“Le mariage, c’est le cheminement ensemble d’un homme et d’une femme, dans lequel l’homme a la tâche d’aider son épouse à être davantage femme, et la femme a la tâche d’aider son mari à être davantage homme. C’est la réciprocité des différences » ; dixit le pape François, lors de l’homélie pour le mariage de vingt couples qu’il a présidée en la Basilique Saint-Pierre, le 14 septembre 2014, à l’occasion de la fête de la Croix glorieuse.
Mais pour en arriver là, il faut passer par quelques étapes préliminaires, notamment le versement de la dot. Curieusement, épouser une femme de nos jours en RD Congo, particulièrement dans les chefs-lieux des provinces et notamment dans la capitale Kinshasa, est synonyme d’avoir les poches pleines. Raison ? Il s’observe une pratique qui consiste à “vendre” presque la jeune fille que l’on donne en mariage, par l’exagération du coût de la dot, une pratique qui consacre la rupture avec les valeurs traditionnelles, Comme qui dirait, autres temps, autres mœurs ».
En effet, l’argent de la dot qui établit le lien du mariage entre familles africaines, est devenu en RDC, un casse-tête pour les jeunes prétendants. Le coût de la dot a été revu à la hausse, bravant du coût, la valeur de ce geste voulu pourtant” symbolique”. Dans plusieurs familles rd congolaises, lu dot a pris des allures d’une facture 9iobale, incluant tous les frais et les dépenses consenties durant l’éducation et la formation de la jeune fille qu’on veut donner en mariage. Dans plusieurs cas, la dot inclue les frais de scolarisation, de logement, d’habillement, de maladie, d’alimentation voire la beauté et surtout la virginité de la jeune fille.
Dans d’autres familles, [e prix de la dot monte de plus en plus en flèche, surtout lorsque la jeune fille qui est proposée au mariage, a fait des études supérieures et universitaires, et est détentrice d’un titre académique. ‘ Je suis en droit d’entrer en possession de toutes les dépenses que j’ai faites pour scolariser ma fille. Et personne n’a le droit de me l’interdire “, a laissé entendre Papa Oscar Lumingu, sexagénaire de son état et originaire de Mbanza-Ngungu dans la province du Bas-Congo, qui commentait sur le sujet.
Dans plusieurs autres cas encore, la dot est fixée selon la nationalité du prétendant. A cette occasion, la famille qui veut marier sa fille n’hésite pas à fixer la dot jusqu’à 5000 euros ou l’équivalent en dollars américains, à part d’autres objets que Ion verse à la belle-famille.
Papa Antoine Mabonso, sage de la même province n’appréhende pas les choses de la même manière. Il explique que cette façon de faire peut être considérée comme une déviation par rapport à la culture de la dot selon les rites africains. Selon lui, les parents qui se complaisent dans cette pratique, font montre d’un comportement éhonté et exagéré, qui hypothèque souvent les chances de leur fille, d’obtenir une demande en mariage. Certaines familles encore, ajoute-t-il, exposent leur fille à toute sorte d’esclavagisme vis-à-vis de la personne qui a consenti plusieurs milliers de dollars ou d’euros pour l’épouser. Dans ce cas, le mari se permet de tout faire sur sa femme, la chosifiant presque.
J’ai vécu un cas pareil où un chef de famille, tout en gueulant sur son épouse, ne lui permettait pas de placer ne fût-ce qu’un seul mot, au motif qu’il a déboursé beaucoup d’argent pour l’épouser “, a encore poursuivi Papa Mabonsono, visiblement déçu par ce qu’il qualifie de commerce dissimulé.
Même réactions du côté de maman Madeleine Mbongo, originaire de Tshela dans la province du Bas-Congo : « Pourquoi dois-je vendre ma fille? En tout cas, nos parents ne nous ont pas instruits de la sorte. Pour moi, la dot doit être exigée de manière convenable et non fantaisiste “, a-t-elle insisté.
