RDC–RWANDA–USA: Dépasser l’émotion pour une lecture lucide de l’"ACCORD DE WASHINGTON" : Analyse politologique, géostratégique, géopolitique et géoéconomique

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(Par Prof.  Dédé WATCHIBA, politologue)

La signature à Washington, le 4 décembre 2025, de l’accord de paix entre la RDC et le Rwanda sous l’égide du président américain Donald Trump constitue un événement diplomatique majeur. Pourtant, comme souvent en RDC, la réception de cet événement oscille entre triomphalisme politique et catastrophisme émotionnel. Or, la compréhension d’un tel accord (dans son architecture, ses implications et ses limites) exige une analyse débarrassée des réflexes fanatiques, identitaires ou partisans.

Ce texte se propose d’offrir une lecture scientifique, articulée autour des outils de la science politique, de la géopolitique, de la stratégie et de l’économie politique internationale. Il s’agit de comprendre pourquoi cet accord pourrait – peut-être – constituer une rupture, mais aussi pourquoi ses chances de succès restent conditionnées à des transformations structurelles qui relèvent d’abord de la gouvernance congolaise.

I. UN ACCORD INEDIT PAR SON ARCHITECTURE EN TROIS NIVEAUX

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Contrairement aux accords antérieurs (Lusaka 1999, Pretoria 2002, Nairobi 2013, Luanda 2022…), l’accord de Washington ne se limite pas à un dispositif de cessez-le-feu ou à une matrice sécuritaire classique. Il repose sur une architecture à trois volets, qui révèle une transformation profonde de l’approche américaine dans la région.

1. LE VOLET POLITIQUE ET MILITAIRE : UN CESSEZ-LE-FEU « SOUS CONDITION »

Le premier niveau reprend des engagements antérieurs portant sur la cessation des hostilités, le désarmement des forces non étatiques, le retour des déplacés.
La nouveauté réside dans le fait qu’il n’existe aucun mécanisme contraignant, mais une implication diplomatique forte des États-Unis. Le message est clair : Washington endosse un rôle de garant politique, mais pas de gendarme militaire.

2. LE VOLET ECONOMIQUE : LA CLEF DE VOUTE DU DISPOSITIF

La véritable innovation de l’accord de Washington réside dans son architecture économique, qui dépasse la simple logique de désescalade militaire pour s’inscrire dans une stratégie globale de reconfiguration géoéconomique de la région. Les États-Unis introduisent un cadre d’intégration économique inédit, structuré autour de la transparence, de la traçabilité et de la formalisation des chaînes de valeur des minerais stratégiques (cobalt, coltan, lithium, tungstène) qui constituent le cœur de la transition énergétique mondiale et l’un des principaux terrains de rivalité entre Washington et Pékin. Cette approche ne se limite pas à un volet commercial ; elle mobilise des instruments de gouvernance, d’investissement et de normalisation qui visent à transformer durablement la manière dont les ressources sont extraites, transportées, sécurisées et commercialisées.

En plaçant l’économie au centre du processus de paix, les États-Unis réintroduisent une logique inspirée des théories du security–development nexus, selon lesquelles la sécurité et le développement sont mutuellement dépendants ; l’absence de paix empêche toute prospérité économique, et l’absence d’opportunités économiques crée les conditions de la violence. Le pari américain est explicite : stabiliser l’Est de la RDC n’est possible que si les chaînes de valeur minières, longtemps marquées par l’informalité, les prédations transfrontalières et le financement des groupes armés, deviennent prévisibles, transparentes et insérées dans des circuits formels bénéficiant autant aux investisseurs qu’aux États.

Ce modèle de paix économique repose ainsi sur un mécanisme d’incitations croisées.
D’une part, la paix devient une condition sine qua non pour l’exploitation des ressources, puisque les investissements envisagés par les entreprises américaines (infrastructures, énergie, transport, traitement des minerais) nécessitent un environnement stable et sécurisé.

D’autre part, l’accès aux ressources devient lui-même un moteur de paix, dans la mesure où les retombées économiques de ces nouveaux partenariats (recettes fiscales, emplois, infrastructures) créent des intérêts partagés qui rendent le retour à la guerre plus coûteux que sa prévention.

