C'est ce mercredi 30 juin 2021 que la République démocratique du Congo célèbre ses 61 ans d'indépendance. À cet effet, Al Kitenge, spécialistes des questions économiques, a accordé une interview à la Rédaction de 7SUR7.CD dans laquelle il est revenu sur l'évolution de l'économie congolaise depuis 1960, date de l'obtention de l'indépendance par la RDC, jusqu'à ces jours. Il a évoqué les difficultés de l'économie nationale mais aussi ses perspectives d'avenir. Al Kitenge affirmé qu'en accédant à l'indépendance, la RDC n’a jamais été planifiée pour progresser de manière intensive et cohérente. Cependant, il fonde l'espoir qu'en 10 ans, la RDC peut donner la dignité économique à ses citoyens en modernisant son cadre fiscal.
(L'intégralité de l'interview avec l'économiste Al Kitenge)
7SUR7 : Comment évaluez-vous la gestion de la RDC, sur le plan économique, durant les 61 dernières années ?
A. K : L’indépendance politique de la RDC n’a pas encore procuré la prospérité et la dignité aux congolais sur les plans économique et culturel. Sur le plan économique, la raison est simple et unique. La RDC n’a pas planifié de manière cohérente son progrès. Ses partenaires qui lui ont prêté le cerveau l’ont piégé avec des programmes à court terme en permanence pour l’enfermer dans les urgences et poursuivre les pillages des ressources. En interne, pris dans ces pièges, la classe politique a oublié que le vrai pouvoir était économique. Les acteurs politiques ont passé le temps à se créer des statuts de stars financières sans travail et pour y arriver, ils ont désarticulé le système fiscal. La RDC n’a jamais été planifiée pour progresser de manière intensive et cohérente.
7SUR7 : Qu'est-ce qui peut justifier ce que vous venez de décrier ?
A. K : Deux pièges ont cloué le pays : L’absence d’un plan stratégique de développement à un horizon de 30 ans minimum afin d’agir durablement sur le capital humain, porteur des progrès sans lequel rien n’est possible. En effet, la RDC a enfermé 80% de sa population en milieux ruraux sans formation. Les performances y sont minables et les gens y vivent en conditions proches d’animal et c’est inacceptable. Si on avait un plan stratégique, on n’aurait jamais lancé une exploitation intensive des ressources minières sans développer l’énergie. On aurait su que c’était un piège pour exporter les produits semi-transformés alors que le code minier l’interdit et nous perdons des ressources…pourtant épuisables sans contrepartie équitable. On aurait partagé en tant que peuple, l’intérêt d’une gouvernance ouverte et responsable. On aurait étouffé la corruption et l’indiscipline qui assassinent tout germe de progrès.
7SUR7 : Et qu'en est-il du deuxième piège ?
7SUR7 : Le deuxième piège est culturel. Les congolais se sont mis en tête qu’ils pouvaient coloniser les frères des milieux ruraux et se sont mis à importer des biens d’abord d’Europe puis de partout au monde au détriment du travail et des emplois. La fracture entre urbain et rural avec la conséquence d’exode rurale qui ressemble à la traversée de la Méditerranée nous envoie un message d’irresponsabilité que nous n’avons pas capté en 61 ans. La construction des richesses est un défi collectif. Le développement commence à la base. Si nous ne modifions pas ce paradigme, ce sera impossible de progresser car les guerres des oubliés de la Nation avaleront des budgets qui auraient pu aller au développement humain et aux infrastructures économiques. En 61 ans, la Nation a commis des fautes morales qui dépassent le cadre politique. Nos universités sont en faillite intellectuelle, improductives et absente au rendez-vous de l’innovation sociétale.
7SUR7 : Selon vous, est-il indispensable que la RDC s'assure une souveraineté alimentaire ?
A. K : Nos populations meurent trop jeunes et nous gaspillons leurs talents. La jeunesse si fièrement brandie est une bombe à retardement si elle n’est pas formée et n’a pas d’opportunités pour s’épanouir. Le pays doit assurer sa souveraineté alimentaire mais surtout intellectuelle et culturelle. Pourtant, nous avons des atouts et nous pouvons mettre le cap sur le centenaire de l’indépendance et planifier une Nation de rêves pour nos petits enfants. En dix ans, la RDC peut donner la dignité économique à ses citoyens en modernisant son cadre fiscal afin de rendre les citoyens responsables et promouvant le travail. La valeur du travail devra être enseignée dès la petite école.
7SUR7 : Quels sont les différents facteurs qui ont concouru ou qui concourent à la chute de l'économie congolaise depuis l'indépendance ?
A. K : Pillages et contrats léonins dans les grands secteurs économiques dont les mines, corruption, insuffisance d’énergie, absence de vision mobilisatrice, importations inutiles, guerres évitables, impréparation du capital humain, leadership centralisé et absence d’actions à la base.
7SUR7 : Quelles actions recommandez-vous aux autorités compétentes pour rendre l'économie du pays plus résiliente, notamment face à la Covid-19 ?
A. K : Éradiquer l’économie informelle et rétablir une relation responsable avec les citoyens, moderniser le fonctionnement de l’État et informatiser les services publics, mettre le citoyen au centre de la stratégie nationale dans tous les secteurs, promouvoir l’intégrité publique, investir dans l’homme (santé et éducation de pointe), développer le potentiel énergétique et industrialiser les filières afin de stopper les importations inutiles.
7SUR7 : Comment appréciez-vous les derniers accords de coopération conclus entre la RDC et le Rwanda ? Est-ce que ces accords vont-ils permettre de mettre fin à l'exploitation illégale des minerais congolais par le pays de Kagame ?
A. K : C’est une partie de l’arsenal de paix. Il faut faire plus et plus globalement.
Propos recueillis par Prince Mayiro