Intéressée par le débat, mademoiselle Thérèse Lutete, originaire de la même province, mais mariée à un originaire de Bandundu, estime pour sa part que le mariage ne se limite pas à la dot. “ Le mariage est plutôt une continuité. Pour cela, il n’y a pas de raison de l’exagérer, car les deux familles e retrouvent toujours d’une manière ou d’une autre, particulièrement dans des circonstances qui nécessitent des cotisations et/ou d’autres pourparlers (deuil, mariage, anniversaire … ».
Mademoiselle Suisse Mwanza, originaire de la province de Makela do Zombo en Angola, vivant à Kinshasa, n’est pas du même avis “ Je crois que mes parents sont en droit de bénéficier des fruits de leurs entrailles. Et l’occasion pour le faire, c’est lorsque l’une de leurs filles se marie », soutien-t-elle.
La dot : un fond de commerce en RDC?
S’il faut situer les origines de la dot selon certains analystes et sociologues qui ont écrits des documents à ce sujet, il faut retenir que c’est une coutume ancestrale instituée depuis la création du monde. Elle constitue un acte symbolique réunissant les aspirations d’un jeune couple à se passer la corde au cou. A l’époque, la dot ne nécessitait pas trop d’extravagances en termes d’objets et d’argent à remettre à la famille de sa bien-aimée. Mais altérée au fil des âges, la dot ressemble aujourd’hui à un fond de commerce, mieux une possibilité de faire fortune ou d’apaiser la misère de certaines familles misérables, surtout lorsque la jeune fille est aussi d’une beauté extraordinaire. Ceux qui s’hasardent dans les familles riches ou métissées ou dans celles où la jeune fille est encore vierge, en savent certainement quelque chose.
Dans ces derniers cas d’espèces, le demandeur incapable doit s’abstenir, parce que les parents de la jeune fille, apeurés de voir cette dernière connaître la misère ou de ne pas être en mesure de subvenir de temps en temps aux besoins de la famille, préfèrent la donner au plus offrant, en établissant une facture en dollars américains ou en euros. Et cela, même si l’Etat congolais lui-même reconnaît que la dot a un caractère symbolique. Elle est facultative et peut être payée en nature, en espèces ou sous les deux formes. Mais en aucun cas son montant ne peut être exagéré. L’article 363 du. Code de la famille reste clair à ce sujet : “ La dot ne peut dépasser la valeur maximale fixée par l’ordonnance du président de la république, prise sur proposition des assemblées régionales ».
Mais hélas, aucun édit n’a été pris jusque là par les députés provinciaux, après plusieurs années de mandature.
Face à une telle situation, le prétendant se voit du coup désarçonné et décide parfois de laisser tomber malgré lui. Par contre, s’il tient à cohabiter avec sa future épouse, il va chercher des moyens parfois flous, l’essentiel étant de répondre à la demande de la belle-famille. La jeune fille quant à elle. victime de ce mercantilisme, encourt le risque de coiffer Sainte Catherine, c’est-à-dire, de demeurer célibataire jusqu’à l’âge adulte, avec la malchance de rater le mariage, surtout lorsqu’on tient compte de la conjoncture économique actuelle.
Les avis sont partagés
Plusieurs de ceux défendent la pratique de la dot exorbitante en RDC, font savoir que c’est un moyen qui permet d’organiser le mariage coutumier qui se termine inévitablement par une bruyante fête, pour attirer dans la plupart des cas, l’attention des voisins, notamment dans des quartiers reculés. Pour eux, celui qui a l’argent et qui aime sa femme, peut tout se permettre, oubliant surement que l’argent est souvent réputé bon et mauvais serviteur à la fois. Il comporte e lui-même les germes de la dépravation et peut pousser une personne à creuser sa propre tombe.
