
Entre 2019 et 2023, j'ai eu l'honneur de présider aux destinées de la province du Kasaï, dans une période délicate marquée par les séquelles du conflit Kamuina Nsapu. Le tissu social était déchiré, les infrastructures détruites, l’économie à genoux. Des milliers de familles avaient fui vers l’Angola ou les provinces voisines. C’est dans ce contexte de fragilité extrême que nous avons accepté, avec foi et détermination, la mission de reconstruire notre province.
À l’issue de mon mandat, je me soumets, non pas pour un exercice d’autoglorification, mais dans une démarche républicaine de redevabilité, pour éclairer nos concitoyens et nourrir la mémoire collective. Car gouverner, c’est aussi rendre compte. Ce texte se veut donc un témoignage lucide, ouvert à la critique et tourné vers l’avenir.
Un mandat dans l’urgence de reconstruire
En 2019, la province du Kasaï sortait d’une crise socio-politique profonde, marquée par les effets dévastateurs de l’insurrection Kamuina Nsapu. Le tissu politique était en lambeaux, l’économie désorganisée, et la confiance entre communautés gravement atteinte. Une grande partie de la population avait fui vers l’Angola ou les provinces voisines. Le traumatisme, la misère et l’insécurité régnaient en maîtres dans la province.
Notre mission fut claire : restaurer la paix, reconstruire le vivre-ensemble et jeter les bases d’un développement endogène. Cette mission, nous l’avons embrassée sans réserve, dans un contexte où le Gouvernement central était généralement défaillant. Faute de rétrocessions régulières, nous avons dû faire preuve de créativité et de détermination.
Dès notre prise de fonction, l’urgence était triple : sécuriser, soigner et restaurer l’administration. Avec peu de moyens, nous avons lancé les premiers chantiers de voiries, réhabilité des écoles et centres de santé, relancé les activités agricoles et tenté de rétablir l’ordre républicain. L’action publique devait recréer la confiance. Nous avons travaillé à redonner un visage à une province meurtrie.
Des actes, pas des discours
Avec le gouvernement provincial, nous avons négocié et obtenu un prêt de deux millions de dollars auprès d’Afriland First Bank pour réhabiliter le corridor de la desserte agricole nord (Ilebo–Mweka–Luebo–Dekese–Tshikapa). Ce projet visait à relier les cinq territoires entre eux, d’une part, et au chef-lieu Tshikapa, d’autre part, en vue de relancer l’économie locale et d’ouvrir notre province sur le marché international via l’Angola. L’annulation inopinée des exonérations douanières par le Gouvernement central en a bloqué l’exécution, mais notre ténacité a permis, même tardivement, le retrait du matériel gardé en douane. L’on peut se demander pourquoi ce projet reste à ce jour à l’arrêt ? Pourquoi le détourner de son objectif initial ? Cette somme devait également servir à réhabiliter différentes infrastructures destinées au fonctionnement de la province nouvellement démembrée.
Parmi les projets concrets réalisés ou engagés, citons à titre indicatif :
1. La construction du pont sur la rivière Tshikapa ;
2. L’érection du grand marché de la Réconciliation, symbole de renaissance économique et sociale ;
3. La réhabilitation de la résidence du gouverneur ;
4. Le démarrage des travaux de la route Tshikapa–Kandjaji doublée d’un port sec ;
5. Le lancement du bâtiment de l’Assemblée provinciale ;
6. Les travaux de voirie urbaine, d’électrification et d’infrastructures publiques dans plusieurs localités.
Ces actions témoignent d’une volonté de bâtir, même dans l’adversité. Si aujourd’hui certains chantiers sont à l’arrêt, ce n’est pas parce qu’ils étaient mal pensés, mais parce que la continuité de l’action publique a été rompue. Et cela pénalise l’avenir.
Une dynamique sociale relancée
Sur le plan social, des avancées significatives ont été enregistrées :
Dans l’éducation, la fréquentation scolaire a fortement augmenté, notamment chez les jeunes filles. Nous avons accompagné la politique de gratuité prônée par le Président de la République en dotant les écoles en bancs et pupitres sur fonds propres. Leur nombre a triplé en trois ans. Plusieurs écoles ont été construites (plus ou moins 54 ) avec l’accompagnement de partenaires nationaux et internationaux.
