Lettre à un Compatriote « administrativement » décentralisé

Samedi 23 mai 2015 - 14:18

Cher Compatriote,

En lisant la Constitution de la République Démocratique du Congo depuis près de 10 ans, j’ai appris que tu devais être décentralisé. Les temps et les circonstances ont fait que tu sois resté « centralisé ». Hier, recevant un appel téléphonique d’un de nos amis de l’école primaire, que tu connais bien, j’ai cité Lunungu Ladisa Lunda, celui-là même qui nous malmenait avec sa première place qu’il ne quittait jamais, j’apprenais donc que ta décentralisation était sur toutes les lèvres et que cela était irréversible.

Voilà pourquoi j’ai décidé de t’écrire en ma qualité d’un « décentralisé ». Comme tu le sais, après les Etats-Unis d’Amérique et le Nigeria, je suis installé en France depuis près de 30 ans. Tout ce temps a fait que je me confonde avec la décentralisation au point que mes amis m’ont surnommé « décentralisation ».

Comme cela fait bien longtemps que tu as perdu mes traces et que tu dois apprendre à me connaître, je me permets de te faire, en partant de mon expérience, le portait de ce qui fait mon identité, celle-là même que nous avons en commun.

Je voudrais que tu notes d’abord le sens profond de la décentralisation telle que je voudrais que tu le vives maintenant que tu me rejoins comme un « décentralisé ». Tu retiendras, cher compatriote, que la décentralisation n’est pas une migration populaire. Elle est une réorganisation territoriale. Cela signifie que la décentralisation n’attend pas se vivre dans un mouvement des populations qui ouvrirait la brèche au discours « matembele ya sima ya ndaku – pigeon voyageur ».

Tu n’oublieras pas cher frère et compatriote « décentralisé, que la décentralisation n’est pas un tribalisme régionalisé, mais un régionalisme administrativement recadré en vue d’un développement à la base. Et puis, laisses-moi te dire, que le tribalisme en soi n’est pas mauvais. La tribu dont il est issu est une base sociologique indéniable qui définit chacun d’entre nous. Mais comme tout « isme », fais attention aux dévers du tribalisme. Partant de mon expérience, tu devais considérer la tribu comme une « force commune » et non pas comme une « arme de guerre ».
Cher compatriote « décentralisé », la décentralisation n’est pas une frontière, mais elle est une ouverture. Elle a les vertus d’être un pont plutôt qu’un mur. Mon expérience montre que généralement, la décentralisation est de l’ordre de la gestion réaliste de la cité pendant que nous restons « politiquement » centralisés. Tu sais, cher compatriote, hier je lisais les philosophes anciens, surtout Aristote, qui m’ont éclairé à ce sujet. Je note que politique vient du grec « polis » qui signifie cité. Et à l’époque de ces philosophes, la cité avait la signification de l’Etat. Je sais combien nous n’aimons pas les idées des philosophes parce qu’elles nous placent toujours dans un monde idéal, celui-là même que nous devions appeler de tous nos vœux. Mais la petite leçon d’Aristote devrait te garantir ton appartenance à une cité qui s’appelle : République Démocratique du Congo.

Tu comprends sans doute que les délimitations et le découpage de ton territoire national n’ouvrent aucun consulat où tu te présenterais en vue d’obtenir un visa. Ton territoire te reste ouvert autant que tu as un cœur ouvert pour la République Démocratique du Congo. Hier d’ailleurs, je lisais une lettre que mon père m’avait adressée quand nous fumes à l’internat à Kenge. Il me disait de te complimenter et de te rassurer que notre maison était ta patrie, et que tu pouvais y aller quand et comme tu veux. Il le disait à la suite des longs kilomètres qui te séparaient de tes chers parents. Par ces mots, mon père opérait une vraie décentralisation dans ton esprit, tu vois !

Ce matin, en me réveillant, j’ai demandé à mon fils aîné, Fred-Robert, de me dire, si jamais il s’appelait « décentralisation », comment se définirait-il. Je te reprends sa « déposition » :
« Décentralisation, je suis une maison dont l’occupant doit désormais connaître les coins par où la toiture laisse suinter les eaux pluvieuses qui dérangent le sommeil du petit Farel. Je suis une nation découpée administrativement, mais toujours unie d’autant que la diversité culturelle et linguistique de mon pays a toujours été les raisons de son unité. Je suis un ensemble décentralisé et non une décentralisation « centralicide ». Je suis une décentralisation congolophile et non une décentralisation congolophobe. Je suis conscient de ma décentralisation qui me rappelle ma centralisation qui est la Patrie, Une et Indivisible. Je suis une décentralisation voulue pour renforcer la politique nationale. Décentralisation, je ne suis qu’une expression de voir les frustrations de l’ingouvernabilité devenir une gouvernabilité co-centralisée. Décentralisation, je suis une conscience consciente de sa centralisation, et donc de son indivisibilité. Décentralisation, je suis la voix de deux villages qui ne se rencontrent pas parce qu’oubliés du pouvoir fortement centralisé dans les grandes villes. Je suis ces yeux qui veulent voir les gens gérer et non ces oreilles qui entendent que les gens gèrent. Je suis ces épaules qui doivent porter le poids de la tête qui est la République Démocratique du Congo ». Fin de déposition !

Cher compatriote, que te dire de plus ? « Insensé celui qui ne fait pas plus que son père » !
Je sais que tu es à Goma où tu travailles depuis plusieurs années. Restes-y, tu es chez toi. La décentralisation ne concerne pas les individus sinon le Congo perdrait son âme. Tu ne seras pas déporté ! Tu n’es pas un « expatrié » ! Ton titre de séjour est naturel et n’expire qu’à la mort. Même alors, ton titre de séjour reste éternel parce que tu le vivras avec tes arrières ancêtres dans la terre « congolaise ».
Je sais aussi que ton point de départ en tant que « décentralisé » ne sera pas du tout facile. Le plus important c’est de partir de quelque part. Tu ne perds rien en commençant. Tu n’es que « décentralisé ». Tu es un système dans un système. N’oublies pas de demeurer solidaire en donnant ou en recevant. Car, finalement, tu reçois de toi-même et tu te donnes à toi-même.

Cher compatriote, tu es décentralisé, mais tu restes Congo. Quand je reviendrai géographiquement et physiquement dans ma patrie, je te reverrai, fier de te trouver dans l’action concertée.

Je te porte cher compatriote « décentralisé » parce que tu es une partie de moi. Je suis là où tu es et tu es là où je suis. Nous vivons dans une symétrie systématique, harmonieusement agencée.

Patriotiquement tien,
Kenge, le 05 mai 2015
KINKANI MVUNZI KAMOSI, PhD
Professeur/RDCONGO
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