Quand on demande aux apparatchiks et courtisans du pouvoir des dictateurs » présidents à vie » ce qu’ils pensant des événements du Burkina Faso ayant entrainé la chute brutale de Blaise Compaoré et son règne, ils répondront avec désinvolture qu’ils ne sont pas concernés ni inquiétés par ce qui s’est passé là-bas.
Non, ils ne sont pas sincères et honnêtes. Ils sont si tétanisés par l’effet de la terrifiante leçon des événements qu’ils sont encore loin de s’en remettre.
Ils sont toujours visiblement en état de choc, accablés d’insomnies et d’épouvante à cause de l’épée de Damoclès désormais suspendue au-dessus de leur tête. La preuve en est que depuis lors, la révision des Constitutions dans ces pays des » présidents à vie » a brusquement cessé d’être à l’ordre du jour, et pourtant c’était le sujet dominant d’actualité de leurs préoccupations.
Il ressemble désormais à un tabou. Tous ceux qui s’affichaient révisionnistes zélés et acharnés n’osent plus en parler ni évoquer encore ce sujet. Les oreilles n’en sont plus rebattues. Les stratèges en chambre qui concevaient et échafaudaient des plans de charme ne donnent plus signe de vie.
Des stratèges qui étaient dépêchés discrètement à Ouagadougou pour s’inspirer de ce qu’ils pressentaient la victoire exemplaire de Blaise Compaoré pour enfin s’en servir à leur tour chez eux, ont été très désagréablement surpris par les événements qui ont scellé la catastrophe de l’aventure du dictateur » président à vie » burkinabé.
La cause notoire de la déchéance ignominieuse du Burkinabé Blaise Compaoré et son régime est l’obstination de cet homme à se maintenir à jamais au pouvoir moyennant modification arbitraire et forcée des dispositions constitutionnelles limitant la durée du mandat de chef de l’Etat à la tête du pays.
Sont logés à la même enseigne les présidents du Congo-Kinshasa, du Congo-Brazzaville, du Burundi, du Rwanda du Tchad… Comment alors entend-on dire dans leurs sphères officielles que ces pays ne sont pas du tout ébranlés par ce qui vient de se passer au Burkina Faso, quand on sait combien les dirigeants de ces pays et leurs courtisans s’étaient investis éperdument jusque-là dans l’imagination des astuces et manœuvres politiques pour réviser leurs Constitutions respectives ? Non, ils ne trompent personne.
L’aventure de Blaise Compaoré est la même dans laquelle ils se sont aussi embarqués l’échec total de l’entreprise hasardeuse de Compaoré doit les avoir mis très en point. Ils suivent anxieusement le combat d’arrière-garde que mènent des galonnés compagnons de Compaoré pour avoir la mainmise sur la transition, à défaut de confiscation et de récupération de la victoire du peuple burkinabé.
Ils restent dans l’expectative, le coup de balai de Ouagadougou leur ayant donné le dégoût de parler encore haut et fort de la révision de la Constitution ou du recours au référendum populaire.
Compaoré sauvé par Hollande
L’autocrate » président à vie » burkinabé Blaise Compaoré l’a échappé belle grâce à ses relations privilégiées particulières avec le président français François Hollande, dont l’intervention discrète a permis à ce dictateur d’être arraché des griffes du peuple en colère, déterminé à lui régler son compte, et d’être exfiltré vers Yamoussoukro en Côte d’Ivoire, d’autant plus pays d’origine de son épouse.
Il n’en sera pas de même pour les autres despotes » présidents à vie » qui ne peuvent pas croire jouir de la même étoile que le miraculé burkinabé.
Ils ne vont pas s’en aller plus ou moins à bon compte, avec des dégâts limités, lorsque le tour de chacun d’eux décrété par l’impulsion providentielle d’une ère nouvelle sera venu. Il y en a qui y laisseront des plumes. Surtout ceux qui se refusent obstinément et stupidement à l’évidence, qui pratiquent la politique de l’autruche, et ne savent pas prendre le virage à temps.
En cas de soulèvement populaire pareil à celui de Ouagadougou et qui guette d’autres capitales africaines impliquées dans la révision des Constitutions, le tyran ne s’en tire jamais sain et sauf. Soit il est assassiné, soit il est appréhendé, mis au frais et déféré à la justice pour répondre de ses crimes.
Jusqu’ici l’histoire est encore vide d’exemple d’un dictateur qui se soit résigné à quitter le pouvoir de son plein gré. Ils sont souvent chassés par les barricades, dans la plus grande humiliation.
On dirait qu’ils sont tous maudis et condamné à finir ainsi ignominieusement à cause des excès et abus épouvantables qu’ils commettent dans l’exercice du pouvoir au sommet de l’Etat.
C’est pourquoi il est plus difficile à un dictateur de devenir démocrate, qu’il est facile de voir un démocrate devenir dictateur.
Blaise Compaoré a bu seul la coupe d’amertume dans une certaine mesure avec son épouse et son frère alter ego François, sans tous les thuriféraires et courtisans civils et militaires qui l’encourageaient à jouer avec le feu : tous ces faux jetons et courtisans serviles sont en train de manœuvrer pour s’insinuer dans le nouvel ordre issu du soulèvement populaire afin de pouvoir y jouer aussi leur partition.
C’est la destinée de tous les dictateurs maladivement habitués à écouter le chant des sirènes modulés par de vils flagorneurs.
Qui eût imaginé qu’un abîme qui séparait les mobutistes et les kabilistes à la chute du règne du maréchal du Zaïre deviendrait comme par enchantement en peu de temps une passerelle de rapprochement inouï entre eux c’est parmi des néomobutistes qu’il y a de bruyants révisionnistes de la Constitution, de zélés propagandistes de la » présidence à vie » pour Joseph Kabila, de cyniques galvaudeurs de la science pour défendre l’indéfendable, soutenir l’insoutenable, vils adorateurs du veau d’or, des personnages d’opérette, sans principes ni règles morales.
Gare aux têtus !
On peut dire d’ores et déjà que le rêve est brisé, la cause est entendue. Les carottes sont cuites pour les autres dictateurs » présidents à vie » qui semblaient se foutre du soulèvement populaire burkinabé s’imaginant que la vapeur pourrait d’une manière ou d’une autre être renversée par la garde prétorienne en faveur de l’autocrate déchu.
Il n’en est rien.
La dépouille mortelle du système déposée à la morgue depuis deux semaines a été dégagée et enterrée solennellement le dimanche 16 novembre à Ouagadougou avec, comme le cerise sur le gâteau, la signature de la charte de la transition par les couches importantes des forces vives, à savoir l’opposition, la société civile, l’autorité traditionnelle, les instances confessionnelles et l’armée, en présence du ban et de l’arrière-ban de la capitale et de l’intérieur du Burkina Faso, convoqués spécialement à cet effet, c’est-à-dire tourner ensemble la page de l’ancien ordre autocratique et célébrer avec pompes et solennités touchantes l’avènement d’une ère nouvelle, la victoire du peuple burkinabé qui a assumé pleinement, vaillamment, et dignement son autodétermination, forçant l’administration de tous les peuples africains gémissant encore sous le joug des dictateurs » présidents à vie « .
Les autres dictateurs doivent se sentir d’égouttés de continuer leur ignoble aventure. Gare aux têtus qui n’auraient rien compris au film de Ouagadougou !
Par Jean N’saka wa N’saka/ journaliste indépendant