Le débat est largement ouvert au sujet de l’avenir de certains grands partis politiques, dont les leaders charismatiques sont frappés par la limite d’âge. Il est difficile de savoir, en l’absence de dauphins statutairement désignés, s’ils vont survivre à la mort physique, plus que certaines, des personnalités auxquelles se sont identifiés, pendant des décennies, cadres et militants ou combattants. Les mois et années à venir ne vont pas manquer d’apporter des réponses aux historiens du présent.
Mais, l’incertitude du lendemain ne guette pas que les formations politiques dont l’organisation et le fonctionnement sont intimement liés à leurs pères fondateurs. Il y a aussi ces partis politiques qui ressemblent aux «associations momentanées», dont l’appartenance est plus liée aux dividendes financiers que procurent les fonctions politiques et postes de gestion qu’aux convictions politiques. Qui aurait cru que l’Abako (Alliance des Bakongo) des défunts patriarches Joseph Kasa-Vubu, Edmond Nzeza Nlandu, Gaston Diomi, Daniel Nkanza et autres Antoine Kingotolo serait, cinquante ans après l’indépendance, une coquille vide, à l’image de celle de l’escargot ou « nkodia, », choisi comme logo par ses pères fondateurs ? Qui aurait pu penser que le MNC (Mouvement National Congolais) de Patrice Lumumba, Albert Kalonji, Joseph Ileo et Joseph Ngalula disparaitrait totalement du paysage politique congolais, tous les héritiers politiques et biologiques ayant tourné le dos à ce label ? Enfin, qui au rait pu imaginer que le MPR (Mouvement Populaire de la Révolution) de Mobutu Sese Seko, « institutionnalisé » en Parti-Etat, auquel tout Zaïrois adhérait dès le sein maternel, et où se bousculaient des « Mobutistes » prétendument purs et durs, aujourd’hui métamorphosés en « Kabilistes » inconditionnels, ne serait plus que l’ombre de lui-même ? Du 20 mai1967, date de sa création avec la publication du « Manifeste de la N’Sele », au 20 avril 1990, date où son Président-Fondateur, le maréchal Mobutu, avait « pris congé » de lui à partir de la Cité historique de N’Sele, dans la banlieue Est de Kinshasa, cette formation politique avait fabriqué, pendant 23 ans des bourgeois politiques en quantité industrielle.
S’il est établi que nombre d’acteurs politiques congolais « fonctionnent » sans idéal politique et que leurs choix politiques dépendent essentiellement par l’opportunisme, l’on peut affirmer, sans peur d’être contredits, que les partis politiques qui paraissent aujourd’hui comme les plus populaires et les mieux implantés aux quatre coins de la République ne sont que des colosses aux pieds d’argile. Demain ou après demain, ils vont subir un sort comparable à celui de l’Abako, du MNC et du MPR, Quand les « Kabilistes », les « Bembistes », les « Tshikedistes », les « Ginzegistes », les « Kamerhistes » se rendront compte qu’ils n’ont pas plus rien à gagner sous le label des clans politiques qui leur permettent de se positionner dans les institutions de la République, ils ne vont pas hésiter à chercher de nouveaux filons politiques sécurisants et rémunérateurs. Ainsi la vie au Congo d’hier et d’aujourd’hui.
Des caméléons politiques professionnels
L’homme politique congolais est doté d’une faculté exceptionnelle de changement de coloration politique selon la tête du maître du jeu politique du moment. Entre 1960 et 1965, on avait assisté à l’émergence et à la disparition d’alliances politiques contre-nature à répétition, où les rangs des « Lumumbistes » s’étaient vidés à vue d’œil, après la perte de l’impérium en septembre 1960 suivie de l’assassinat de leur chef spirituel, Patrice Emery Lumumba, en janvier 1961. Quelques inconditionnels avaient tenté de mener des actions de résistance à travers des rébellions, avant de tomber, soit dans les bras de Kasa-Vubu, alors président en fonction, soit des Premiers ministres Adoula ou Tshombé.
Après la prise du pouvoir par Joseph Désiré Mobutu, le 24 novembre 1965, on assista aux actes d’allégeance en série des « Abakistes », « Lumumbistes » et autres «Tshombistes » au nouvel homme fort du pays. Tout le monde ou presque était devenu «Mobutiste». Personne ne tenait à être étiqueté « Cadre tiède, antirévolutionnaire » ou « Elément de la 5me colonne». Nombre d’opposants partis en exil ne se faisaient pas prier, à coups de billets de banque et de promesses de postes politiques, de quitter leurs planques occidentales pour embrasser le régime de la « Révolution-pardon». «L’Homme à la toque de Léopard» était tellement courtisé et adulé par la classe politique qu’il avait fini par se prendre pour un demi- Dieu, le Père de la Nation, le Sauveur de la patrie, le Rassembleur, le Pacificateur, le Timonier, l’immortel. Grisé par le pouvoir, il faisait chanter et danser publiquement membres du Bureau Politique et du Comité Central du MPR, Commissaires d’Etat (ministres), Commissaires du peuple (députés), Commissaires de Région (Gouverneurs de province.), PDG d’entreprises publiques, Officiers généraux de l’Armée, de la Gendarmerie (Police) et de la Garde Civile (police), Chefs des services des renseignements, Recteurs d’Universités et Directeurs généraux d’instituts Supérieurs, Ambassadeurs, Chefs des confessions religieuses, etc. La « grande récréation » n’a pu s’arrêter que le 24 avril 1990, lorsque le dictateur, poussé vers la porte de sortie par ses parrains occidentaux, a cru survivre politiquement à travers la libéralisation des activités politiques, marquée .par un « multipartisme à trois » (MPR/Fait privé, UDPS, PDSC) avant le multipartisme intégral.
Mais, dès que le glas a sonné, le 17 mai 1997, ceux qui chantaient et dansaient à la gloire de Mobutu ont réalisé l’exploit de se muer en inconditionnels de l’AFDL (Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo) et plus tard des CPP (Comités des Pouvoirs Populaires) le temps que s’arrête la chasse aux sorcières déclenchée par Mzee Laurent Désiré Kabila. Puis, en trois temps, trois mouvements, certains n’ont pas hésité à rejoindre les différents mouvements rebelles suscités contre le « Libérateur » par le Rwanda et l’Ouganda, à partir de 1998.Et, une fois la parenthèse de la rébellion fermée en décembre 2002, à la faveur du Dialogue inter- congolais, on a assisté au repositionnement stratégique des « Mobutistes » dans tous les rouages du pouvoir du Régime 1+4, pour finir par revendiquer, au lendemain des élections de 2006 remportés par Joseph Kabila, le statut de chauds partisans du « kabilisme».
Si le vent tourne, après le 27 novembre 2016, en faveur de l’alternance au sommet de l’Etat, «Mobutistes », «Tshisekedistes », « Gizengistes », «Bembistes », « Kamerhistes », «Kabilistes » et autres trouveront le moyen de justifier leur changement de casquette politique. L’histoire de l’Abako, du MNC et du MPR devrait servir de lampe-témoin à ceux qui croient qu’il existe, dans l’espace politique congolais, des acteurs politiques réellement attachés à un idéal politique, un projet de société.
Par Kimp