Une série de massacres ont été perpétrés en territoire de Beni dans le Nord-Kivu. En l’espace de deux semaines, 80 personnes ont été tuées de manière extrêmement barbare, les assaillants s’étant servi de moyens rudimentaires, mais infiniment cruels (machettes, haches, douilles de houe). Les autorités ont rapidement attribué ces tueries aux rebelles ougandais, les ADF. Une version que de nombreuses sources locales ont toutefois mise en doute, mais ce n’est pas ce qu’il y a de plus important. Ce qui inquiète véritablement est que le pays en est à son quatrième massacre d’aussi grande ampleur depuis dix mois seulement, tandis qu’une peur, tout à fait justifiée, traverse les couches populaires. Du coup, des voix s’élèvent pour appeler à la création des groupes d’auto-défense, ce qui plongerait la région dans une situation comparable à celle qui a prévalu il y a de cela deux décennies, avec des dérives qu’on n’a pas fini de déplorer.
Quatre massacres sous la barbe des autorités
Il y a quatre mois un carnage d’ampleur comparable s’était produit à Mutarule, dans le Sud-Kivu. Des assaillants, toujours non identifiés, avaient ouvert le feu sur près de 200 personnes qui étaient réunies à l’extérieur d’une église le soir du 6 juin dernier. Les rescapés qui tentaient de se protéger en s’engouffrant dans l’église et les maisons d’habitation avaient été pourchassés et achevés l’un après l’autre, à l’arme blanche, puis brûlés. Comme à Beni, les assaillants avaient « bénéficié » de l’inaction des casques bleus et des unités des FARDC qui se trouvaient non loin du lieu du drame. Les forces onusiennes et l’armée congolaise avaient été appelées à l’aide, mais n’avaient pas bougé d’un sourcil, comme l’affirme l’ONG américaine Human Rights Watch[1]. Un officier avait même reçu l’ordre de ne pas intervenir pour aider la population qui se faisait massacrer. Bilan : 37 morts[2]. Ils s’ajoutent aux 70 victimes de la série de massacres dans le Masisi en janvier et février dernier.
Comme si le tableau n’était pas assez sombre, il faut rappeler les massacres du 13 et 14 décembre 2013 dans les localités de Mwenda et Musuku, les premiers de la série sur les dix derniers mois. Le patron de la Monusco, Martin Kobler, avait alors martelé : « Ces atrocités ne resteront pas impunies, les auteurs ne connaîtront pas de répit tant qu'ils n'auront pas répondu de leurs actes devant la justice ! »[3]. Depuis, trois massacres de plus grande ampleur se sont produits. Leurs auteurs et leurs complices sont toujours dans la nature, libres comme l’air. Et même s’ils avaient été arrêtés, rien ne permet de croire qu’ils seraient toujours en détention. Au Congo, comme si l’impunité doit être préservée à tout prix, les évasions de prisons sont désespérément monnaie courante. Si bien qu’au moment où les habitants de Beni enterraient les victimes des massacres, 233 détenus, dans la ville voisine de Butembo, se faisaient la belle, sous la barbe des autorités. Une évasion de plus. Ils ont rejoint les milliers de truands qui fourmillent dans tous les recoins du Kivu. La jungle ! Où est passé l’Etat promis depuis deux décennies ?...
Du coup, à Beni, la population s’organise. Les habitants, quartier par quartier, allument un feu et veillent toute la nuit pour dissuader d’éventuelles infiltrations dans la ville. Ceux qui ne peuvent prendre part aux veillées populaires se tiennent prêts dans leurs maisons avec les bidons et des casseroles. Dès qu’un incident se produit, on tambourine sur les ustensiles pour alerter la cité, une technique d’autodéfense qui a souvent fait ses preuves dans cette partie meurtrie du pays. Mais elle ne suffira pas, et la population en prend de plus en plus conscience. Des assaillants qui, aujourd’hui, attaquent à l’arme blanche, reviendront sûrement avec des armes à feu. Ils ne reculeront pas devant le bruit de casseroles. D’où l’idée qui fait son chemin, d’une organisation de la population en groupes d’auto-défense.
Personne ne sait combien d’armes circulent dans le Kivu. Ce qui est certain est que, si la population en arrive à devoir créer des groupes d’autodéfense, les armes à feu feront leur réapparition dans les maisons d’habitation. Des jeunes aptes au combat afflueront des villes et des villages pour se battre aux côtés de leurs communautés respectives. Du déjà-vu. C’est ce qu’on appelle « mai-mai ». Les Mai-mai n’étaient rien d’autre que les populations congolaises qui, face à un gouvernement défaillant et une communauté internationale aux abonnés absents, s’étaient organisées en milices tribales pour opposer une résistance armée aux agressions qu’elles subissaient, notamment de la part des « Rwandais ».
