La presse bâillonnée au Burundi

Jeudi 7 mai 2015 - 13:44

Difficile de faire son métier de journaliste au Burundi, difficile même de s’exprimer au travers des réseaux sociaux ou d’un blog.

« Si les attaques contre la liberté de la presse ne datent pas d’hier au Burundi, les événements récents témoignent d’une virulence particulière à l’encontre des professionnels des médias indépendants, soupire le site d’information Iwacu. Des radios privées de voix, des réseaux sociaux bloqués, une maison de la presse assiégée puis fermée temporairement, du matériel de reportage confisqué, des journalistes menacés, brutalisés tant par la police que par les manifestants. »

Autant de manquements à la liberté de la presse qu’a dénoncée hier la Fédération internationale des Journalistes (FIJ), qui tenait une conférence de presse à Bruxelles pour alerter l’opinion publique à propos de la situation difficile dans laquelle se trouvent les journalistes burundais. « La FIJ qui s’est surtout inquiété, rapporteIwacu, du sort d’Alexandre Niyungeko, président de l’Union burundaise des journalistes, et de celui de Bob Rugurika, directeur de la radio RPA. Des menaces sérieuses pèsent sur leur vie, les contraignant à vivre dans la clandestinité. Dans un courrier adressé au président Nkurunziza, la FIJ souligne qu’elle tiendra ce dernier pour responsable s’il était porté atteinte à l’intégrité physique de ces journalistes. »

Petite ouverture du pouvoir, relève encore Iwacu, « le procureur général de la République du Burundi a levé la mesure de fermeture de la Maison de la presse. La décision a été annoncée en boucle par les médias publics comme un signe de magnanimité du pouvoir. Mais dans le fond, rien n’a bougé. »

Le directeur Groupe de Presse Iwacu, Antoine Kaburahe, s’exprime : c’est « de la poudre aux yeux », affirme-t-il. Antoine Kaburahe qui ne décolère pas : « ils ont ouvert les bâtiments mais pas le studio où sont réalisées les émissions des radios quand elles travaillent en synergie. » Qui plus est, au sein même du Groupe de Presse Iwacu, « les lignes téléphoniques fixes ont été coupées depuis maintenant plus de dix jours. L’objectif du pouvoir en place est de compliquer au maximum le travail des médias. »

Malgré les entraves à la liberté de la presse, il reste les réseaux sociaux et les blogs, très actifs au Burundi, notamment au travers de la plateforme Yaga. Une plateforme de bloggeurs où s’expriment de nombreux jeunes. Dernier texte publié : un « J’accuse », signé d’un certain HTC. En voici quelques passages : « J’accuse le parti au pouvoir de museler la presse indépendante et de bâillonner l’opposition politique. Je les accuse de faire taire leur propre peuple en lui donnant pour exil le ciel, donc la mort, parce qu’il n’est pas de même avis que lui. […] Où est passé la Radio publique africaine ? Qu’avez-vous fait de nos réseaux sociaux. Rendez nous notre application Whastapp. »

Le chaud et le froid…

Dans la presse de la sous-région à présent, on s’interroge sur la suite des événements au Burundi… « Certes, le président Nkurunziza maintient sa ferme décision de briguer un nouveau mandat. Mais, relève le site guinéenLedjely.com, il a conscience que la poursuite des manifestations est porteuse d’une dose potentielle de violence qui risque de l’emporter plus tôt que prévu. Et c’est ainsi qu’il alterne le chaud et le froid. Il arrête et libère quelques heures plus tard l’opposant Audifax Ndabitoyeré. De même, il multiplie les offres de trêve dans les affrontements. Mais force est de reconnaître qu’en retour, ses concessions sont plutôt maigres. »

« Nkurunziza a peut-être gagné une bataille, mais pas la guerre, s’exclame Le Pays au Burkina. Car, à l’allure où vont les choses, on se demande si la tenue même des élections n’est pas menacée. En effet, en marge de la présidentielle du 26 juin prochain, des législatives et des communales sont prévues dans trois semaines et la campagne électorale devrait commencer dans trois jours. Mais si la situation devait rester en l’état, voire empirer, on peut nourrir de sérieux doutes quant à la tenue effective de ces élections, mais aussi et surtout aux conditions de transparence et à la crédibilité du scrutin. »

Un sommet régional extraordinaire sur la situation au Burundi devrait avoir lieu mercredi prochain en Tanzanie, à l’initiative de la Communauté d’Afrique de l’Est. Commentaire du quotidien Aujourd’hui, toujours à Ouaga : « l’ambition de ce sommet est fort noble. Restaurer la démocratie dans un pays où seul son président peut être accusé de vouloir la déraciner. Reste à savoir si les chefs d’Etat pourront désamorcer la bombe que Pierre Nkurunziza a lui-même enclenchée. Les Burundais seront en effet, curieux de savoir si les pairs de leur président sortant qui ne veut pas sortir, pourront tenir un langage de vérité, afin de ramener leur homologue à la raison. Pas si évident, lorsque l’on sait que le désir de quitter le pouvoir n’est pas la chose la mieux partagée par la plupart de ces chefs d’Etat. »