Par ailleurs, la cupidité de certaines familles pousse les différents prétendants à la dérive, au détournement, voire à une crise des nerfs. Comme pour affirmer aussi que cette boulimie incontrôlée d’argent, fait que les hommes qui en dispose, deviennent hautains et multiplient les conquêtes, sous prétexte d’être en mesure de s’acquitter de la dot. “ C’est ce qui fait souvent que bon nombre de filles se retrouvent dans des foyers polygames, au sein desquels elles sont l’objet d’aucune considération de la part de leurs maris “, a indiqué mademoiselle Sergine Rehema Kazouri, originaire de la province de l’Equateur et Journaliste-reporter à la radio Top Congo FM émettant en RDC, questionnée au sujet de la dot. Elle ajoute que dans leur coutume, on marie la jeune fille moyennant quelques symboles (deux chèvres, 1 manchette, 1 lampe Coleman, une couverture, vélo...) y compris l’argent de la dot dont le montant n’est pas exagéré.
Beaucoup d’autres prétendants se complaisent dans la fameuse formule “Yaka to vanda” (traduisez
Viens pour que nous cohabitons ensemble, qui du reste, est une sorte d’union libre) ou engrossent carrément les jeunes filles pour faciliter ladite cohabitation, faute de réunir les moyens pouvant constituer la dot exigée par la belle-famille. Conséquence, des couples informels se constituent et prennent de l’ampleur sans que les familles des conjoints aient voix au chapitre », a ajouté Berckam Nzangi, originaire de Equateur et étudiant à Université Catholique Cardinal Malula (UCCM), ex-ISPL.
Mademoiselle Sandrine N’tshiri, Journaliste au tri-hebdomadaire Africa News paraissant à Kinshasa, a également donné sa contribution, sur ce qui se passe chez es Yansi, une ethnie de la province du Bandundu : « Chez nous, le prétendant doit commencer par acheter le Kintsuiri, une pratique qui permet à l’enfant de la tante, de se marier avec sa cousine. C’est pour libérer la future mariée du joug de la coutume. Vient ensuite la lettre, accompagnée d’un symbole ainsi que des objets généralement remis à la belle-famille “, a-t-elle déclarée, ajoutant que chez les Yansi, la facture n’est pas exagérée Elle est souvent fixée à 1 .000 US, avec la possibilité d’être revue à la baisse, par rapport à d’autres tribus.
Maman Bora Kadidja, veuve de son état, renseigne qu’au Sud-Kivu, il n’était pas question de verser une quelconque somme d’argent pour la dot, en lieu et place des vaches. Parlant de son cas, sa belle-famille avait donné quatre (4) vaches. Mais ces coutumes ont perdu leur valeur à cause de l’évolution des choses sur terrain. Néanmoins dit-elle, la dot ne dépasse pas 1.000 US. Au contraire, les parents peuvent soutenir les nouveaux mariés sur le plan matériel et financier.
Elle reconnaît par ailleurs que dans certains coins du Sud-Kivu qui ont connu la colonisation des arabes, les populations tiennent compte de la virginité de la jeune fille et fixe la dot par rapport à la valeur de leur fille.
Papa Ngoy Mutambayi, conducteur de machine d’imprimerie, regrette le fait que tout le monde soit tombé dans le piège des kinois. Originaire du Kasaï-Oriental, il explique que chez eux, tout commence par l’information que la jeune fille apporte à ses parents celle d’avoir trouvé un prétendant. Vint ensuite la rencontre entre le prétendant et ses futurs beaux-parents, l’objectif étant de disposer d’une parfaite connaissance sur la famille du prétendant, notamment sur le plan éducationnelle.
Au moment de conclure le mariage, une modique somme de 100 ou 200 us était exigé au village. Mais toutes les familles qui se sont transportées à Kinshasa, ont presque perdu les valeurs de la dot. “ Nous sommes obligés de nous conformer aux exigences de la capitale. Dans un passé récent, j’ai discuté jusqu’à 1100 us pour une facture de 2500 us infligé à mon fils par sa belle-famille, alors que pour ma part, je n’ai jamais demandé plus de 400 us pour marier mes enfants “, a-t-il regretté.
