Katumbi demeure l’adversaire numero un, Kamerhe pourrait accepter un compromis
Quatre mois avant la fin-théorique- du mandat du président Kabila, la situation au Congo demeure confuse avant de devenir explosive…L’hypothèse selon laquelle Vital Kamerhe, devienne Premier ministre à la tète d’une équipe de transition gérant le « glissement » c’est-à-dire le retard du processus électoral pourrait-elle apaiser les esprits ?
Même s’il a pris ses distances avec les autres membres de l’opposition, et entre autres ceux d’entre eux qui s’étaient réunis à Genval en juin dernier autour d’Etienne Tshisekedi, Kamerhe ne manque pas d’atouts : il a été l’un des acteurs clés du dialogue intercongolais menant, en 2002 aux accords de paix de Sun City et connaît personnellement tout le personnel politique national et international, il a présidé avec brio l’Assemblée nationale, il s’exprime avec éloquence, dans les quatre langues du pays. En plus de l’expérience du pouvoir, sa popularité est bien réelle. Acceptera-t-il de mettre en jeu son capital politique pour participer à un dialogue avec le pouvoir, dans lequel la plupart des opposants et surtout de l’opinion congolaise ne voient qu’un nouveau processus de cooptation des élites, afin, une fois encore, de tenter de gagner du temps et de prolonger le mandat du président Kabila au-delà des délais légaux ? Aux yeux de la presse congolaise, le fait que M. Kamerhe ait, à plusieurs reprises, rencontré le « facilitateur » nommé par l’Union africaine, l’ancien président du Togo Edem Kodjo, renforcerait cette hypothèse.
Rappelons qu’à l’heure actuelle, il est pratiquement acquis que le pouvoir, par manque de moyens et surtout de volonté politique, a rendu impossible l’organisation d’élections d’ici la fin de l’année 2016 : la CENI (Commission électorale indépendante) aura besoin de plusieurs mois pour nettoyer les fichiers électoraux de tous les citoyens décédés depuis 2011 et surtout pour enrôler les « nouveaux majeurs » c’est-à-dire les jeunes ayant atteint l’âge de la majorité.
En janvier 2015 cependant, la seule idée d’une révision de la loi électorale avait réussi à enflammer les principales villes du pays et les manifestations s’étaient multipliées. A Kinshasa, les partis d’opposition eux mêmes avaient été dépassés par l’ampleur de la colère populaire et seule une répression musclée, faisant de nombreuses victimes, avait empêché les pillages et les violences incontrôlées engendrées autant par la frustration sociale que par le désaccord politique. A l’époque, le message de l’opinion publique semblait clair, c’était «non » au « glissement », c’est-à-dire à une prolongation du mandat présidentiel.
Deux années plus tard, ainsi que le relève le quotidien « Le Phare », le pouvoir a nettement gagné du terrain : les onze provinces existantes ont été démembrées en 26 provincettes qui manquent totalement de moyens pour fonctionner normalement tandis que la fronde du puissant Katanga (démembré en quatre provinces…) a été désamorcée.
En outre, des « commissaires spéciaux » chargés d’administrer les nouvelles entités et directement nommés par Kinshasa ont remplacé les gouverneurs de province naguère élus par les Assemblées provinciales . Quant à la commission électorale indépendante (CENI) elle n’a pas été pourvue des moyens financiers lui permettant d’exécuter son mandat dans les délais requis. Le gouvernement a invoqué la chute des cours du cuivre et le ralentissement de la croissance pour se déclarer incapable de mobiliser la somme de un milliard 200 millions jugée nécessaire à l’organisation des différents scrutins.
Face à ces blocages, le G7, coalition des partis d’opposition, entend contraindre la CENI à respecter les délais et à publier son calendrier électoral le 19 septembre prochain. L’ancien gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi, passé à l’opposition, est le plus constant dans cette exigence et il est désormais soutenu par Etienne Tshisekedi, le leader historique du principal parti d’opposition l’UDPS (Union pour la démocratie et le progrès social), qui vient de débarquer le secrétaire général du parti, Bruno Mavungu, jugé trop indépendant… Lors de son retour à Kinshasa voici deux semaines, Tshisekedi avait tenu un discours radical, exigeant le respect des délais légaux et récusant le dialogue que le pouvoir entend organiser.
Ce « dialogue national » aurait pour objet de permettre au pouvoir et à l’opposition de se mettre d’accord sur un délai qui rendrait possible l’organisation du scrutin dans de bonnes conditions. Durant cette période intermédiaire, des membres de l’opposition pourraient être invités à partager le pouvoir. Nommé par l’Union africaine, l’ancien président togolais Edem Kodjo serait chargé d’organiser ce dialogue, mais, à part de nombreux contacts, il n’a guère progressé jusqu’à présent.
Ce blocage est inquiétant car la situation pourrait déraper sinon échapper à tout contrôle une fois que, fin novembre 2016, sera atteinte la « date de péremption » du pouvoir. C’est pourquoi la conférence des évêques catholiques, (CENCO) consciente du danger, a fini par se prononcer en faveur du dialogue afin d’éviter l’épreuve de force.
En outre, l’opposition est loin d’être monolitithique : Etienne Tshisekedi s’est aujourd’hui rapproché de Moïse Katumbi, mais initialement ,il avait accepté de discuter avec les émissaires de Kabila et un accord avait même été conclu….
D’autres défections sont envisageables, plusieurs hommes politiques estimant soit que Kabila et les siens (dotés d’un important arsenal répressif et de moyens financiers considérables) sont trop forts, soit que les risques d’une dérive à la burundaise sont trop grands.
Inspirés par le réalisme et l’analyse du rapport de forces, plusieurs politiciens en vue pourraient finir par se rallier au dialogue. Les moyens matériels des uns et des autres comptent dans l’équation : si Moïse Katumbi, l‘ex gouverneur du Katanga, est désormais considéré par le pouvoir comme l’adversaire principal, c’est aussi parce qu’il est pratiquement la seule personnalité politique à disposer de moyens matériels permettant une campagne électorale menée à l’échelle de ce pays-continent…
Si Kamerhe se présentait pour piloter un éventuel glissement, il prendrait de court une opposition plus divisée qu’il n’y paraît et travaillée par les ambitions et les calculs personnels des uns et des autres…