On le connaît comme le "juste qui répare les femmes". Mercredi, le docteur Denis Mukwege a reçu le prix Sakharov du Parlement européen, qu'il a dédié au "peuple congolais". Le chirurgien est honoré pour son action près de Bukavu, en RDC, où il a soigné plus de 40 000 victimes de viols depuis 1996.
C'est une récompense de plus dans le combat d'une vie, celle du docteur Denis Mukwege, qui dirige depuis 1996 la clinique de Panzi, près de Bukavu, en RDC. Le chirurgien gynécologue congolais a reçu mercredi le prix Sakharov du Parlement européen, à Strasbourg, en l'honneur de son combat dans le Nord-Kivu, où il a soigné, depuis l'ouverture de son centre de soins, plus de 40 000 femmes et petites filles victimes de violences sexuelles dans la région.
Le corps des femmes est devenu un véritable champ de bataille.
Une récompense qu'il reçoit "avec humilité", a-t-il déclaré, en rappelant que le Kivu payait les conséquences d'une guerre "bassement économique". "La région où je vis est l’une des plus riches de la planète (...) [où] le corps des femmes est devenu un véritable champ de bataille, et le viol est utilisé comme une arme de guerre", a ainsi dénoncé le chirurgien dans son discours, que Jeune Afrique retranscrit ci-dessous en intégralité.
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"Mon père priera et moi je soignerai"
C'est de son père, pasteur, que Denis Mukwege, né à Bukavu en 1955, a hérité sa vocation d'aider son prochain. "Je l'admirais. Quand il partait à la rencontre des malades, quand il prêchait en tant que pasteur, je l'accompagnais car j'aimais le voir en action", explique le chirurgien dans Panzi, livre sorti en juin 2014.
Il y raconte notamment ce jour lors duquel son père fut appelé au chevet d'un bébé mourant. Impuissant, le pasteur ne pût qu'offrir ses prières à la famille et à l'enfant tandis que son fils pensait : "Il faut que je sois médecin, ainsi mon père priera et moi je soignerai". Sa vocation était née. Denis Mukwege avait alors huit ans.
C'est de son père, pasteur, que Denis Mukwege, né à Bukavu en 1955, a hérité sa vocation.
Après des études de médecine au Burundi, à Bujumbura, à partir de 1978, un premier poste à l'hôpital de Lemera, en RDC, il débarque en France, à Angers, pour se spécialiser en gynécologie. Il y apprendra une technique révolutionnaire à l'époque, la laparoscopie, modèle de chirurgie peu invasive qui se révélera précieuse, avec l'aide du spécialiste belge Guy-Bernard Cadière, dans le traitement des lésions chez ses patientes de Panzi.
Denis Mukwege, ©AFP
Il quitte Angers pour la RDC en 1989. Suivent des années de guerre, les conséquences du génocide au Rwanda, les conséquences au Kivu puis la fondation de sa clinique, avec l'aide d'associations suédoise et britanniques et de l'Union européenne. Quelques habitations en pisé d'abord, avant des locaux en dur. Puis la première victime de viol, en 1999. "Cette femme avait été violé à 500 mètres de l'hôpital", se souvient-il : "À l'époque, j'ignorais que ce serait le début d'une série de plus de 40 000 victimes."
"Notre pays est malade mais, ensemble, (...) nous allons le soigner"
Ce 26 novembre, au Parlement européen, c'est le représentant de l'"un des principaux défis du siècle à venir : réduire les violences envers les femmes", qui est honoré par le prix Sakharov. Le témoin d'un Kivu où l'atrocité - il parle dans son discours, par exemple, d'une enfant violée de 18 mois, entre la vie et la mort -, côtoie l'"horreur économique qui nous conduit à la veulerie, au nihilisme sans conscience et finalement à la barbarie".
Vous avez décidé d’accroître la visibilité du combat mené par les femmes congolaises depuis plus de 15 ans.
"C’est avec beaucoup d’humilité et un grand espoir que je reçois aujourd’hui le prestigieux Prix Sakharov pour la liberté de l’esprit", a déclaré Denis Mukwege à la tribune du Parlement européen mercredi. "Par ce prix, vous avez décidé d’accroître la visibilité du combat mené par les femmes congolaises depuis plus de 15 ans et de reconnaître leur souffrance mais aussi leur dignité et le courage qu’elles incarnent", explique-t-il encore.
"Chaque femme violée, je l’identifie à ma femme ; chaque mère violée à ma mère et chaque enfant violé à mes enfants. Comment me taire quand nous savons que ces crimes contre l’humanité sont planifiés avec un mobile bassement économique ?", s'interroge Denis Mukwege.
Unissons-nous et marchons avec l'Europe, afin qu’une fois pour toutes, la paix et la justice soient restaurées au Congo.
"Quel est cet être humain doué de conscience qui se tairait quand on lui emmène un bébé de six mois dont le vagin a été détruit soit par la pénétration brutale, soit par des objets contondants, soit par des produits chimiques ?", at-il dit devant les députés européens, en réclamant un règlement européen au sujet de l'approvisionnement en minerais.
S'adressant au "peuple congolais", Denis Mukwege explique enfin que le prix qu'il a reçu est "le symbole de la liberté de pensée", "un droit qui nous a été retiré, (...) auquel, suite à la terreur et l’oppression, nous semblons parfois avoir renoncé".
Et de conclure : "Aujourd’hui, tout haut, et devant le monde entier, l’Europe nous exprime sa solidarité. Elle veut marcher avec nous dans notre quête pour la restauration d’une vie congolaise digne. Unissons-nous et marchons avec elle, afin qu’une fois pour toutes, la paix et la justice soient restaurées au Congo et que nous puissions aspirer à un futur meilleur. Notre pays est malade mais, ensemble, avec nos amis de par le monde, nous pouvons et nous allons le soigner."