au 7 mars 2015 du plus grand magazine panafricain, le président du groupe parlementaire UDPS et Alliés, toujours à l’avant-garde du combat sur le plan international, fait le plaidoyer pour un processus électoral apaisé. Président du plus grand groupe parlementaire de l’opposition à l’Assemblée nationale et, de ce fait, leader de l’opposition parlementaire congolaise, M. Badibanga innove par l’argumentaire technique avec lequel il aborde les questions posées. D’entrée de jeu, Samy Badibanga estime que l’opposition et le peuple congolais ont engrangé une deuxième victoire en ce début d’année 2015 : un calendrier électoral global a été publié par la CENI, une date pour l’alternance démocratique en RDC a été fixée. «Cette victoire fait suite à celle obtenue dans le sang des martyrs lors des manifestations des 19-21 janvier 2015 : les élections ne seront pas conditionnées à un recensement de la population qui aurait fait glisser le mandat du président actuel loin au-delà de son terme de décembre 2016», ajoute-t-il.
Bricolage ou sabotage ? Selon lui, ce calendrier est irréaliste car assorti de 23 contraintes pour sa mise en œuvre, et fondé sur un chevauchement improbable des grandes activités électorales
et pré-électorales. «La CENI ne dispose nullement de ressources humaines, matérielles et financières pour
mener de front toutes ces opérations électorales. Par exemple, la centralisation et l’intégration des données des électeurs à peine commencés ne pourront pas se terminer avant la date prévue pour la répartition des sièges (22 mars 2015) : jusqu’ici, 732 sites sur 19.199 sites de vote, soit 3%, ont été traités en un mois environ. Pour remédier à cette incapacité, la CENI veut utiliser les données statistiques du monitoring, mais celles-ci ne vont pas refléter le nombre d'électeurs qui seront inscrits sur les listes électorales. D’autre part, l’opération de stabilisation des cartographies opéra-
tionnelles et de fiabilisation du fichier électoral, prévue pour 127 jours dans le calendrier partiel, a consommé plus de 9 mois et n’est toujours pas achevé», ajoute-il. Avant de se poser la question : «Bricolage ou sabotage?», et d’y répondre : «Les délais prévus sont en tous cas fantaisistes, et le chevauchement prévu délibérément hasardeux».Inconstitutionnel et discriminatoire Pour l’élu de Kinshasa/MontAmba, le calendrier proposé est également inconstitution-nel et discriminatoire. Et pour
cause :«le fichier électoral actuel de la CENI ne prend pas en compte les électeurs autrefois mineurs mais ayant atteint la majorité (électeurs de 18 à 23 ans). Or, ces nouveaux majeurs représentent plus de
10 millions d’électeurs. Comment imaginer exclure 31% du corps électoral et priver la jeunesse de son droit de vote, en violation de l’article 5 de notre Constitution et de l’article 21 de la Déclaration de 1948».
L’opposant congolais reste d’avis que l’enjeu du pro-cessus électoral est majeur, national, régional voire continental. Il explique que ce processus doit être un tournant historique pour la RDC car
il s’agit d’obtenir la première alternance démocratique en 55 ans d’indépendance. Or, il n’est pas réaliste d’organiser les élections locales et provinciales en 2015. Alors que l’enjeu n’est pas local. C’est la présidentielle qui symbolise la crise de confiance. Pour M. Badibanga, la priorité doit être donnée à l’organisation d’élections crédibles en 2016, en combinant les élections présidentielles et provinciales et, début 2017, les élections législatives et locales. «Dans ces conditions, une opéra-
tion d’enrôlement de tous les électeurs, y compris des nouveaux majeurs, pourra se dérouler en moins de 12 mois, et un nouveau fichier électoral pourra être mis en place en remplacement de l’actuel fichier corrompu et tant décrié. Cela permettra de créer un consensus d’adhésion en vue d’un processus électoral
apaisé. Cela justifiera enfin le cofinancement massif, par la Communauté Internationale, d’élections dont il est inconcevable d’exclure la jeunesse, c’est-à-dire l’avenir du pays», plaide-t-il. Fiabiliser le fichier Samy Badibanga Ntita tient à insister sur la fiabilisation du fichier électoral. «Avec l’adoption de la loi modifiant la loi électorale, le législateur congolais a décidé de ne pas conditionner l’organisation des scrutins en général et ceux de 2015 en particulier à la tenue du recensement. La conséquence en est que ces scrutins devront s’organiser sur base du fichier électoral
disponible de la CENI. Or, recourir à ce fichier sans en déceler et corriger les problèmes, faiblesses c’est ad-mettre ou accepter une organisation précipitée qui cache d’avance le résultat chaotique qui va caractériser ces élections comme ce fût le cas des élections du 28 novembre 2011.A cet effet, lors de l’installation de la nouvelle CENI, une séance d’imprégnation avait été or-ganisée avec des experts. Le
législateur congolais a prévu des procédures et conditions pour la mise à jour du fichier électoral. Conformément à la loi n° 04/028 du 24 décembre 2004 portant identification et enrôlement des électeurs en
RDC en ses articles 31 et 38, la mise à jour du fichier électoral (cas de l’opération de fiabilisation du fichier électoral de la CENI) exige le respect des certaines procédures en la matière notamment la surveillance par les témoins de toutes les opérations y afférentes.Or, au regard de la réalité sur terrain lors de cette opération, ce principe n’a été nullement observé. Ceci explique la violation ou
le non-respect des procé-dures en matière de mise à jour du fichier électoral. En plus,même ceux qu’on con-sidère récupérés n’ont pas des données biométriques, éléments nécessaires pour l’authentification et la certification de l’électeur dans une base des données d’une organisation de gestion électorale (OGE). Ceci explique le caractère non homogène et corrompu de ce fichier électoral», argumente-t-il.
Appel au Parlement Le leader du groupe parlementaire UDPS et Alliés y voit un double danger.
D’abord : «le processus de décentralisation en cours va impacter le processus électoral. De 169, les entités territoria les décentralisées sont passées aujourd’hui à 1435 dont 97 villes, 601 communes, 478
secteurs et 259 chefferies. Avec comme conséquence : l’apparition des nouvelles communes et groupements
incorporés va compliquer davantage le travail d’affectation des électeurs dans ces nouvelles entités créées».Ensuite : «il ne suffira pas d’organiser des élections, mais aussi et surtout de trouver les res-
sources pouvant permettre le fonctionnement normal de ces nouvelles entités, ce qui n’est pas possible avec la modicité du budget actuel. Le risque, c’est de les voir surenchérir avec la création de nouvelles taxes pour pouvoir survivre». Tout bien considéré, Samy Badibnga propose que le Parlement se saisisse de la question, en discute avec le gouvernement, les partis politiques et la société civile pour
mettre en place un calendrier électoral réaliste et consensuel.
MTN