La seule idée d’une modification de la Constitution, qui aurait permis au président sortant Joseph Kabila de briguer un troisième mandat ayant suscité un tollé général, au Congo et à l’étranger, c’est donc la tactique du « glissement » qui a prévalu.
Samedi en fin de soirée, l’Assemblée nationale a adopté un projet de loi qui lie la tenue des prochaines élections, législatives et présidentielle, au résultat et surtout à l’aboutissement du recensement général qui doit être entamé cette année. Le texte a été adopté par 337 députés, 8 contre et 24 abstentions, mais la plupart des députés de l’opposition n’ont pas pris part au vote.
Dans un pays aussi vaste et aussi peuplé que le Congo, un recensement de la population, et donc des électeurs, représente un exercice à la fois indispensable, coûteux, et…extrêmement long. Autrement dit, subordonner les élections à l’aboutissement du recensement ne peut que différer l’exercice : il est désormais certain que les élections, qui devaient se tenir avant décembre 2016 devront être reportées, pour des raisons techniques, à l’année 2017 voire plus tard encore.
Dans les coulisses du pouvoir, il y a longtemps que cette solution est suggérée. Depuis des mois, des proches du pouvoir expliquent que le président Kabila, ayant été confronté au début de son deuxième mandat à la rébellion puis à la guerre contre le M23, estime que, contre sa volonté, il a perdu deux ans. Un laps de temps où tout l’effort national, financier et politique, a été monopolisé par la recherche d’une solution, à la fois diplomatique et militaire, au défi que posait cette rébellion soutenue de l’extérieur et qui affaiblissait l’autorité de l’Etat. Autrement dit, le régime estime qu’il n’a pas disposé des cinq années qui lui étaient nécessaires pour lancer, de manière irréversible et convaincante, les différents chantiers de la modernisation du pays. Attendre la fin du recensement représenterait donc une manière détournée de regagner le temps initialement perdu à cause de la guerre à l’Est..
Cette tactique est cependant risquée car nul n’est dupe de la manœuvre et dès lundi, lorsque les marches de protestation auront commencé, le pouvoir et l’opposition pourront mesurer leurs capacités de mobilisation respectives.
Samedi soir déjà, la majeure partie des députés de l’opposition, boycottant le vote, ont dénoncé un « coup d’Etat constitutionnel ». Un collectif formé autour des trois principaux partis de l’opposition a appelé les habitants de Kinshasa à « occuper massivement » le Parlement ce lundi, où le Sénat doit commencer à examiner le texte en vue de son adoption avant la fin de la session extraordinaire le 26 janvier prochain. Certains évoquent déjà l’exemple du Burkina Faso, où des manifestations devant l’Assemblée nationale avaient mené à la chute de Blaise Compaoré…
Rappelons que Joseph Kabila, succédant à son père assassiné en janvier 2001 avait été élu président en 2006, lors des premières élections libres tenues depuis l’indépendance en 1960. Cinq années plus tard, en 2011, il avait été réélu pour un nouveau mandat de cinq ans, le dernier en principe. Mais ce scrutin, entaché de désordres, de violences et de fraudes, avait été vivement contesté et avait affaibli la légitimité du chef de l’Etat. Ce dernier, par une victoire militaire contre le M23 et par la suite, par une politique de grands travaux (axes routiers, domaine agro industriel de Bukanga Lonzo, construction d’écoles et d’hôpitaux…) a essayé de rétablir sa popularité mais n’y a que très imparfaitement réussi.
Il faut noter aussi que la question du recensement et celle d’un possible report des élections, qui mobilisent l’opinion, occultent d’autres dispositions, elles aussi adoptées samedi soir. C’est ainsi que la caution exigée des candidats à l’élection présidentielle a doublé, passant de 50.000 à 100.000 dollars, ce qui écartera les candidatures fantaisistes mais renforcera fortement la barrière de l’argent, bien ou mal acquis….