En d’autres termes, l’accord renverse la logique traditionnelle des négociations dans la région. Là où les médiations précédentes se concentraient sur la cessation des hostilités en espérant que la croissance économique suivrait, l’accord de Washington postule que c’est l’intégration économique structurée qui peut agir comme un levier pour contraindre, stabiliser et transformer les dynamiques sécuritaires.

Ainsi, la paix devient une condition pour accéder aux ressources, et l’accès aux ressources devient un puissant incitatif pour préserver la paix.

Ce volet constitue donc la véritable clef de voûte du dispositif, non seulement parce qu’il organise l’avenir économique de la région, mais surtout parce qu’il connecte, pour la première fois, la stabilité locale aux priorités géoéconomiques globales des États-Unis,  ce qui en renforce considérablement la portée stratégique.

3. LES ACCORDS BILATERAUX RDC–ÉTATS-UNIS ET RWANDA–ÉTATS-UNIS : LA GARANTIE AMERICAINE

C’est ici que se situe la rupture fondamentale avec les accords précédents.
Les États-Unis, désormais directement bénéficiaires de l’exploitation sécurisée des minerais, disposent d’un intérêt matériel à la stabilisation de la région.
La promesse de Trump – « envoyer de grandes entreprises américaines » – n’est pas qu’un slogan. Elle traduit un repositionnement stratégique.

En géopolitique, la garantie est crédible lorsque la grande puissance y investit son propre intérêt. C’est désormais le cas.

II. POURQUOI CET ACCORD POURRAIT REUSSIR LA OU LES PRECEDENTS ONT ECHOUE

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Les accords antérieurs échouaient pour trois raisons principales :
1. absence de garant international crédible,
2. ambiguïté stratégique du Rwanda,
3. faiblesse structurelle de l’État congolais.

L’accord de Washington modifie, partiellement, ces paramètres.

1. POUR LA PREMIERE FOIS, LE GARANT A UN INTERET DIRECT DANS LA PAIX

Les États-Unis, en sécurisant des corridors miniers alternatifs à la Chine, jouent leur crédibilité économique et stratégique.
Ils ne peuvent donc pas laisser l’accord échouer facilement.
C’est un changement majeur par rapport aux médiations passées (SADC, CIRGL, UA), dont l’influence coercitive était limitée.

2. LE RWANDA OBTIENT UNE LEGITIMITE SECURITAIRE CONDITIONNELLE

La doctrine sécuritaire de Kigali repose sur trois piliers :
• neutralisation des FDLR,
• profondeur stratégique,
• contrôle des flux transfrontaliers.

L’accord intègre explicitement ces préoccupations. Si l’accord réussit, le Rwanda obtient ce qu’il recherche officiellement depuis vingt ans, à savoir une reconnaissance internationale de ses préoccupations sécuritaires et une place légitime dans la gouvernance régionale des ressources.

3. LA RDC OBTIENT UNE GARANTIE DIPLOMATIQUE SANS PRECEDENT

Pour la première fois, Washington s’engage publiquement à soutenir :
• le retrait des troupes rwandaises,
• la transparence minière,
• la cessation du soutien aux groupes armés,
• la restauration de l’autorité de l’État.

Dans l’histoire récente de la région, jamais la RDC n’avait obtenu un tel positionnement américain.

III. LES MARGES DE MANŒUVRE REELLES DE LA RDC : OPPORTUNITES ET CONTRAINTES

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Malgré le prestige de la signature à Washington, la RDC n’obtient pas une liberté stratégique illimitée.
Ses marges de manœuvre restent dépendantes de trois facteurs déterminants.

1. LA GOUVERNANCE INTERNE : L’ELEPHANT AU MILIEU DE LA PIECE

Au-delà des signatures prestigieuses et des engagements internationaux, la question fondamentale demeure celle de la gouvernance interne de la RDC, véritable « éléphant au milieu de la pièce » que l’on contourne souvent dans les débats publics.

