Dialogue sur le cycle électoral « complet » - Tshisekedi va-t-il trahir ?

Mardi 10 novembre 2015 - 10:17

Dans une communication transmise, hier lundi, aux députés et sénateurs, le chef de l’État a dévoilé les contours exacts du dialogue politique. L’UDPS d’Etienne Tshisekedi ayant répondu favorablement à son appel de pied, Kabila se sent ragaillardi. Il est bon de savoir que, selon le président de la République, le dialogue sera centré sur le « cycle électoral ». La publication tardive de cette communication confirme la stratégie du glissement. Qu’est-ce qui se trame entre Kabila et Tshisekedi ? Dans ce deal, le chef de l’UDPS serait-il sur le point de cracher sur son combat politique ? Quel est le sens de son engagement dans le dialogue avec Kabila ? Décryptage.

Le Potentiel

Dernier virage dans la convocation du dialogue politique. L’annonce de la date exacte de la convocation de ce forum ne serait plus qu’une question d’heures, voire de jours. Après avoir reçu en aparté, le week-end, les présidents de deux chambres, Joseph Kabila a dévoilé ses intentions. Dimanche, il a conféré avec les animateurs de la société civile. Hier lundi, les députés et sénateurs ont officiellement été informés de l’option levée par le chef de l’État. Le même lundi, le chef de l’État a aussi conféré avec les diplomates accrédités à Kinshasa.

Aux uns et aux autres, Kabila a présenté l’urgence du dialogue et la difficulté pour la RDC de garantir un processus électoral apaisé, sans apport financier conséquent. Pour rassurer les sceptiques, Kabila a annoncé qu’un comité préparatoire devrait, sous peu, être mis en place pour baliser la voie. Ce comité devrait se prononcer sur le format réel et la durée du dialogue, le nombre de participants et, à coup sûr, le lieu du dialogue.

Sept scrutins en une année

L’on sait désormais que le dialogue sera essentiellement centré sur le « cycle électoral ». Le chef de l’État voudrait, au travers de ce dialogue - comme il l’a redit le 29 juin 2015 dans son message de célébration de 55 ans d’indépendance de la RDC – amener Majorité, Opposition et Société civile, à « convenir des voies et moyens permettant de surmonter des obstacles qui jonchent la marche vers la troisième série d’élections générales voulues libres, transparentes, crédibles et aussi apaisées ».

Le chef de l’État continue de croire que le dialogue est le passage obligé pour y arriver. Mais, entre les « concertations politiques » et le « dialogue politique », qu’est-ce qui va réellement changer ? Tout le monde se pose la question.

En effet, contrairement aux concertations nationales de 2013, le chef de l’État a pu attirer dans ses filets l’UDPS d’Etienne Tshisekedi. C’était le chaînon manquant en 2013. Dans l’entourage de Kabila, l’on est convaincu que l’UDPS, avec Etienne Tshisekedi, son lider maximo, détient la clé pour l’année 2016. Pour l’avoir fait adhérer à sa cause, c’est-à-dire la tenue du dialogue, Kabila pense avoir réalisé le grand coup. De ce point de vue, rien ne devrait, pense-t-il, obstruer le chemin vers le dialogue.

Des sources évoquent déjà le lancement probable à la date du 15 novembre 2015 avec Muanda, comme lieu de la rencontre, sur le bord de l’océan Atlantique dans la province du Kongo Central. Selon certaines indiscrétions, le dialogue ne devrait pas dépasser deux semaines.

D’ores et déjà, Kabila a fixé ses priorités, peut-on déduire de la communication faite aux sénateurs et députés nationaux. Le dialogue est censé planter des balises pour un cycle électoral « complet » incluant, selon lui, les sept (7) scrutins prévus par la Céni dans son calendrier électoral global du 12 février 2015.

Tshisekedi devant un feu rouge

         En organisant en 2013 les concertations nationales, le chef de l’État était convaincu d’avoir autour de lui toute la classe politique. Ce ne fut pas le cas. Il n’est parvenu finalement à réunir qu’une flopée d’acteurs de petite envergure. Les gros calibres, tels que l’UDPS d’Etienne Tshisekedi, l’UNC de Vital Kamerhe et bien d’autres, avaient décliné son offre. Dès cet instant, les concertations étaient vidées de ceux qui pouvaient leur donner une certaine consistance. Il fallait bien rebondir. Pour Kabila, la voie idéale passait par le dialogue.

Des consultations ont dès alors été engagées avec différentes forces politiques et sociales du pays pour définir les contours exacts du futur forum. Mais, comment imaginer un nouveau forum sans l’UDPS de Tshisekedi ? Pour ne plus retomber dans les travers des concertations nationales, le chef de l’État a mis tout en œuvre pour avoir celui-ci dans sa croisade. À Kinshasa, comme ailleurs, hors des frontières nationales, d’intenses négociations ont été menées avec l’UDPS.

En annonçant le dialogue aux parlementaires, hier lundi via les présidents de deux Chambres du Parlement, Kabila laisse supposer qu’il est parvenu finalement à arracher le quitus de l’UDPS et de son président, Etienne Tshisekedi. Alors question : que gagnerait Tshisekedi en s’associant au dialogue de Kabila ?

