(Par Christelle LUSASA, sous la coordination de Yves KALIKAT)
Les grossesses des adolescentes sont devenues monnaie courante dans plusieurs quartiers de Kinshasa. Il est ainsi de plus en plus fréquent de voir des mineurs devenir des parents dans ces zones de la capitale, alors que ces jeunes ne sont pas encore mâtures. Un tour à Kingasani, Kingabwa, Malueka…et camp Luka nous a permis de nous en rendre bien compte. Reportage.
Nous sommes à Kingabwa, l’un des quartiers populeux de la commune de Limete. Ce matin, une ribambelle d’enfants, âgés de 2 à 5 ans, débusque sur le petit marché de ’’Point chaud’’, accompagnés de leurs jeunes mères. Toutes adolescentes. Munis chacun d’un billet de 100 francs congolais, ces enfants viennent réclamer leur plat matinal préféré : le spaghetti aux haricots. Un menu peu coûteux, mais très prisé par ces mineurs et leurs mères, dont l’âge oscille entre 12 et 17 ans.
Le spectacle est courant dans ce petit marché où les vendeuses se sont habituées à voir défiler ce cortège de gamins qui ont pris goût à ce déjeuner. Curieusement, quand on scrute les rangs de ces filles-mères qui se pointent avec des enfants, qui à la main, qui sur le dos, on est parfois étonné de les trouver encore grosses. Ce qui désole bien des parents présents sur le lieu.
DES GROSSESSES EN CASCADE
Certains, privés de ressources, assistent impuissants à la recrudescence de ce phénomène, où bon nombre de leurs enfants mineurs deviennent parents très tôt. Si les filles n’ont pas de choix quand elles accouchent, les garçons, eux, fuient souvent leurs responsabilités en niant les grossesses.
Les parents de jeunes mères se sentent, dès lors, contraints, non seulement d’héberger leurs enfants, mais aussi d’élever leurs petits-enfants avec leurs maigres moyens. Ce qui n’empêche toutefois pas les filles-mères de tomber de nouveau enceintes d’un quidam.
DES ADOLESCENTS QUI REFUSENT LEUR PATERNITE
Ces types de scènes sont également fréquents à Kingasani ya suka, un autre quartier parmi les plus populeux de Kinshasa. Logée dans l’immense commune de Kimbanseke, cette contrée regorge d’un nombre important de parents mineurs. Des filles comme des garçons. Sur une avenue où nous nous nous sommes rendus, on retrouve au moins une fille-mère par parcelle. Très rare d’y voir une fille qui se marie légalement.
A 28 ans, Ya Mado a tiré les leçons du passé. Mère de deux enfants qu’elle a eus lors de ses aventures de jeunesse quand elle avait encore moins de 18 ans, elle réside encore sous le toit parental, ses amants d’antan s’étant évaporés. Sa petite sœur, âgée de 22 ans, est enceinte pour le moment, comme d’ailleurs plusieurs pubères du quartier qui se promènent à fière allure dans la rue. Toutes ces filles ont en commun le fait qu’elles ont été engrossées. Engrossées par des adolescents qui refusent en bloc la paternité qu’on leur attribue.
"Dans nos quartiers, tomber enceinte alors qu’on est encore mineure n’étonne plus personne, avoue Ya Mado. Aujourd’hui, plusieurs jeunes de 12 à 17 ans n’hésitent plus à se faire engrossées, motivées bien souvent par la concurrence. C’est devenu ici un honneur quand une fille sort de la maternité, quel que soit son âge. Le long cortège des motos qu’elles louent pour faire du tapage dans la rue quand elle revient à domicile avec son bébé, les hurlements de ces copines qui l’accueillent à domicile, la musique assourdissante balancée par les motards, les folies festives qui s’ensuivent dans les terrasses environnantes…".
ACCESSIBILITE DU COUT DE LA MATERNITE
"Les frais de maternité dans les centres hospitaliers de Kingasani ne sont pas du tout coûteux, relaye à son tour Maman Véro B. Lorsqu’une fille accouche d’un garçonnet, le coût revient à 5000 Fc. Et quand il s’agit d’une fillette, les tarifs s’élèvent à 7.000 Fc. Vu l’accessibilité de ces frais médicaux, nos jeunes filles se sentent motivées à tomber enceinte et s’organisent elles-mêmes pour faire du boucan".
"La grossesse de nos filles est généralement prématurée, comme d’ailleurs leur vie, se plaint Maman Véro B. Elles n’ont pas fini d’être filles, qu’elles sont déjà mères. Et ces jeunes mamans se retrouvent souvent devant de problèmes graves. Devenir mère trop tôt et, dans certains cas, délaissée par le père de l’enfant qui ne veut pas reconnaitre la grossesse, fragilise ces mineures, contraintes désormais de s’occuper elles-mêmes de leur ’’progéniture’’
DEVELOPPER UNE SEXUALITE RESPONSABLE
La cinquantaine révolue, sage-femme dans une maternité des religieuses au camp Luka, dans la commune de Kintambo, Bernadette Likindo avoue que, chaque semaine, une centaine de mineures enceintes sont redirigées vers des hôpitaux de référence disséminés à travers la capitale. "Notre maternité, explique-t-elle, refuse d’accueillir des mères non adultes, de peur d’accumuler des tas de factures impayées de la part de ces mineures qui, souvent, n’arrivent pas à honorer leurs engagements et laissent de nombreuses dettes à la caisse".
"Une grande partie de ces filles enceintes qui poursuivent la grossesse, sont orientées dans des hôpitaux où le personnel médical les sensibilise au planning familial, commente Bernadette Likindo. Les futures mères se soumettent, par ailleurs, à un suivi psychosocial à moyen terme et à la préparation de la naissance". Une manière pour elle de développer une sexualité désormais responsable.
LA RESPONSABILITE DES PARENTS
L’éducation sexuelle est restée longtemps un sujet tabou dans les familles africaines. La République démocratique du Congo n’en est pas épargnée. "Responsables au premier plan, les parents sont devenus de plus en plus laxistes au point de ne plus assumer complètement leurs responsabilités, vu la précarité de la vie qu’ils mènent. Par conséquent, leurs enfants adolescents - les filles comme les garçons - n’ont pas les informations qu’il faut et n’arrivent pas à gérer leur sexualité, n’étant pas suffisamment encadrés", commente un analyste.
"J’incombe la faute à nous, les parents. C’est à nous qu’il revient d’aider les adolescents à franchir cette période délicate de leur vie avec beaucoup de responsabilité. Nous devrions les encadrer le mieux possible. Il nous faut aussi mettre à leur disposition des informations honnêtes. Et pour ce faire, avoir une approche amicale et sereine avec eux. Il ne faudrait donc pas banaliser la sexualité chez les jeunes".