Le plus grand dommage est celui de vouloir mieux faire les choses tout en faisant pire que le mal. La Cour constitutionnelle a été mise en place après près de 60 ans d’indépendance de la République Démocratique du Congo. Mais, en moins d’une année d’existence, elle fait pire que toutes les juridictions antérieures du pouvoir
judiciaire.
Deux grands maux expliquent ce sabordage : le choix douteux de certains juges dont le passé récent est sulfureux et le manque d’indépendance à cause de leur mauvaise situation sociale. Dans un cas comme dans l’autre, la Cour devient le plus mauvais cheval dans la course du processus démocratique en RDC.
Après avoir rêvé de la mise en place d’une haute institution pour la régulation du fonctionnement des institutions de l’Etat, le Constituant original doit se sentir trahi par la mauvaise qualité de certains de ses juges et les sources de leur inspiration.
En ce qui concerne la qualité des Juges, elle ne se mesure pas par le niveau de leur formation ou par leur expérience professionnelle, mais elle s’apprécie par le degré du vice ancré dans la pratique judiciaire ou professionnelle de chacun des Juges à la Cour constitutionnelle.
On ne peut donc pas espérer y remédier dans l’’immédiat il faut peut-être attendre deux ou trois générations futures de Juges. Car, aujourd’hui, on peut être Juge à la Cour constitutionnelle même si on a déjà été mis en cause ou soupçonnés d’avoir trempé dans certains contentieux électoraux passés ou dans d’autres litiges judiciaires.
En ce qui concerne les sources d’inspiration de Juges à la Cour constitutionnelle, notamment les écrits de certains auteurs du droit constitutionnel et les jurisprudences ambiantes dans la Région en rapport avec les pratiques de viol des Constitutions, il n’y a pas lieu de croire qu’elles puissent favoriser l’éclosion d’une saine
réflexion des Juges dans les matières constitutionnelles et l’émergence de bonnes convictions pour mieux agir en bonne conscience et en toute indépendance dans l’exercice de leurs fonctions.
Sur toutes les grandes questions posées par les citoyens en termes d’interrogations liées à la justice et à l’équité ou en termes de requêtes introduites en matière d’inconstitutionnalité à la jeune Cour constitutionnelle de la RDC, cette dernière se trouve butée aux mauvais arriérés de l’héritage constitutionnel et aux pratiques antérieures de la Cour Suprême de Justice.
Il y a lieu de croire que la Cour attise davantage le feu qu’elle travaille pour l’apaisement et la paix sociale en RDC, avec la triste conséquence qu’elle devient l’institution la plus nocive pour le développement de la démocratie en RDC et si l’on y prend garde, elle risque même de précipiter le pays dans une catastrophe indescriptible.
On a confié à la Cour constitutionnelle une lourde responsabilité politique, dont elle n’a ni les ressources en termes d’acquis expérimentaux, ni les prérequis moraux en termes d’intégrité et de probité.
Une certaine opinion pense déjà que les juges à la Cour constitutionnelle ne sont que des personnages manipulés par le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, dont le dernier arrêt RCONST 262 vient d’en donner la preuve.
Il y a lieu de relever que ce dernier arrêt rendu par la Cour constitutionnelle ne présentait aucune urgence par rapport au besoin de clarification par le Gouvernement sur des moyens alloués aux élections et au besoin de présentation par la CENI d’un calendrier électoral conforme aux délais constitutionnels. L’exécutif et le
Législatif ont fait de la manip en arrachant sous pression un arrêt de la Cour que personne n’attendait à ce moment-ci et qui a davantage abîmé le climat politique déjà délétère.
Heureusement, personne n’y a accordé crédit et l’arrêt a eu le mérite avec grand effet de mettre les autres la puce à l’oreille pour une précoce veillée d’armes entre la majorité et l’opposition. On peut dès lors se demander à quoi aurait servi ce cérémonial en toges des Juges avec des airs graves pour dire ce que tout le monde savait.
La seule intelligence de l’arrêt RCONST 262 est celle qui aurait servi à lever l’équivoque entre la fin de mandat et la vacance en cours de mandat. Mais la Constitution de 2006 est tellement claire qu’elle n’a pas besoin de toges pour faire interpréter cette disposition de l’article 70 . La Cour a craché du mauvais souffle et
s’est dégonflé.