Il est en effet illusoire d’espérer une stabilisation durable de l’Est si le pays ne s’attaque pas à ses propres défaillances structurelles, qui compromettent depuis des décennies l’efficacité de tout accord de paix. Les problèmes sont connus : l’absence d’un plan stratégique de défense élaboré sur un horizon d’au moins dix ans, articulé aux réalités géographiques et géopolitiques du pays ; la fragilité de la chaîne de commandement militaire, minée par la politisation, le manque de professionnalisation et l’incohérence opérationnelle ; une gouvernance minière opaque, où les flux, les titres et les partenariats échappent trop souvent à la vision stratégique de l’État ; une diplomatie réactive, davantage mobilisée pour répondre aux crises qu pour les anticiper ; et enfin une fragmentation politique interne qui affaiblit la capacité de l’État à parler d’une seule voix sur les enjeux de souveraineté.

Ces défaillances cumulatives réduisent considérablement la capacité de la RDC à tirer profit de toute avancée diplomatique. Aucun accord international, même appuyé par une grande puissance comme les États-Unis, ne peut compenser la faiblesse d’un appareil étatique incapable de projeter sa puissance, d’assurer le contrôle de ses territoires, de protéger ses populations et de réguler efficacement ses ressources stratégiques. La paix n’est pas un produit d’importation ; elle est le résultat d’une capacité interne à gouverner et à sécuriser.

Ainsi, la réussite de l’accord de Washington dépend d’abord de la RDC elle-même ; de sa volonté politique à réformer, de sa capacité administrative à planifier, de son aptitude stratégique à s’affirmer, et de la cohérence institutionnelle qu’elle saura construire pour aligner défense, diplomatie, économie et gouvernance territoriale.

En définitive, la paix ne sera durable que si la RDC se réforme elle-même.

C’est à cette condition seulement que les engagements pris à Washington pourront se traduire en résultats tangibles sur le terrain.

2. LA REALPOLITIK RWANDAISE : LA DOCTRINE KAGAME DEMEURE INTACTE

La signature de l’accord de Washington n’a pas transformé la matrice fondamentale de la stratégie rwandaise dans la région. Paul Kagame l’a rappelé avec constance :

« Notre seul objectif est d’assurer la sécurité de notre pays. »

Cette affirmation, apparemment simple, renvoie à une doctrine de sécurité nationale robuste, structurée depuis 1994, et qui repose sur plusieurs piliers clairement assumés. Le premier est la primauté absolue de la sécurité nationale, qui justifie, si nécessaire, des actions extraterritoriales ou des interventions indirectes dans les zones jugées sources de menaces. Le deuxième est la profondeur stratégique, qui considère que, pour un pays de petite taille et géographiquement exposé comme le Rwanda, la sécurité implique une maîtrise active de son environnement régional immédiat. Le troisième pilier, désormais central, est la captation économique et géoéconomique des ressources stratégiques de la RDC, devenue au fil du temps un élément essentiel de la doctrine Kagame.

Cette dimension économique est souvent sous-estimée dans les analyses, alors qu’elle est devenue, au fil des deux dernières décennies, un levier majeur de la stratégie rwandaise. Kigali a compris très tôt que les minerais critiques de la RDC constitueraient non seulement un moteur de croissance interne, mais aussi un outil puissant de politique étrangère, capable de renforcer son influence, d’attirer des partenaires internationaux et de consolider son image de hub économique et technologique en Afrique de l’Est.

Ainsi, au-delà des enjeux strictement sécuritaires, la politique rwandaise s’est progressivement articulée autour de l’accès, direct ou indirect, aux ressources minières congolaises. Cette dynamique est observable dans la structuration des routes de contrebande, dans l’implantation de sociétés de traitement et de transformation au Rwanda, dans la certification des minerais rwandais exportés, et même dans l’intégration du secteur minier dans les accords commerciaux avec des acteurs internationaux.

Autrement dit, la doctrine Kagame combine aujourd’hui un impératif sécuritaire et une stratégie de captation économique, les deux se renforçant mutuellement. La neutralisation des groupes perçus comme hostiles (notamment les FDLR) crée un prétexte sécuritaire, tandis que le contrôle des flux économiques permet de financer la stabilité interne du Rwanda et de renforcer son rôle régional.

