Les rideaux de la salle des spectacles du Palais du peuple se sont ouverts le jeudi 28 juillet dernier. A l’affiche de cette soirée, la présentation, en première, de la pièce ’’Et pourtant, elle tourne’’, œuvre du dramaturge congolais Henri Mova Sakanyi. Au rendez-vous dans une salle comble, les spectateurs ont été emballés par les talents des artistes et le message véhiculé par l’auteur.
Quand les lampions s’allument, le public se voit transporté dans un décor colonial. Dans une Afrique qui assiste, impuissante, à l’invasion des Occidentaux, dont la présence est loin d’inspirer la quiétude.
Vite, ces peuples africains, légendairement hospitaliers, se rendent compte qu’ils ont affaire à des esclavagistes, qui les soumettent à la traite négrière, emportant des milliers de bras vigoureux en Amérique pour servir d’esclaves dans des plantations agricoles. Nombreux sont les déportés qui meurent, noyés, dans l’océan au cours du voyage.
Insatisfaits, les esclavagistes retournent sur la côte pour exiger une autre main d’œuvre, beaucoup plus efficace. Ils sont, dès lors, tenus de coopérer avec des négriers africains qui leur offrent, faute de mieux, le reste d’hommes chétifs, ainsi que des femmes et des enfants, vidant ainsi le continent de ses ressources humaines.
"C’EST IMMONDE… AINSI EST FAIT LE MONDE !"
"C’est immonde !", déplore un des négriers africains. "Ainsi est fait le monde !", rétorque un esclavagiste occidental, en vedette dans le spectacle. Et comme si cela ne suffisait pas, aux esclavagistes succèdent les colonisateurs, qui perpétuent l’exploitation de l’homme par l’homme, cette fois, sur le continent noir.
Vint alors la guerre mondiale. La seconde. Les pays colonisateurs décident alors de recourir aux colonisés pour renforcer leurs troupes… en péril. Et là, les Africains découvrent le pot aux roses.
Ils se rendent compte que leurs maîtres d’antan sont aussi fragiles. Qu’ils ont également peur, qu’ils peuvent se blesser, capituler, voire mourir en si peu de temps. Et que colonisateurs et colonisés ont tous le sang rouge. Qu’ils ont, chacun, le droit de jouir de la liberté... D’où, la remise en question du système colonial, et la révolte qui permet aux opprimés d’obtenir l’indépendance.
LA QUETE INASSOUVIE DES EXILES
La scène ne s’arrête toutefois pas là. Les projecteurs focalisent, par la suite, l’attention des spectateurs sur ces exilés économiques africains, qui croient trouver mieux en se rendant clandestinement en Europe. Munis de diplômes, ils sont désillusionnés quand ils s’aperçoivent que le chômage bat aussi son plein en Occident, les poussant à vivre désormais en ’’sans domicile fixe’’ (SDF), végétant quotidiennement dans la rue.
Ils rêvent dès lors de l’Extrême Orient, de la Chine en particulier, de ce grand monstre asiatique qui se réveille et brasse des milliards. Pendant ce temps, les Chinois, de leur part, rêvent curieusement d’aller trouver du débouché en Afrique, le continent de l’espoir, où la quête du travail ne pose plus problème, pensent-ils. C’est sous cette note que la pièce "Et pourtant, elle tourne" tire sa révérence… laissant les nombreux spectateurs sur leur soif.
LE MESSAGE VEHICULE
Captivant, ce récit du dramaturge Henri Mova Sakanyi focalise l’attention de l’opinion sur les méfaits de l’exploitation de l’homme par l’homme, qui avilit la personne humaine et bafoue ses droits. La première de cette pièce intervient un mois après la célébration du 56ème anniversaire de l’indépendance de la RDC, un moment qui pousse à s’interroger sur les violations des droits de l’homme, devenues récurrentes, mais aussi sur le néo-colonialisme qui refait surface.
Placée sous le haut patronage d’Aubin Minaku, le président de l’Assemblée nationale, cette soirée VIP a été rendue possible grâce au concours des acteurs de l’Institut National des Arts (INA).
LE SOUTIEN DES ARTISTES
Sous la direction d’Elbas Manuana, artiste et enseignant dans cette école de l’art, ces comédiens ont interprété cette pièce théâtrale avec brio... en hommage à l’artiste musicien Papa Wemba et à l’ancien ministre de la Culture et des Arts, Banza Mukalay.
Cette pièce, annoncent les organisateurs, marque l’ouverture de la saison du théâtre dans une salle de Congrès quasiment retapée. Initiative du Carrefour Congo Culture et Afrisophia, une ASBL qui milite pour la promotion de la culture congolaise, cette soirée est saluée par plusieurs artistes congolais opérant dans divers domaines.
Mobilisés comme un seul homme, les grands noms du « théâtre populaire » du pays (’’Masumu Debrindet’’, Kwedi, Elombe, Roch Bodo…), des organisateurs de spectacle comme Ado Ndombasi, l’initiateur du spectacle humoristique ’’Toseka’’, ainsi que des vedettes musicales de renom (Barbara Kanam, Jean Goubald, Lita Bembo, Manda Chante, Frère Patrice Munsoko…) ont répondu au rendez-vous. Ils saluent cette initiative qui permet de ressusciter le théâtre classique, disparu des salles de spectacle de Kinshasa, voire de la République démocratique du Congo.
"C’est pour nous l’occasion de montrer à nos hôtes, qui visitent le Congo, que notre pays n’a pas que la musique à offrir, mais également plusieurs autres activités culturelles, à l’instar du théâtre classique", a lâché, toute heureuse, la chanteuse congolaise Barbara Kanam à l’issue de la soirée.Yves KALIKAT