Le porte-parole du gouvernement, Lambert Mende, a déclaré au cours d’une émission de la RTNC que le président Joseph Kabila serait favorable à un dialogue avec l’opposition. Le président serait donc prêt à discuter avec vous, Etienne Tshisekedi et les partis qui n’ont pas participé aux Concertations nationales. Accepterez-vous une telle invitation ?
Vital Kamerhe – Gouverner, c’est dialoguer de façon permanente. Cela évite les mauvaises interprétations, les malentendus… et les suspicions. Nous sommes pour le dialogue selon le format d’Addis-Abeba et de la résolution 2098. Nous devons éviter d’être une opposition qui dit non à tout. Le président Kabila peut nous consulter sur les sujets sensibles, mais il faut qu’il mette les formes : comment allons-nous dialoguer et sur quoi doit porter ce dialogue ? Dans cette émission de la RTNC, monsieur Mende dit que nous pourrons évoquer les sujets tabous, mais nous disons qu’il faut aussi parler des questions qui sont dans l’accord-cadre d’Addis-Abeba. Cela nous donnera l’occasion de tirer les conséquences des mauvaises élections de 2011, afin de baliser le chemin vers les bonnes élections.
Afrikarabia – Si ce face à face a lieu, vous aimeriez que Joseph Kabila vous en dise plus sur ses intentions en 2016 ?
Vital Kamerhe – J’aurai effectivement l’occasion de lui poser la question. Je lui rappellerai que dans la Constitution qu’il a lui-même promulgué le 18 février 2005, il y a des articles verrouillés, intangibles. Il y les articles 220 (dans lequel le président ne peut briguer plus de deux mandats consécutifs – ndlr) et le 197 (relatif aux élections des députés provinciaux – ndlr). Et nous devons tous respecter cette Constitution, la majorité comme l’opposition. J’aurai aussi l’occasion de lui poser cette question : « en 2016 vous aurez fait 15 ans au pouvoir, que comptez-vous faire encore que vous n’avez pas fait en 15 ans ? Est-ce que moyennant des garanties (Vital Kamerhe propose un statut spécial pour les anciens présidents de la République – ndlr), vous ne pouvez pas laisser le pays avancer, parce que nous allons visiblement vers des affrontements ? ». Il n’y a aucun consensus pour modifier la Constitution en RDC. Tout le monde est contre : l’opposition, la Société civile, le président du Sénat et même une partie de la majorité, avec notamment le MSR de Pierre Lumbi, qui dit lui aussi « non à la révision constitutionnelle ». Même le gouverneur du Katanga ne soutient pas cette initiative. Il y a donc risque de déflagration au niveau national. Nous accepterons donc ce dialogue pour parler de ces questions et savoir comment faire pour éviter un drame national.
Afrikarabia – Souvent, qui dit dialogue, dit partage du pouvoir. Si Joseph Kabila vous proposait de partager le pouvoir, est-ce que vous accepteriez ?
Vital Kamerhe – Non ! Nous devons être très clair là-dessus. Pour nous, le 19 décembre 2016 à minuit, il faut absolument qu’il y ait un autre président de la République en RDC. De l’opposition, de la majorité ou de la Société civile… mais dans tous les cas de figure, la Constitution interdit qu’une même personne puisse cumuler trois mandats. Ce n’est donc pas un combat contre le président Kabila, mais pour les valeurs républicaines et du droit. Pour nous, c’est clair : nous ne sommes pas demandeurs de postes. Et concernant notre mouvement, l’UNC, nous avons même des documents d’engagement pour ceux qui seraient tentés d’entrer dans le gouvernement. Laissons le président Kabila terminer son cycle et entrer ensuite dans l’alternance. Pendant ce temps, nous affinons nos propositions pour offrir aux Congolais une alternative crédible. Que comptons-nous faire que le président Kabila n’a pas pu faire ? Voilà notre combat.