Après l’arrêt RCONST 0089 du 8 septembre 2015, la Cour aurait pu se
souvenir qu’au lieu d’exécuter son arrêt, l’Exécutif s’est précipité à
renforcer sa clientèle politique, en nommant les commissaires spéciaux
comme pour se moquer d’elle et la CENI a déployé une douteuse
logistique pour organiser les élections des Gouverneurs sans savoir
pour quoi en faire.
Avec le dernier arrêt RCONST 262, la Cour a raté l’occasion de se
faire respecter par la Société et par les deux autres pouvoirs.
Personne ne pourra plus lui faire confiance et personne n’a plus
besoin d’elle.
On aurait cru qu’un certain équilibre de compétences et d’expériences
pouvait servir à contenir les défaillances et les déviances des uns et
des autres, mais nenni, la Cour s’est repliée comme une boule, où
savants et pratiquants judiciaires se sont recroquevillés dans le fond
de la Cour constitutionnelle, partageant le sentiment d’humiliation et
de désenchantement.
La Cour constitutionnelle congolaise a scié l’arbre sur lequel elle
était assise, à savoir « sa crédibilité ». Elle est tombée et elle est
morte de sa belle mort. Plus rien à sauver et plus rien à signaler !
Mais le faux pas reste là ! Et il a le mérite de dévoiler la vraie
face politique des requérants à la cause en interprétation des article
70, 103,105 et 197, à savoir « les Députés glisseurs ou jongleurs »
qui tentent de voler un mandat législatif au peuple comme l’a fait
allégrement le grand maître penseur de l’héritage constitutionnel
congolais. Celui-là même qui a su se fabriquer des lugubres disciples
parmi les professeurs de la plus grande université congolaise en
publiant l’ouvrage collectif sur la permanence de vacances des
Institutions en République Démocratique du Congo.
Un des initiateurs de la requête ne s’est pas retenu pour exploser
devant les médias en ces termes : « avec cet arrêt de la Cour, le
peuple congolais en est le premier bénéficiaire, puisqu’il lui a
apporté la paix et la stabilité. Les Députés nationaux et provinciaux,
les Sénateurs sont assurés qu’ils pourront accompagner le Président de
la République jusqu’à l’élection du nouveau Président.
Par lapsus ou par intention délibérée, l’honorable Député concerné a
oublié qu’en démocratie, le mandat électif est impératif en termes de
durée et en termes de matière et il ne peut en être autrement. Car,
il n’y a pas un autre qualificatif pour désigner les jours, les
semaines, les mois et les années qu’un bénéficiaire du mandat électif
passe en dehors de celui-ci.
En clair, cela signifie qu’il n’y a pas mandat législatif hors délai
du mandat en cours à terme échu et qu’il est fait obligation
impérative au Député national ou provincial de rentrer auprès de la
population pour son renouvellement.
J’ai bien cru penser qu’un politicologue de son acabit ne pouvait
réfléchir en termes de purs droits des textes, alors on se demanderait
qu’est-ce qu’il aura retenu de Montesquieu et de Tocqueville ?
Et puisque notre politologue s’est installé dans la lecture juridique
des dispositions de la Constitution, dont l’arrêt de la Cour semble
lui accorder droit à la survie politique sans mandat électif et que
fait-il alors de la volonté générale exprimée dans la Constitution et
qui en est l’esprit original ?
La seule lueur d’espoir pourra être celle du dernier mot du Président
de la République qui peut prendre le bon pas en renvoyant les Juges à
la Cour et les Députés requérants à la mesure de propos pour les
premiers et d’ambitions pour les seconds.
Car, d’une part, prendre la «Continuité de l’Etat» pour pérennisation
du pouvoir comme sous-entendent les Juges à la Cour constitutionnelle
dans leur dernier arrêt n’est pas une pensée démocratique. Elle est
même anticonstitutionnelle et d’autre part, la volonté des Députés
requérants de recourir à une Institution, en occurrence la Cour
constitutionnelle, pour assouvir leurs ambitions de glissement en se
servant de l’interprétation de l’article 70, est immorale.
Le Président de la République, à qui la Constitution confie le rôle
d’arbitrage, tel que le veut l’article 69 de la Constitution, peut
bien rendre le vrai sens de la continuité de l’Etat, en veillant au
fonctionnement régulier des pouvoirs publics et des Institutions. Car,
à cette allure, il y a péril en la demeure.
Jean-Marie Nkashama Nkoy