L’accord de Washington ne modifie pas cette doctrine profonde. Il ne change ni les perceptions de menace, ni les intérêts économiques de Kigali. Ce qu’il modifie en revanche, c’est le coût politique et diplomatique de la non-coopération.
Avec l’arrivée des États-Unis comme acteur direct (et désormais intéressé à sécuriser les chaînes d’approvisionnement en minerais critiques) Kigali ne peut plus agir dans l’ombre ou jouer sur les rivalités internationales comme auparavant. La présence américaine introduit un facteur de contrainte qui oblige le Rwanda à recalibrer sa posture, non parce que sa doctrine change, mais parce que les marges de manœuvre pour la mettre en œuvre se réduisent.

Ainsi, la doctrine Kagame demeure intacte, mais elle doit désormais composer avec un acteur qui possède les moyens diplomatiques, économiques et sécuritaires de limiter les comportements déstabilisateurs.

Le coût de la non-coopération augmente, non seulement sur le plan sécuritaire mais aussi sur le plan géoéconomique ; toute perturbation future des chaînes de valeur minières pourrait désormais affecter directement les intérêts américains.

Pour la RDC, cette évolution doit être comprise comme une fenêtre d’opportunité. La lucidité s’impose ; Kigali n’abandonnera ni ses préoccupations sécuritaires ni sa logique de captation économique. Mais l’équilibre des forces change.
C’est dans ce nouvel espace (plus contraint pour le Rwanda, plus ouvert pour la RDC) que peut se construire une stratégie congolaise réellement efficace, à condition que Kinshasa se dote enfin d’une vision et d’une gouvernance à la hauteur des enjeux.

IV. LA RECRUDESCENCE DES COMBATS LE JOUR MEME DE LA SIGNATURE : UN MESSAGE STRATEGIQUE

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La simultanéité entre la signature de l’accord de Washington et la reprise de violents combats à Kamanyola et Kaziba ne relève pas du hasard. Dans les conflits prolongés, le calendrier militaire répond souvent à une logique politique, et chaque action armée constitue un message. Dans ce cas précis, les affrontements survenus dans les heures mêmes de la cérémonie de signature traduisent une volonté claire de rappeler que la réalité du terrain n’est pas gouvernée par les déclarations diplomatiques, mais par les rapports de force. Cette dynamique peut être interprétée à travers plusieurs hypothèses géostratégiques complémentaires.

D’abord, ces combats peuvent être compris comme une démonstration de force du M23, et indirectement de Kigali, visant à réaffirmer leur capacité opérationnelle au moment précis où la communauté internationale consacre un accord supposé ramener la paix. Le message est transparent : aucune signature à Washington ne peut effacer la réalité militaire dans l’Est, et tout processus de paix devra inévitablement tenir compte des positions acquises sur le terrain. En d’autres termes, le M23 entend rappeler que l’ordre militaire prime sur l’ordre diplomatique tant que les conditions structurelles de la sécurité régionale ne sont pas sécurisées.

Ensuite, ces attaques peuvent s’inscrire dans une stratégie de négociation violente, destinée à créer des faits accomplis au profit du M23 avant la reprise ou la finalisation des négociations de Doha. La théorie des conflits montre que les groupes armés renforcent souvent leur position militaire juste avant des pourparlers afin d’accroître leur influence et d’obtenir des concessions politiques, territoriales ou sécuritaires. En consolidant certaines positions, le M23 cherche probablement à arriver autour de la table avec un rapport de force amélioré.

Une troisième lecture possible consiste à voir dans cette recrudescence de violence un signal envoyé à Washington. Le Rwanda et le M23 pourraient vouloir démontrer que la stabilité de la région n’est pas garantie par un texte, mais qu’elle dépend de l’implication réelle — financière, diplomatique, mais aussi sécuritaire — des États-Unis. Le message pourrait être le suivant : sans un engagement clair dans la mise en œuvre, l’accord restera une architecture théorique, incapable d’influencer les dynamiques sur le terrain. Autrement dit, il s’agit d’une manière de tester la détermination américaine et de rappeler que toute solution durable devra intégrer les réalités sécuritaires locales.

