Une nouvelle page d’histoire est-elle en train de s’écrire au Burkina Fasso ? Beaucoup d’analystes politiques sont tentés d’y croire. Aussi imprévu qu’inattendu, ce pays vient d’entrer dans une transition non préparée. Au vu des manifestations populaires qui se sont traduites hier jeudi 30 octobre 2014 par l’incendie de plusieurs symboles du pouvoir ( le siège de l’Assemblée Nationale, le siège du parti présidentiel, les installations de la Radio et de la Télévision nationales à Ouagadougou d’un côté et, de l’autre, la Mairie et la permanence du parti présidentiel à Bobodioulasso) et finalement la dissolution du gouvernement et de l’Assemblée Nationale, sans oublier l’état de siège, il est sûr et certain que rien ne sera plus comme avant au « pays des hommes intègres ». Unique maître du jeu pendant 27 ans, l’ex para-commando de Pô n’a plus le contrôle de toutes les cartes politiques et militaires de
son pays.
L’élément déclencheur de la révolte populaire a été le projet de modification de la Constitution déposé par le gouvernement à l’Assemblée Nationale et dont le vote devait intervenir lors de la plénière d’hier. Il y avait, en filigrane de l’initiative gouvernementale, la volonté de permettre au président Blaise Compaoré, au pouvoir depuis son coup d’Etat contre feu le président Thomas Sankara en 1987, de briguer un cinquième mandat. La colère de la rue était telle que celui qui a déjà enchaîné quatre mandats contre la volonté de son peuple a dû faire marche arrière.
En effet, dans un communiqué laconique lu à la télévision et à la radio nationales avant leur mise à feu par des manifestants, le porte-parole du gouvernement a fait savoir que le fameux projet de révision constitutionnelle était retiré. Dans la foulée, il a invité les masses en colère à la retenue. Mais, au lieu de calmer les esprits, ce message a produit l’effet contraire. Venues des quatre coins de la capitale, des colonnes de manifestants se sont dirigées vers le Palais présidentiel, avec l’intention non voilée d’en déloger son « locataire », Blaise Compaoré, silencieux et invisible depuis le début des violences anti-révision constitutionnelle. Il a fini par lâcher du lest en décrétant la dissolution de son gouvernement, l’état de siège et l’entame d’une période de transition. Mais, du côté des manifestants et de l’Opposition, le préalable à toute négociation se trouve être son départ.
Un fait ne pouvait passer inaperçu aux yeux des observateurs : c’est la promesse de la Garde présidentielle de ne pas faire usage des armes face aux manifestants. Et, comme gage du respect de son engagement, ses éléments se sont présentés devant ceux-ci les mains en l’air, les priant de ne pas envahir le Palais présidentiel. Au Burkina Fasso, la peur a-t-elle changé de camp ? Il est difficile de l’affirmer à ce stade de la situation. On peut noter toutefois que plusieurs députés proches de la majorité ont quitté en catastrophe le siège du Parlement, alors que de nombreux dignitaires du régime sont entrés dans la clandestinité.
Tous les observateurs s’accordent à souligner que le pourrissement de l’environnement politique au Burkina Fasso aurait pu être évité si le pouvoir en place avait pris en compte le message du petit peuple foncièrement opposé à toute modification de la Constitution et singulièrement de l’Article 37, qui interdit au président en fonctions de briguer un nouveau mandat, le cinquième de la série, à l’expiration de celui en cours, en novembre 2015. Tout en faisant croire qu’il respecterait la volonté populaire au cas où cette dernière s’exprimerait contre la prolongation de son mandat actuel, Blaise Compaoré a donné la nette impression de rechercher un passage en force à travers un vote de la révision constitutionnelle par sa majorité mécanique à l’Assemblée Nationale. Malheureusement, la stratégie a montré ses limites, entraînant une implosion sociale aux conséquences incalculables.
Terrible leçon pour les candidats à la présidence à vie en Afrique
L’insurrection populaire qui embrase le Burkina Fasso devrait constituer une terrible leçon pour les candidats à la présidence à vie en Afrique. Car, Blaise Compaoré qui était parti pour terminer dans l’honneur et la dignité un long règne au sommet, a commis l’erreur de rechercher un mandat de trop. Tous ses pairs à travers le continent acquis à l’option de la prolongation anti-constitutionnelle de leurs mandats vont désormais y réfléchir par deux fois avant de se remettre à défier le souverain primaire. Toute l’Afrique reste accrochée au sort du président burkinabé pour bien évaluer les conséquences d’un changement de constitution contre la volonté de leurs peuples. De ce point de vue, ce qui est en train de se passer au Burkina Fasso pourrait déterminer la suite des événements ailleurs.
Malheureusement, le Burkina Fasso n’est pas l’unique pays d’Afrique englué dans les travers de la révision constitutionnelle, sur fond de prolongation des mandats des hommes au pouvoir. Depuis plusieurs mois pourtant, des voix s’élèvent, à l’intérieur comme en dehors du continent, pour fustiger la manie des dirigeants africains à vouloir exercer des présidences à vie. Avant le sommet USA-Afrique, au mois d’août, l’administration américaine avait épinglé les Chefs d’Etat en passe d’épuiser constitutionnellement leurs mandats et encouragé les démocrates dignes de ce nom à se soumettre sportivement à la loi de l’alternance politique. Une liste des pays concernés étaient même établis : Burkina Fasso, Bénin, Congo/Brazzaville, Rwanda, Ouganda, Burundi, RDC, Angola, Zimbabwe.
En prévision du Sommet de Washington, le président Barack Obama en personne et plusieurs de ses émissaires de haut rang avaient pris langue avec plusieurs Chefs d’Etat tentés de charcuter les textes constitutionnels de leurs pays et exhorté les uns et les autres à ne pas aller dans cette voie. Mais, le message semble n’avoir rencontré des oreilles suffisamment attentives. La rue va-t-elle se charger de régler les contentieux politiques qui auraient pu trouver des réponses par des voies démocratiques ?
Kimp