Afrikarabia – Est-on sûr qu’il y aura des élections en 2016 ? Un grand recensement de la population est annoncé. Cela prendra sans doute beaucoup de temps. Y-a-t-il un risque de voir le mandat du président Joseph Kabila se prolonger ?
Vital Kamerhe – Les signaux qu’envoie le pouvoir actuel laissent entrevoir quelques scénarii. Premier scénario : le président Kabila veut réviser la Constitution par le Parlement et faire le forcing. Avec la déclaration du président du Sénat, qui est contre, la division de la majorité et l’unité au sein de l’opposition, Joseph Kabila sent bien que ce sera très difficile. Le deuxième scénario est de passer par le référendum. Mais le président hésite. Avec le climat social qui règne dans le pays, pourra-t-il organiser correctement ce référendum ? Avec bien sûr le risque que le peuple dise non. Le troisième scénario constitue à lancer un vaste recensement. Le pays n’a pas de voies de communication et environ 70 millions d’habitants à recenser. Cela prendra au minimum 3 ou 4 ans. En commençant ce recensement fin 2015, il terminera vers 2020. Au bas mot, Joseph Kabila aura gagné un mandat supplémentaire de 5 ans. Ce scénario, c’est le glissement du calendrier. Enfin, le quatrième scénario est de créer des troubles partout, aux quatre coins du pays… avec des groupes armés comme les ADF-Nalu, Cobra Matata, les Simba, les Bakata Katanga. On se dit que la victoire supposée du gouvernement sur le M23 n’a été que de courte durée pour les Congolais du Nord-Kivu. Le gouvernement nous avait expliqué qu’il avait anéanti les ADF-Nalu, comment expliquer leur retour à Beni ? Dans ce quatrième scénario, Joseph Kabila veut créer un régime de peur pour instaurer une gouvernance d’exception. Mais Joseph Kabila sent que les marges de manoeuvre se réduisent. Et je pense que des 4 scénarii, il risque de privilégier le glissement et jouer les prolongations.
Afrikarabia – Que peut faire l’opposition s’il y a glissement du calendrier électoral ?
Vital Kamerhe – Nous n’allons pas attendre le glissement du calendrier. C’est pourquoi, après notre meeting du 4 août, notre marche du 13 septembre, nous avons prévu un sit-in le 20 octobre devant les bureaux de la Monusco à Kinshasa. Pourquoi la Monusco ? Parce que la voix de la communauté internationale est devenue inaudible. Avec les dernières nominations dans l’armée, on voit que le décor de la répression est planté. Pendant ce temps, le président Kabila reçoit les ambassadeurs et fait des annonces. Il annonce la création d’un gouvernement de cohésion nationale. Une année après, il n’y a toujours pas de nouveau gouvernement et la communauté internationale ne dit rien. Elle voit que la production de cuivre augmente, que le Premier ministre annonce un taux de croissance « exceptionnel »… alors que le peuple est toujours dans la misère. On n’assiste pas un peuple en danger, il y a quelque chose qui nous étonne.
Afrikarabia – Vous avez l’impression que la communauté internationale a encore un poids suffisant pour influer sur les décisions de Joseph Kabila ?
Vital Kamerhe – Pour faire avancer les choses il faut la conjonction de deux facteurs : à 10-15% nous comptons sur la communauté internationale et pour le reste nous comptons sur le peuple congolais. Et nous l’opposition, nous ne devons pas avoir peur des bombes lacrymogènes ni des balles réelles comme nous l’avons fait à Bukavu (voir notre article). On a démontré que, quand un leader tient le flambeau, le peuple suit. Mais si vous restez à la maison, il est normal que le peuple ne bouge pas.
Afrikarabia – Cela veut dire que vous allez maintenir la pression dans la rue en organisant des manifestations très régulièrement ?
Vital Kamerhe – Absolument. Après le sit-in du 20 octobre, il y aura un grand meeting dans un autre quartier populaire de Kinshasa avant de commencer une grande tournée au mois de janvier au plus tard dans toutes les provinces du pays.
Propos recueillis par Christophe RIGAUD – Afrikarabia