En santé, la prise en charge des maladies hydriques et la baisse des cas de VIH dans les zones de santé de Mweka, Dekese et Kitangwa sont des signaux encourageants. Des centres de santé ont été construits ou réhabilités (60), et de nouveaux médecins affectés.
Le retour et la réinstallation des retournés volontaires de l’Angola ont été facilités grâce au climat de paix instauré dans le cadre du processus BUPOLE (KAPINGA NKUDI et KAKENGE).
Gouverner pour tous, sans exclusion
Notre plus grand combat fut celui contre la division, la haine et la manipulation identitaire. Le tribalisme, ce poison silencieux, a été combattu avec fermeté.
Nous avons gouverné au nom de tous les Kasaïens, sans discrimination. Le processus BUPOLE (paix) a contribué à la réconciliation communautaire, bien que cette paix demeure fragile. Les discours à relent ethnique ont considérablement cessé.
Le respect de tous a été une ligne de conduite : du journaliste au creuseur, chacun a été considéré comme acteur du redressement. Aujourd’hui, je m’inquiète de la résurgence de menaces contre la presse et de la criminalisation des critiques légitimes. Le retour des brimades et de la discrimination communautaire n’est pas une solution.
Une gouvernance éthique, transparente et responsable. Nous avons toujours eu pour boussole l’intégrité. Aucun scandale financier n’a terni notre gestion.
Environ 1 600 000 dollars ont été remboursés sur le prêt contracté. La dette actuelle, aggravée par des pénalités postérieures à ma déchéance du 24 avril 2021, ne saurait m’être imputée. Tous les documents de gestion ont été remis aux nouvelles autorités. S’ils ne sont pas publiés, je me réserve le droit de le faire, dans un souci de transparence envers le peuple.
Dès notre arrivée aux affaires, nous avons hérité non seulement d’un contexte post-conflit dévasté, mais aussi d’engagements financiers antérieurs. Fidèles au principe de continuité de l’État, nous avons exécuté ces obligations sans nous attarder sur des détails superflus, convaincus que seule la crédibilité de la parole publique peut garantir la confiance des partenaires. De la même manière, les engagements contractés par notre propre gouvernement, remboursés à plus de 80 % sur le principal, ne devraient en aucun cas poser problème dans une gestion rigoureuse et orthodoxe.
Sur le plan économique, nous avons élargi l’offre bancaire : de 1 à 4 établissements financiers durant mon mandat. Des investisseurs, notamment dans le secteur minier, ont manifesté leur confiance. Aujourd’hui, je déplore que certains de leurs équipements d’exploitation soient confisqués et que des matériels soient saisis sans base légale, une pratique qui compromet le climat des affaires et l’attractivité de la province.
Conclusion : Le Kasaï mérite mieux
J’ai quitté cette fonction avec la satisfaction d’avoir servi avec dignité, avec la conscience tranquille d’avoir été du bon côté de l’histoire. Je n’ai jamais prétendu à la perfection, mais j’ai gouverné avec la volonté de construire. Je ne demande pas des comptes à mon successeur, je pose des questions essentielles :
- Pourquoi abandonner des projets structurants ? (Corridor Nord et construction du bâtiment de l’Assemblée provinciale)
- Pourquoi détourner des équipements acquis et des outils pensés pour le développement au prix des sacrifices ?
- Pourquoi ne pas poursuivre ce qui a été engagé pour l’intérêt général ? (Marché de la Réconciliation et bâtiment de l’assemblée provinciale)
Le Kasaï n’a pas besoin de règlements de comptes, il a besoin de décisions. Il mérite une gouvernance responsable, fondée sur la continuité, la cohésion et l’ambition collective. À mon successeur, j’adresse un seul souhait : consolider les acquis, écouter le peuple et résister à la tentation des raccourcis faciles.
Le Kasaï doit rester uni, tourné vers le progrès.
La province attend des actes. Gouverner, c’est réaliser des actes d’une vision de salut.
Kinshasa, le 08 avril 2025
Dieudonné PIEME TUTOKOT
Gouverneur honoraire de la province du Kasaï