Au regard de ce qui précède, on peut tirer comme leçon que le fait de vouloir trop maximiser le gain ou le profit à travers la dot, plusieurs familles arrivent à tout gâcher ou à tout perdre. En cas de divorce, certaines de ces familles ne savent plus où donner de la tête, surtout lorsqu’il s’agit de restituer la grosse dot perçue. Pourtant, la femme étant le socle de la société, a droit au respect et aux valeurs, et non être chosifier comme c’est le cas dans plusieurs familles à Kinshasa et dans d’autres provinces de la RDC. Par conséquent, toute pratique dégradante liée à une quelconque instrumentalisation de sa personne, devra être bannie.
La dot en Afrique t en occident : un contraste
L’une des plus anciennes traditions dans les relations familiales, la dot continue aujourd’hui d’exister dans plusieurs sociétés africaines. Elle existait également dans la culture occidentale, mais pas avec les mêmes caractéristiques que celles des sociétés africaines, au motif que la dot occidentale est un ensemble de biens apportés par la femme ou par sa famille, pour subvenir aux besoins du nouveau ménage qui se fonde. En droit romain par exemple, la dot est l’ensemble de biens apportés par la femme pour contribuer aux charges du ménage.
Elle est également définit par l’ancien article 1540 du code civil français comme « le bien que la femme apporte au mari, pour supporter les charges du mariage ». De ces différentes définitions, les biens dans la conception occidentale de la dot, sont apportés par la femme. Dans la Fédération de Russie par exemple, la dot n’existe pas. A la place, il est facultatif de donner à la famille de sa future femme, un symbole.
Plus loin encore, dans le système islamique des droits, l’homme offre un cadeau à la femme elle-même, et aucun de ses parents n’a le droit d’en disposer. La femme reçoit le cadeau, tout en préservant son indépendance sociale et économique. Elle choisit son mari librement, et non selon la volonté de son père ou de son frère. En outre, ni son père, ni son mari, n’ont aucun droit de l’asservir ou de l’exploiter. Le produit de son travail et de ses efforts lui appartiennent exclusivement. Et en matière financière, elle n’a besoin du contrôle ni du patronage de personne.
Son mari n’a qu’un seul droit il peut jouir sexuellement de sa femme. Et tant que leurs relations conjugales subsistent, le mari a l’obligation de pourvoir aux besoins légitimés de sa femme, dans les limites de ses moyens financiers.
Mais dans la vision africaine, c’est plutôt le futur mari ou sa famille qui apporte des biens, non pas au profit du nouveau foyer, mais au profit non seulement de la belle-famille, mais aussi de la femme elle-même. La dot africaine constitue donc un ensemble d’objets et de cadeaux en espèces ou en nature (compensation matrimoniale en raison d’un service spécial rendu) offerts par la famille du fiancé à celle de la fiancée, pour exprimer l’hommage que la famille demanderesse rend à la famille de la jeune fille.
Quelques cas d’arrangement
Heureusement que les cas d’exception ne manquent jamais. En effet, dans la plupart des familles à Kinshasa, on trouve quand même certains arrangements, lorsqu’il s’agit particulièrement d’une grossesse avant le mariage. Dans ce cas, les deux familles peuvent se concerter pour ne pas salir l’honneur de la famille de la jeune fille, à travers quelques allègements. Mais le comble est que ce sont les membres de la famille élargie qui compliquent souvent les choses, pendant que les parents de la jeune fille eux-mêmes, ne s’opposent guère pour arriver à des solutions à l’amiable, leur fille étant déjà grosse.
Il arrive aussi dans le même cas, que certaines formalités coutumières soient momentanément mises à l’écart entre les deux familles, principalement l’exigence de la dot, en attendant l’accouchement de la jeune fille. “ On ne peut pas vendre une chèvre avant qu’elle ne mette bas », commente Monsieur Nestor Kumbu, comparant cet adage à la grossesse de la jeune fille, notamment dans plusieurs tribus de la province du Bas-Congo.
Par José Wakadila