Ils ont pourtant pris des engagements !
Depuis, des engagements ont été pris sur le plan national et international. On a appelé les milices congolaises à déposer les armes et à s’impliquer dans un processus de rétablissement de l’unité du pays. On a promis que les groupes armés étrangers seraient neutralisés. Des engagements ont été pris à Sun City pour garantir aux autorités de Kinshasa le monopole de la mission de protéger la population congolaise, ses biens et le territoire national. Sur le plan international, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté une série de Résolutions renforçant les pouvoirs de la force de maintien de la paix. Cette force a aujourd’hui mandat pour user des armes pour protéger la population. En mars 2013, une brigade d’intervention a été créée par la Résolution 2098 avec pour mission de « traquer » et d’éliminer tous les groupes armés opérant sur le sol congolais. Sur le plan politique, le pays a organisé deux élections majeures (2006 et 2011) et est supposé avoir eu assez de temps pour se doter d’un personnel politique à la hauteur des défis. Les autorités devraient être en mesure de prévenir des attaques contre la population comme celles qui se produisent depuis dix mois, ou, au moins, de retrouver leurs auteurs et leurs complices pour qu’ils répondent de leurs crimes devant la justice. Eh bien non !
Il y a une impressionnante présence militaire à Beni chapeautée par une dizaine de généraux et autres « très haut-gradés » de l’armée. Comme du temps de Mobutu, on apprend de l’ONG RRSSJ, que les généraux congolais se livrent aux trafics[4] et se chamaillent entre eux à n’en point finir. Les salaires des militaires ont été détournés. Les généraux font des affaires. A leurs côtés, il y a une importante présence des casques bleus. D’ailleurs, les massacres se sont déroulés alors que le patron de la Monusco, Martin Kobler, se trouvait dans la ville, de même que le nouveau commandant de la 3ème région militaire qui inclue le territoire de Beni, mais aussi le gouverneur de la Province du Nord-Kivu. Les assaillants ont frappé quand même et ont continué de trucider la population en toute impunité. Sous la barbe de tout ce « beau monde » dont les Congolais se demandent qui, finalement, est responsable de quoi. La faute à qui ?
La communauté internationale verse, depuis quinze ans, plus d’un milliard de dollars chaque année pour financer la Mission de l’ONU au Congo (1.506.067.900 dollars pour la période du 1er juillet 2014 au 30 juin 2015). Une mission dont tout porte à croire qu’elle devrait prolonger sa présence dans le pays pour une durée qui reste indéterminée, quelle que soient les critiques dont elle fait l’objet au quotidien. On ne voit pas comment la Monusco pourrait se désengager du jour au lendemain au profit de ces autorités congolaises-là, toujours pas prêtes à assumer seules la charge de protéger leurs populations. Elles sont empêtrées dans des crises qu’elles ont créées de toute pièce. Le pays est paralysé par une insurmontable crise de légitimité depuis les élections calamiteuses de 2011. Et pour ne rien arranger à la situation, la crise se trouve aggravée depuis de nombreux mois par l’interminable débat sur une possible révision de la Constitution afin d’assurer à Joseph Kabila une présidence à vie[5].
A qui donc confier la charge de protéger la population congolaise ? Face au vide, la population manifeste contre la Monusco et son patron Martin Kobler. Bilan : deux morts[6]. Pour une fois, l’Etat congolais s’est servi de ses armes. Pas contre l’ennemi qui massacre de paisibles citoyens, mais contre sa propre population « coupable » d’avoir manifesté pour dénoncer les massacres qu’elle subit.
A Kinshasa, tout est fait pour méconnaître le martyre de cette population, voire tout simplement son existence. Les autorités n’auront même pas eu la présence d’esprit d’organiser un hommage national à la mémoire des victimes, de mettre, comme dans n’importe quel pays, les drapeaux en berne, de s’adresser solennellement à la nation et d’initier des actions de solidarité en faveur des victimes, des rescapés et de leurs familles. C’est-à-dire tout ce qu’il y a de plus normal lorsque les dirigeants d’un pays prennent conscience qu’ils ont failli à leur mission de prévenir des drames comme ceux de Beni et de Mutarule. Ici, rien à faire ! Personne n’est responsable de rien. Au Congo, l’irresponsabilité gangrène la vie politique d’un bout à l’autre. Mais on se bouscule quand même pour être nommé dans un prochain gouvernement. Le gouvernement de « cohésion nationale ».
Boniface MUSAVULI