"Faire la politique. La bonne, la vraie" : c'est le rêve de Bienvenu Matumo, l'un des 60 étudiants de la première promotion de la toute nouvelle Ecole nationale d’administration de la République démocratique du Congo. A 25 ans, il dit sa fierté d'avoir réussi le concours d'entrée de cette institution sur la base de "critères objectifs" et de ses seuls mérites dans un pays gangrené par la corruption et le clientélisme. Originaire de Goma, capitale de la province du Nord-Kivu (Est de la RDC) ravagée par les conflits armés depuis plus de vingt ans, Bienvenu dit avoir toujours été persuadé que la violence ne menait nulle part.
Licencié en sciences agronomiques de l’Université de Goma, il a fait ses premiers pas de militant au sein de la coordination des étudiants, de 2010 à 2013. Il a ensuite rejoint la "Lutte pour le changement" (Lucha), mouvement local apolitique de jeunes indignés décidés à changer le cours des choses au Congo. Grande comme cinq fois la France, la RDC est un des pays les moins développés au monde en dépit de richesses naturelles immenses (mines, terres arables, forêt, eau...) et l'écrasante majorité de sa population vit dans une misère insondable.
Depuis son indépendance en 1960, l'ancien Congo belge a été victime de décennies de dictature et d'incurie gouvernementale et saigné par deux guerres entre 1996 et 2003. Voulant être de ceux qui décideront de "l'avenir radieux" de la RDC, Matumo estime que sa scolarité à l'ENA est un "passage obligé" pour maîtriser les rouages de l'administration avant d'entrer en politique. Les cours ont débuté en juillet à Kinshasa, et dans son costume bien ajusté, tête et visage soigneusement rasés, le jeune énarque se rêve déjà en "leader visionnaire, volontariste", à l'image d'un Nelson Mandela, ou d'un Patrice Lumumba, héros de l'indépendance congolaise assassiné en 1961.
Mais il lui faut d'abord faire ses armes comme technocrate. Un haut fonctionnaire doit être avant tout "honnête, rigoureux, courageux", dit-il. - 'Vrai visage' de l'administration - Le nouveau centre de formation de la haute fonction publique congolaise a été créé pour renforcer et moderniser l'administration. Créé avec l'aide de la France, il s'inspire du modèle de l'ENA française.
Les soixante heureux élus ont été distingués parmi 4.300 candidats, titulaires d'une licence, qui ont passé le concours, dont l'oral s'est déroulé en public pour dissiper les soupçons de népotisme et corruption. "Les membres de cette première promotion sont pour la plupart issus de milieux très modestes. Nombreux sont les jeunes des provinces admis à l’oral qui prenaient l’avion pour la première fois", a expliqué le ministre Jean-Claude Kibala sur le site internet de l'école. Bienvenu est "attentif et appliqué", indique Arthur Akeng, un de ses professeurs, "comme le reste de la classe, il a soif d’apprendre".
Les cours, qui accordent une place importante à la gestion d'équipe, préparent le futur énarque à affronter la vie professionnelle au sein des différents services de l'administration où il sera intégré, au terme d'un an de formation. Deux semaines après la rentrée, Matumo a été affecté en stage de découverte dans un service comptable rattaché au ministère des Finances.
Le contraste est flagrant avec les locaux flambant neuf de l'ENA, où tout est propre, ordonné, structuré. Bienvenu découvre ce qu'il qualifie de "vrai visage" de l'administration, avec des bureaux "sous-équipés" et un personnel "pas motivé". Autres constats selon lui : l'administration est gangrenée par la "corruption" et une "politisation à outrance" transpire des différents services. "Des fonctionnaires sont recrutés sur la base des recommandations des politiciens et non d'un concours", dit-il.
Mais ces réalités ne lui font pas peur. Le pays "attend beaucoup de nous [étudiants de l'ENA] et nous avons un devoir de résultat", affirme-t-il. Son maître de stage, Jean-Pierre Mazika, lui prévoit déjà un grand avenir. "Nous sommes satisfaits de lui, il écoute beaucoup, il est objectif dans ses interventions", se réjouit-il.
Bénéficiaire d'une bourse mensuelle de 600 dollars, Bienvenu est encadré pendant son stage par des fonctionnaires dont le salaire varie entre 60.000 et 200.000 francs congolais (67 à 222 dollars). Cela provoque la jalousie de certains, qui vont jusqu'à le qualifier de "privilégié de la République", dit-il sans l'once d'un reproche. Au-delà de la jalousie, les "anciens", rares à partir en retraite, craignent de perdre leur travail à l'heure où le gouvernement prépare une réforme prévoyant une revalorisation des pensions de retraite pour inciter les fonctionnaires les plus âgés à partir.
L'ENA-RDC a pour devise "servir l'Etat avec intégrité, compétence et patriotisme", ce que Bienvenu est prêt à faire dans son instable région natale. Pour l'heure, Goma lui manque mais il s'en accommode: "Être formé, puis travailler pour participer au changement, au développement de la RDC", dit-il, "cela vaut plus que tout".