Modernisation de la voirie de Kananga : entre euphorie des habitants et critiques de la qualité des travaux (Reportage)

Samedi 12 avril 2025 - 12:27
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La ville de Kananga, chef-lieu de la province du Kasaï-Central, a vu sa voirie urbaine, héritée de l’époque coloniale, se détériorer progressivement au fil des années. Cela fait plus de cinq ans que des travaux d’asphaltage avaient été entamés sur certaines avenues, mais ceux-ci furent interrompus peu de temps après. En 2022, de nouveaux efforts sont déployés, tant par les autorités provinciales que nationales, en vue de moderniser et de viabiliser cette voirie, afin d’améliorer durablement les conditions de circulation et le cadre de vie des habitants.

 Reportage

Mercredi 9 avril 2025, nous entamons la ronde sur l'avenue du collège, près de l'auditorat militaire, dans la commune de Kananga, véritable centre administratif de la ville et de la province. Sur près d’un kilomètre, l’asphalte noir a été posé, divisant l’avenue en deux bandes de 460 mètres chacune. Loin de là, sur l’avenue Walikale dans la localité Biancky, quartier Malandji, tout près de la résidence du gouverneur, la couche noire est aussi visible. 

Bien plus, l’avenue Bakua Bisamba, toujours dans la commune de Kananga, jadis un véritable bourbier après chaque pluie, commence à revêtir une nouvelle allure. Là où l’eau stagnait, des graviers sont désormais compactés en préparation pour la couche d’asphalte à venir, soulevant la joie et les espoirs des habitants de la zone. 

 

« Avant, c’était un vrai calvaire, chaque pluie nous transformait ce chemin en un étang. On risquait de tomber dedans. Mais quand même, il y a un changement », confie Mpela La Blonde, une couturière, assise dans un atelier à proximité de l'avenue.

Salomon Idriss Mbuyi, dont la parcelle est proche de la même avenue, supplie quant à lui Safrimex de poursuivre jusqu’au bout. 

"Sinon, d’autres maisons resteront à la merci des intempéries", craint-il.

Des réponses techniques aux critiques

À ceux qui remettent en cause la qualité de l’asphaltage, Chaguy Mayilanda, chef de mission de contrôle chez Modulor, répond sans ambages.

« La chaussée comporte plusieurs couches (...), ce que vous voyez, c'est la couche de déroulement en enrobé dense qui a été étudiée par le laboratoire national de travaux publics à Kinshasa avec des résultats satisfaisants, je ne sais pas pourquoi on doit dire ça. En dessous de cette couche, nous avons la couche de base, constituée des matériaux 031.5 également étudiés au laboratoire. La qualité des matériaux ou de la couche, c'est étudié au laboratoire, pas avec la vue », a-t-il souligné. 

Mustapha Raad, directeur provincial de Safrimex, évoque les défis surmontés. Lors de son arrivée à Kananga, la société n’avait pas trouvé le concasseur dans la région. C’est donc tout un processus logistique qui a dû être mis en place pour acheminer le matériel nécessaire à l’avancement du projet. Il faut aussi compter avec la saison des pluies, qui a perturbé les travaux d’asphaltage, mais avec l’arrivée de la saison sèche, la cadence des travaux devrait accélérer, rassure-t-il. 

Des chiffres qui expliquent le niveau d'exécution

Selon Modulor, les travaux d’assainissement sont achevés sur 32 km du premier lot, notamment dans les communes de Kananga, Katoka et Ndesha. Plusieurs glissières sont également en place.

Pour le deuxième lot (42 km), Safrimex a déjà engagé les travaux sur cinq axes stratégiques : (Bena-Dibele, Uvira, Goma, Walikale et Kadima Kasavubu), rassure BK Architect qui s'occupe de contrôle pour ce lot, ce qui représente 25% sur le 100% de ce lot.

Les défis se multiplient, mais aussi les initiatives se créent. La lutte contre l’érosion, entamée sur l’avenue Kandindi dans la commune de Katoka, sauve littéralement des maisons menacées par les assauts de la nature déchaînée. De même, dans la commune de Kananga, une érosion menaçant une école et plusieurs habitations sur l’avenue Kabongo Nsende a été stoppée net, faisant naître un soupir de soulagement dans les familles ébranlées.

