En souhaitant triturer ses faibles institutions, l’ex-homme fort du Burkina Faso, Blaise Compaoré, n’a fait que révéler sa propre fragilité. Avertissement aux alchimistes présidents qui rôdent autour de leur Loi fondamentale.
"Alerte à la contagion venue d’Afrique de l’Ouest !" Depuis des mois, des messages de mise en garde sont sur toutes les lèvres et à la pointe de toutes les plumes. Mais cette fois, il ne s’agit plus d’Ebola. Il s’agit d’un branle-bas moins sanitaire que politique. Et le virus politicien dont il est question est moins celui de la "révisionnite", pathologie dénoncée depuis des années, que celui de la "décagnotite", cette crise épileptique populaire qui a décapité le régime burkinabè. Or, une comptine africaine dit "Chacun son tour chez le coiffeur".
L’Afrique s’est déjà habituée à voir ses hommes forts plus bas que terre. On se surprend à ne plus être surpris face au spectacle d’un Raïs égyptien derrière les barreaux ou d’un Guide libyen ébouriffé et ensanglanté. Mais cette fois, le printemps n’est plus seulement arabe et le message est plus ciblé : il s’adresse aux présidents qui, à l’instar de Blaise Compaoré, tentent de modifier une Constitution appuyée sur un système démocratique biaisé. Après le printemps arabe, quel dirigeant tripatouilleur sera-t-il victime de ce que le socialiste burkinabè Emile Paré a qualifié d’"automne noir" ?
Sur le continent, tout comme Blaise Compaoré, certains chefs d’État menottés pas leur Loi fondamentale ont suscité les prémices d’une réflexion sur la modification de leur Constitution.
Quel dirigeant tripatouilleur sera-t-il victime de ce que le socialiste burkinabè Emile Paré qualifie d’"automne noir" ?
Le président béninois est le plus hésitant. Peut-être parce que le Bénin fut considéré comme le champion des alternances. Peut-être parce que Boni Yayi n’a pas l’expérience d’un putschiste en treillis. Peut-être parce que la Commission des lois du parlement béninois ne semble pas complaisante. Peut-être, tout simplement, parce qu’il avait fait la promesse de ne pas se présenter en 2016. Pour rester sur son trône sans être candidat, il lui reste l’éventualité d’un report du scrutin présidentiel. Usera-t-il de l’argument budgétaire ?
Dans le collimateur des gardiens de l’intégrité constitutionnelle, se trouvent également les deux Congos. Comme Yayi et Compaoré, Joseph Kabila aura bientôt achevé son deuxième mandat que la Loi fondamentale considère comme le dernier. Comme Boni Yayi, le terme du président de la RDC est 2016. Comme Blaise Compaoré, Kabila tente de noyer l’éventuelle modification du verrou constitutionnel dans l’ajustement d’autres articles concernant le mode d’élection des sénateurs et des députés provinciaux au suffrage indirect. Cheval de Troie qui entraînerait d’autres changements, notamment du fait de la non-rétroactivité de la loi ? L’opposition se méfie.
Autre Congo, autre Congolais : celui qui, pour avoir déjà connu le départ du pouvoir, sait qu’il est long, le chemin de la reconquête. Le général Denis Sassou N’Guesso, lui, se heurte en plus à son statut de septuagénaire qui le "périme" au regard des conditions de candidature. Mais il évoque une opportune "volonté populaire" qui pourrait bien valoir plus qu’un parchemin. Une commission ad hoc a déjà défendu l’idée selon laquelle "la limitation de l’âge des candidats à l’élection présidentielle" est contraire à un autre article de la Constitution qui stipule que "tous les citoyens sont égaux devant la loi" et que "la limitation à deux mandats du président de la République viole le principe constitutionnel d’équité puisque ne s’appliquant pas aux autres élus". Pour ajouter de la menace voilée aux arguments spécieux, le parti au pouvoir (PCT) accueillait le président, à son retour de Washington, avec une banderole "Baméka Sassou té, Bakéba na bango", ce qui signifie "Ne touchez pas à Sassou, vous êtes avertis".
Comme les "jumeaux" congolais, les jumeaux burundais et rwandais alimentent le débat. Si Pierre Nkurunziza s’apprête à terminer son deuxième mandat autorisé, son parti, le CNDD-FDD, a ouvertement souhaité réviser la Loi fondamentale. À moins qu’il n’arrive à convaincre que la première accession au pouvoir de son poulain ne compte pas, puisque celui-ci avait été désigné par le Parlement et non pas élu au suffrage direct.
Au Rwanda, même scénario des deux mandats presque échus et même comportement ambigu du chef de l’État. En avril, Paul Kagamé promettait de respecter la Loi fondamentale, non sans ajouter qu’il ne connaissait "pas un seul pays où la Constitution soit immuable".
La Constitution burkinabè n’était pas immuable. Pas plus et pas moins que celles des Congos, du Rwanda, du Burundi ou du Bénin. Qu’en pense Blaise Compaoré qui aurait pu jouir des honneurs présidentiels jusqu’en novembre 2015 ?