La question avait profondément divisé le gotha politique congolais ces dernières semaines. Pendant quelques jours, l’on a cru que la motion de défiance initiée par Samy Badibanga Ntita contre Patrice Kitebi Kibol Nvul en rapport avec la gestion des crédits destinés à l’opposition allait être étouffée dans l’œuf. Mais à la surprise générale, ce qui est devenu un feuilleton politique à rebondissements vient d’être relancé. En effet, c’est à l’issue de la plénière à huis clos de vendredi dernier que le bureau de l’Assemblée nationale a, finalement, décidé de convoquer le ministre délégué aux Finances pour affronter la motion initiée par le président du groupe parlementaire UDPS et Alliés.
C’est à une vraie saga hollywoodienne que l’on a assisté ces dernières semaines, avec plusieurs épisodes et à chaque fois des rebondissements inattendus. Tout commence lorsque, le jeudi 2 octobre 2014, l’Assemblée nationale examine le projet de loi portant reddition des comptes du budget de l’Etat pour l’année 2014. Des députés se rendent compte que 207 millions de francs congolais sur les 500 millions prévus pour le fonctionnement de l’opposition ont été dépensés. Ils veulent savoir qui a dépensé cet argent, étant donné que ces fonds ne peuvent être activés que par le porte-parole de l’opposition. Or, ce poste n’a jamais été pourvu à ce jour. Sur les bancs de l’opposition, l’on accuse le gouvernement d’avoir utilisé ces crédits pour l’achat des consciences de certains opposants. L’affaire est donc grave et mérite d’être prise très au sérieux.
«Erreurs d’imputation budgétaires»
A tour de rôle, de gros calibres de l’opposition se succèdent à la tribune. L’on compte Jean-Claude Vuemba du groupe UDPS et Alliés, Jean-Lucien Busa, Bamporiki de l’UNC. Tous font feu de tout bois. En face, Kitebi semble englué dans ses derniers retranchements. Il n’en soufflera mot. Cependant, interrogé à la commission Eco-Fin de l’Assemblée nationale, le vice-Premier ministre et ministre du Budget, Daniel Mukoko Samba, parle vaguement d’«erreurs d’imputation budgétaires», mais ne convainc pas grand monde. Gonflée à bloc, l’opposition tient à faire toute la lumière sur la vraie destination de ces millions. C’est ainsi que le lundi 13 octobre 2014, Samy Badibanga Ntita dépose une motion de défiance contre le ministre délégué auprès du Premier ministre chargé des Finances. La motion est soutenue par 58 signatures, soit 8 de plus que les 58 exigées par la Constitution. Deux jours plus tard, soit le 15 octobre, Aubin Minaku écrit à M. Badibanga pour accuser réception de sa motion.
Le même jour, lors de la plénière, le président du bureau de l’Assemblée nationale informe les députés du fait que la motion a été déclarée recevable, et qu’il a écrit au Premier ministre pour convoquer le ministre délégué à la séance du 17 octobre 2014. En réponse, Augustin Matata Ponyo écrit au bureau de la chambre basse pour l’informer que Patrice Kitebi était en mission à l’étranger. Sauf que, depuis lors, cette mission s’éternise indéfiniment …
Plénière à huis clos
Mais le mercredi 29 octobre 2014, c’est un coup de tonnerre : Aubin Minaku informe la conférence des présidents que la motion déposée par Samy Badibanga n’était plus valide, dans la mesure où neuf signataires se seraient rétracté et auraient ainsi retiré leurs signatures. Mais Samy Badibanga va, sur le coup, sortir un argument inattendu : au nom du traitement équitable et du parallélisme des formes le droit de retirer une signature d’une motion déjà déposée implique celui d’ajouter d’autres signatures après le dépôt de la motion. Bien plus, Aubin Minaku est accusé d’obstruction par les présidents des groupes d’opposition, et menacé lui-même d’une motion de défiance. Le bureau accuse le coup, et dans la perplexité, convoque une plénière à huis clos le vendredi 31 octobre.
C’est ici que va se jouer une bataille importante pour la forme à donner au travail de contrôle parlementaire pour le futur. En effet, depuis la motion Baudouin Mayo Mambeke contre Matata Ponyo, certains députés ont pris la fâcheuse habitude d’apposer leurs signatures au bas d’une motion avant de les retirer par la suite pour faire échouer la démarche. Des rumeurs de corruption ont retenti d’un bout à l’autre de l’imposant Palais du peuple. Certains ont évoqué des députés à qui l’on a copieusement mouillé la barbe …
Jurisprudence internationale
Sauf qu’ici, les opposants ont gagné en expérience. Samy Badibanga évoque, dans un premier temps, le Règlement d’ordre intérieur de l’Assemblée nationale, dont le dernier alinéa de l’article 211 stipule que toute motion déjà déposée «ne peut subir aucun amendement». Et fait valoir que le retrait de signature est un amendement à la forme de la motion. Dans un deuxième temps, le leader du groupe parlementaire UDSP et Alliés évoque la jurisprudence internationale en la matière, plus explicite. En l’occurrence la Constitution française qui, en son article 49 alinéa 2 stipule : «Dès réception de la motion, aucune signature ne peut être ajoutée ni retirée. La liste des signataires est publiée au Journal officiel dans le compte-rendu intégral des débats». L’argument fait mouche. En plus, sur les 9 signataires qui étaient censés avoir retiré leurs signatures, 3 affirment qu’ils avaient juste sursis leur décision, avant de reconfirmer avec force leurs signatures, l’un au micro à la tribune de l’Assemblée nationale, et les deux autres par écrit. Enfin, 16 autres députés se sont ajoutés pour apporter leur soutien à la motion. Le bureau ne sait plus ni à quel saint se vouer, ni à quel sein téter. Aubin Minaku décide alors d’interrompre les débats et convoque une conférence des présidents.
Au cours de cette réunion, le bureau fait le point de la question et décide, finalement, d’accepter la motion de Badibanga contre Kitebi. Le ministre délégué aux Finances est donc convoqué à la chambre basse ce mercredi 5 novembre 2014. C’est ainsi que le feu a été éteint. Au point que même les opposants ont salué l’honnêteté et le bon sens dont le bureau de l’Assemblée nationale a fait montre pour trancher cette question épineuse. L.P.