Enfin, il convient de reconnaître une quatrième dimension, propre à la complexité interne du conflit : la fragmentation des chaînes de commandement militaires. Dans certaines zones, les milices locales, les groupes d’autodéfense et même certaines unités intégrées tardivement dans les FARDC ne se sentent pas nécessairement liées par les accords politiques signés à haut niveau. Leur logique d’action est souvent déterminée par des rivalités locales, des enjeux économiques immédiats ou des dynamiques communautaires. Cette absence de centralisation du commandement crée un environnement propice à des actions non coordonnées qui peuvent saper, volontairement ou non, les engagements diplomatiques pris par Kinshasa ou par les groupes armés plus structurés.

Ainsi, loin d’être un simple épisode ponctuel, la recrudescence des combats le jour même de la signature doit être comprise comme un phénomène multidimensionnel, révélateur de la complexité profonde du conflit dans l’Est de la RDC. Elle rappelle que l’accord de Washington, aussi ambitieux soit-il, ne pourra produire des effets tangibles que s’il est accompagné d’une stratégie robuste de sécurisation, d’une implication réelle des garants internationaux et, surtout, d’un renforcement de la gouvernance congolaise capable d’adresser les causes structurelles de l’instabilité.

Ces violences simultanées jouent donc le rôle d’un avertissement :

aucun accord, même signé dans la capitale de la première puissance mondiale, ne peut imposer la paix tant que les équilibres militaires, politiques et économiques du terrain ne sont pas transformés.

V. LES POINTS POSITIFS ET NEGATIFS DE L’ACCORD : UNE EVALUATION STRATEGIQUE

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A. Les points positifs

1. Implication directe des États-Unis, une première dans ce conflit.
2. Intégration économique régionale, potentiellement transformative.
3. Encadrement des chaînes de valeur minières, réduisant les incertitudes géoéconomiques.
4. Reconnaissance simultanée des préoccupations sécuritaires des deux États.
5. Accélération possible du corridor Kigali–Goma–Bukavu–Bukavu–Kasumbalesa, soutenu par les Américains pour sécuriser les flux miniers.
6. Instrumentalisation positive de la rivalité sino-américaine.

B. Les points négatifs

1. Absence de mécanisme contraignant de mise en œuvre.
2. Maintien des zones d’ambiguïté sur les FDLR et le M23.
3. Risque de captation économique américaine, si la RDC ne renforce pas ses capacités de négociation.
4. Fragilité de l’État congolais, qui peut compromettre toute mise en œuvre.
5. Possibilité d’un double jeu rwandais, cohérent avec la doctrine Kagame.
6. Exclusion (temporaire) des dynamiques internes : Doha reste en suspens.

VI. CE QUI DOIT CHANGER POUR QUE LA RDC TRANSFORME CET ACCORD EN OPPORTUNITE HISTORIQUE

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L’une des erreurs récurrentes de la lecture congolaise des accords internationaux est de croire que la paix dépend essentiellement des autres  (des médiateurs, des voisins, ou des grandes puissances). Or, un accord ne vaut jamais plus que la capacité de l’État à le mettre en œuvre. La réussite de l’accord de Washington dépend d’abord et avant tout de Kinshasa, de sa volonté politique, de la cohérence de sa gouvernance, et de sa capacité à devenir un véritable acteur stratégique.

Pour transformer cet accord en opportunité historique, la RDC doit engager un ensemble de transformations profondes, articulées autour de trois exigences.

1. REFORMER LA GOUVERNANCE GENERALE ET SECTORIELLE : LE SOCLE INDISPENSABLE

La première condition est de réhabiliter l’État en tant qu’institution cohérente, capable d’exercer pleinement ses fonctions régaliennes et de réguler ses secteurs stratégiques. Cela implique en priorité une modernisation structurelle de l’armée, fondée sur une doctrine de défense cohérente, une professionnalisation du commandement, un renforcement du renseignement militaire, un équipement adapté aux réalités géographiques et une planification stratégique sur dix ans. Sans une armée crédible, aucun accord de paix ne peut être garanti.

Cette réforme doit s’accompagner d’un assainissement profond de la gouvernance minière, secteur qui représente à la fois le cœur de la souveraineté économique et la principale source de vulnérabilité géopolitique du pays. La transparence, la maîtrise des titres miniers, la lutte contre l’informalité, et la capacité de l’État à négocier efficacement avec les partenaires étrangers constituent des impératifs non négociables.