Des habitants exaspérés suite aux caniveaux laissés ouverts

Mais toute métamorphose a son prix. À Kasavubu 1, au PK 420, certains riverains en ont gros sur le cœur. Jean Serge Mutombo, exaspéré, dénonce les caniveaux laissés ouverts, les accès bloqués, les travaux en dent de scie.

« L'appréciation est mauvaise par rapport à la qualité du travail que Safrimex est en train de fournir. Il {Safrimex, Ndlr }, travaille aujourd'hui deux jours après il laisse et quand la pluie tombe, tout est ravagé. Safrimex bloque le passage à travers ces cannivaux ouverts partout, des gens ont des véhicules et motos mais ne savent pas comment passer. Ça fait beaucoup de temps qu'ils sont là et on ne voit rien. Si je parcours à partir du petit marché Biancky Malandji jusqu'à Malandji, sur 100% je peux leur donner 25 ou 27% », déclare vendredi 10 avril, Jean Serge Mutombo, visiblement choqué par rapport à ce qu'il voit devant sa parcelle.

 Appel à la patience de Safrimex

« Si la population se plaint qu'il n'y a pas d'accès, on ne peut que commencer par là, on ne peut pas vouloir avoir une route et ne pas accepter qu'on ait un trou où on va aménager les assainissements. Ils devront prendre patience, bientôt les caniveaux seront montés, les dalles des traversées seront montées et on va oublier cette étape là », rassure Mukendi Paulin, directeur technique de Safrimex, soulignant que la société se porte garante de réparer des dommages causés lors des travaux d'assainissement. 

Assurance des autorités

« Toutes nos populations doivent comprendre que ce sont les travaux de génie civil, ces travaux ont des durées (...) La deuxième chose c'est d'être serein et calme, les travaux ont effectivement repris. Hier il y a eu des bruits selon lesquels Safrimex devrait arrêter, Safrimex est là et les travaux sont en cours», explique Joseph Moïse Kambulu, gouverneur du Kasaï-Central, à l'issue d'une visite sur l'avenue Kasavubu II où s'effectue les travaux de la lutte contre les erosions. 

 Des allégations de détournement démenties 

Jean François Malangu, chef d’antenne du Bceco au Kasaï-Central, met un terme à toute spéculation sur d’éventuels détournements de fonds liés à ce projet, arguant que la preuve d’un tel détournement se mesurerait à l’impossibilité même de mener à bien ces travaux. Les comparaisons avec les aménagements de Mbuji-Mayi se voient nuancées par les contraintes inhérentes à Kananga, notamment le manque initial de concasseur et aussi la différence au niveau de début des travaux, qui n'ont pas débuté le même jour. 

« Lorsqu'on parle d'un détournement, il doit être documenté. Nous avons circulé avec vous sur les différents sites qui sont exécutés par l'entreprise Safrimex (...) vous avez vu comment les ouvrages ont été faits, si ces ouvrages n'ont pas encore fini, ce que nous sommes encore en chantier cela me renvoit à ne pas avoir une réponse sur le détournement. Si on avait détourné vous n'auriez pas trouvé une entreprise qui est en train d'exécuter les travaux, si vous trouvez une entreprise et vous parlez de détournement, celà relève de la fantasmagorie, il n'y a que ceux qui le disent qui peuvent le prouver», a-t-il dit. 

En juillet 2022, un accord a été signé entre la province et le Bureau Central de Coordination (Bceco) pour moderniser une voirie urbaine vieillissante, vestige de l’époque coloniale. Ces infrastructures, fatiguées par les années et les intempéries, seront remplacées sur plus de 84 kilomètres, répartis en deux lots. Le premier, confié à Safrimex, couvre 42,38 km avec un délai d’exécution de 36 mois. Modulor assure le contrôle, tandis que l’OVD s'occupe de la surveillance. En parallèle, Toha Investment devrait prendre en charge un autre lot de 42 km. Mais après des revers cuisants, le flambeau est entièrement remis à Safrimex. BCECO, en maître d’ouvrage délégué, veille au bon déroulement de l’ensemble.

Lors de son passage dans la région en septembre 2022, le chef de l’État Félix Tshisekedi a lancé les travaux qui touchent les cinq communes de la ville de Kananga. 

Alain Saveur Makoba, à Kananga