L'inquiétude règne au sujet du Dr Denis Mukwege, ce médecin congolais qui a récemment reçu le prix Sakharov à Strasbourg pour son travail auprès des femmes violées dans l'est du Congo. Il a été victime en 2012 d'une tentative d'assassinat. Et depuis, il vit cloitré dans son hôpital, à Panzi, protégé par des casques bleus de la Monusco. Fin octobre, ses comptes bancaires ont été bloqués, parce qu'il n'aurait pas payé ses taxes. Les 500 employés de l'hôpital ne sont plus payés depuis. Et une véritable campagne d'intimidation est désormais orchestrée autour du médecin au Congo. Un journal congolais proche du pouvoir, le "Forum des As", écrit que le Dr Mukwege envisage de se lancer en politique. Pire : le journal prétend que Louis Michel, parlementaire européen et ancien ministre belge des Affaires étrangères, tirerait les ficelles dans l'ombre, pour placer Denis Mukwege, à la place de Joseph Kabila lors des prochaines élections. Le journal conclut : "S'il décide de combattre en politique, il doit s'attendre à être vu comme un adversaire politique et donc l'homme à abattre politiquement". Le Dr Mukwege n'a jamais émis l'idée de se lancer en politique mais, lors de la réception du prix Sakharov à Strasbourg, il avait dénoncé la mauvaise gouvernance et la souffrance de son peuple. Un discours qui n'a certainement pas plu à Kinshasa.
L'ex-députée européenne Véronique De Keyser rentre d'une mission à l'hôpital de Panzi. Elle est partie en tant que psychologue, avec le chirurgien Guy-Bernard Cadière, spécialiste en laparoscopie à l’hôpital St-Pierre. Elle décrit un climat de menace autour du médecin : "Le fait de ne plus pouvoir, à l’intérieur même de son hôpital, saluer quelqu’un, passer librement dans un couloir sans être accompagné par plusieurs gardes armés qui mettaient des manteaux pour cacher leurs armes et ne pas affoler les patients. Puis quand il sort du bloc opératoire à 8 heures du soir, il sort littéralement sous une haie de gardes armés, la Monusco étant partout, cela donne une impression extrêmement angoissante comme si un compte à rebours avait commencé. Que peut-on faire pour déjouer une sorte de chronique d’une mort annoncée?"
"Une cible d’autant plus visible"
L’attribution du prestigieux prix Sakharov en novembre expose le Dr Mukwege explique Véronique De Keyser : "Avec l’attribution de ce prix, il est devenu une cible d’autant plus visible ! Nous ne le protégeons pas nécessairement en faisant cela, nous lui donnons davantage de visibilité dans un moment où, en République démocratique du Congo, tous ceux qui sont visibles peuvent sembler une menace pour ceux qui veulent le pouvoir ou se maintenir au pouvoir. Rien ne dit que le Dr Mukwege ait la moindre ambition politique ! Sa priorité des priorités c’est l’hôpital de Panzi".
"Je l’ai vu opérer un bébé de 18 mois complétement éventré et violé qu’on avait laissé pour mort dans un champ. Et j’ai regardé les statistiques : les viols de très jeunes enfants sont en augmentation. Je crois que la première priorité pour Denis Mukwege c’est vraiment de soulager les souffrances. Mais quand on discute avec lui il dit ‘on ne peut pas continuer comme ça !’ Même des malades me disaient : ‘pourquoi est-ce que nous, le peuple, on doit souffrir comme ça?’ Quand les gens parlent de politique, ils parlent de leur corps, de leur famille, de leur avenir, de leur village, tout cela est complètement lié", poursuit-elle.
Véronique De Keyser demande qu'une mission européenne parte sur place, pour observer, et témoigner.
F. Wallemacq