À cela s’ajoute la nécessité de professionnaliser la diplomatie congolaise, qui doit passer d’une posture réactive à une posture proactive, basée sur l’anticipation, la cohérence des messages, la continuité institutionnelle et l’exploitation stratégique des alliances. Enfin, la RDC doit mettre fin à la fragmentation politique interne, qui affaiblit la prise de décision, brouille la visibilité stratégique du pays et offre aux acteurs externes des opportunités d’influence.

2. CONSTRUIRE UN ÉTAT STRATEGE : DEPASSER LA GESTION QUOTIDIENNE POUR ENTRER DANS LA PLANIFICATION

Pour la première fois depuis des décennies, la RDC est au cœur d’enjeux géopolitiques majeurs. Cela exige un État stratège, c’est-à-dire un État capable de penser long terme, de formuler des objectifs nationaux clairs, de coordonner ses institutions et de mobiliser ses ressources autour d’une vision nationale.

Un État stratège doit être en mesure de défendre ses intérêts de manière cohérente, d’engager des négociations d’égal à égal avec ses partenaires, d’anticiper les stratégies adverses (qu’il s’agisse de puissances régionales ou d’acteurs internationaux) et d’optimiser les opportunités économiques offertes par le nouvel ordre géopolitique, notamment celles liées à la transition énergétique mondiale.

Cette transformation suppose la mise en place d’une gouvernance technocratique dans les secteurs clés, une capacité d’analyse stratégique renforcée, et un pilotage politique ferme qui transcende les cycles électoraux.

3. DEVELOPPER UNE VISION GEOPOLITIQUE NATIONALE : PASSER DE L’OBJET A L’ACTEUR

La RDC doit enfin prendre conscience de son rang potentiel dans le nouvel échiquier mondial. Avec ses ressources stratégiques, son positionnement géographique et sa démographie, le pays est devenu un enjeu géostratégique global, convoité par les grandes puissances. Cela ne doit plus être perçu comme une menace, mais comme un levier.

Être un enjeu mondial oblige la RDC à se doter d’une vision de puissance, au sens positif du terme :
 projection d’influence,
 sécurisation du territoire,
 maîtrise de ses ressources,
 capacité d’initiative diplomatique,
 construction d’un leadership régional.

Le temps où la RDC se contentait de réagir aux initiatives des autres est révolu. Le pays doit désormais concevoir et imposer ses propres priorités, articuler ses partenariats en fonction de ses intérêts, et s’inscrire dans les grands corridors géoéconomiques de demain.

En définitive, l’accord de Washington n’est ni une garantie automatique de paix, ni une menace pour la souveraineté congolaise. Il est  une fenêtre d’opportunité, mais une fenêtre qui se refermera si la RDC ne se réinvente pas en profondeur.

La paix ne viendra ni des États-Unis, ni du Rwanda, ni d’un texte signé dans un bâtiment diplomatique :

elle viendra de la capacité de la RDC à se transformer elle-même, à devenir un État stratège et à assumer sa place dans le nouvel ordre géopolitique mondial.

CONCLUSION : UN ACCORD STRUCTURANT MAIS INCERTAIN - LA PAIX DEPENDRA D’ABORD DE LA RDC

L’accord de Washington ouvre une fenêtre d’opportunité sans précédent depuis vingt ans.
Il est structurant par son architecture, inédit par l’implication américaine et potentiellement transformateur pour la région. Mais il n’est ni un miracle, ni un remède automatique.

Sa réussite dépendra de trois éléments :
1. La capacité de la RDC à se réformer et à devenir un État stratège.
2. La volonté réelle du Rwanda d’adapter la doctrine Kagame aux exigences internationales.
3. La constance de l’engagement américain, motivée par ses intérêts miniers.

La paix ne naîtra pas de la signature d’un document, mais de la convergence durable entre gouvernance congolaise, contraintes géopolitiques et incitations géoéconomiques.

La véritable question est donc moins : L’accord de Washington est-il bon ? Mais plutôt :

La RDC est-elle prête à devenir un acteur stratégique capable de transformer cet accord en opportunité historique ?