À cette question, les avis sont partagés. Les sceptiques doutent de l’implication exacte de l’UDPS dans cette énième tentative de sauvetage du mandat finissant de Kabila. Pour bien des raisons d’ailleurs.

Dans un premier temps, le passé de l’UDPS ne légitime pas une telle démarche de la part de Tshisekedi. Car, l’on voit très mal Tshisekedi composant avec Kabila, alors que depuis les élections chaotiques de 2011, le Sphinx de Limete clame toujours sa victoire « volée ». Est-il prêt à se renier ? Ce n’est pas évident.

On peut retourner cette question autrement ? Que gagnerait Tshisekedi en scellant un accord avec Kabila, alors que ce dernier vit les derniers mois de son mandat ? Nombre d’observateurs pensent que Tshisekedi joue sa crédibilité – sur toute la ligne.

En effet, depuis 1982, année où il s’est rebellé contre le régime de Mobutu, Etienne Tshisekedi a bâti sa notoriété sur la constance dans le combat. En 1997, feu Laurent-Désiré Kabila a tenté de l’embarquer dans son bateau. Une fois de plus, Tshisekedi a gardé sa ligne, évitant de se compromettre ou de décevoir le peuple qui, bon an mal an, se reconnaît dans son combat pour la démocratie. Aujourd’hui que l’UDPS s’apprête à embarquer avec Kabila dans le bateau du dialogue, il y a de quoi rappeler l’UDPS à la raison.

S’il a le droit de disposer de sa personne, Tshisekedi n’a cependant pas celui de trahir le peuple congolais qui, de tout temps, et parfois au bord du désespoir, a toujours cru au triomphe de la démocratie, créneau sur lequel l’UDPS et son chef charismatique ont fondé leur réputation.

On s’étonnerait que Tshisekedi fasse un cadeau politique à la Majorité en lui redonnant une nouvelle vigueur à partir du dialogue. En effet, - et c’est un secret de polichinelle - la Majorité tient au dialogue pour contourner le verrou de 2016. Elle cherche à obtenir un glissement à l’issue d’un semblant de compromis politique. Pour y arriver, elle a placé tous ses espoirs sur Tshisekedi. C’est, présentement, sa seule planche de salut.

Si jamais Tshisekedi trahissait – pour répondre au désir secret de la Majorité - il se retrouverait isolé. C’est tout un mythe qui s’effondrerait comme de la cire au soleil. Ce serait aussi une mort politique précoce pour l’homme qui a incarné les espoirs d’une nation en quête de démocratie, d’un État de droit.

Volonté délibérée d’entretenir le chaos

En tout état de cause, tout scepticisme mis de côté, le peuple n’est pas près d’imaginer que Tshisekedi livrerait à Kabila, sur un plateau d’or, ce qu’il lui a toujours réclamé depuis 2011, à savoir la légitimation de sa propre victoire. On croise les doigts pour qu’il garde le cap. 

Dans les milieux des radicaux de l’UDPS, on reste encore confiant. « C’est mal connaître Tshisekedi que de lui prêter des intentions opportunistes. Rassurez-vous : il ne reniera jamais son combat. Il garde toujours son crédo : le peuple d’abord », a fait remarquer, sous couvert de l’anonymat, un cadre du parti.

Et, que dire du chef de l’État ? Une fois de plus, il doit avoir été induit en erreur. Comme toujours, les chercheurs des primes continuent à le nourrir de chimère sur un éventuel glissement. Autant dire qu’entre l’inanition de la nation et le glissement, des caciques de la Majorité n’ont pas encore désarmé.

Pour assouvir leur boulimie du pouvoir, ils s’appuient aujourd’hui sur Tshisekedi et l’UDPS. Mais, rien ne prouve que leur tentative aboutisse. Car, en s’engageant dans le combat, Tshisekedi ne s’appartient plus. C’est une icône qui appartient au peuple. Ses choix politiques sont aussi ceux du peuple. Or, que veut le peuple ? Juste des élections dans les délais fixés par la Constitution de la RDC. Par conséquent, il n’est pas prêt à accepter des conciliabules politiques qui se régleraient en dehors de la Constitution.

Le dialogue résoudrait-il les problèmes d’aujourd’hui ? On l’espère. Sinon, mal conduit, il en susciterait d’autres, avec le grand risque de plonger le pays dans un désordre politique indescriptible. Au demeurant, il n’y a aucune opportunité d’aller à un dialogue pour une question « électorale », qui peut bien se régler dans le cadre des institutions légalement établies. Pour organiser le cycle électoral, on n’a pas besoin d’un dialogue.

Le plus important est qu’on réorganise la Céni, en publiant un calendrier réaliste prenant en compte les scrutins essentiels. Chercher à tout prix à contourner le processus électoral, c’est vouloir délibérément entretenir le chaos. Que l’on accepte aussi d’endosser les responsabilités devant l’histoire.

Étiquettes