Qu’elle se passe dans la méditation, comme ce fut le cas durant les dernières années de la dictature de Mobutu, ou dans l’allégresse, comme aux premières années du gouvernement Kasa-Vubu et sous les deux derniers mandats de Joseph Kabila, la fête de l’indépendance a cessé de faire rêver les Congolais. Car, 55 ans après, au lieu d’un bilan flatteur conforme à l’esprit et à la lettre de l’hymne national, ils ont le sentiment de vivre dans un enfer terrestre, où le futur est plus que jamais inquiétant.
En un peu plus d’un demi-siècle d’existence en tant qu’Etat indépendant et souverain, le grand Congo a brillé par un terrible recul dans la voie de la démocratie et du développement. L’ex-Congo belge était pourtant pressenti comme la locomotive du progrès social et économique du continent, car affichant des statistiques de production agricole et minière presque comparables à celles des pays émergents tels que le Canada, la Corée du Sud, l’Afrique du Sud, le Maroc et autres Singapour. Quant les artistes chantaient « Kinshasa poto moyindo (Kinshasa, c’est l’Europe des Noirs), ils n’avaient pas tort.
En effet, en dépit de la crise des cadres universitaires qui faisait rage, la jeune République Démocratique du Congo était assise sur un « matelas » de cadres subalternes d’une administration publique performante et une abondante main-d’œuvre sortie des écoles des métiers (maçons, menuisiers, charpentiers, travailleurs des mines, cheminots, matelots, mécaniciens, chauffeurs, ajusteurs, cordonniers, couturiers, moniteurs agricoles, infirmiers, assistants médicaux, maîtres d’écoles, aides-accoucheuses, etc.). Les industries lourdes ainsi que les petites et moyennes entreprises disséminées aux quatre coins du pays faisaient courir de nombreux Africains du Nord, du Sud, de l’Est et de l’Ouest vers Léopoldville (Kinshasa), Elisabethville (Lubumbashi), Jadotville (Likasi), Stanleyville (Kisangani), Boma, Matadi, Goma, Constermansville (Bukavu), Leverville (Lusanga), Coquilatville (Mbandaka).
L’indépendance du ventre était réellement atteinte avec des fermes agro-industrielles qui, après avoir satisfait les besoins internes, permettaient au pays d’aligner des statistiques d’exportation le plaçant dans le « top 10 » pour le coton, l’huile de palme, le café, le caoutchouc, le riz, l’arachide, le manioc, le maïs, le haricot, etc. Scandale géologique, le Grand Congo côtoyait les plus producteurs mondiaux de cuivre, d’or, de diamant de cobalt, d’étain, de manganèse, etc. Le Congolais était crédité, à l’époque, d’un produit intérieur brut fort flatteur.
Des malades en provenance des quatre coins du continent venaient se faire soigner à la Clinique Reine Elisabeth (Ngaliema), à la Clinique Danoise (Clinique Kinoise), Cliniques Universitaires de Kinshasa, Clinique de la Gécamines, etc. L’Université Lovanium (Université de Kinshasa) jouissait d’une réputation qui dépassait les frontières de l’Afrique et accueillait des étudiants de toutes les nationalités désireux de bénéficier d’une formation supérieure de haute qualité. Rwandais, Burundais, Congolais de Brazzaville, Angolais… ne se comptaient plus dans les fichiers de cette alma mater.
« Pays normal », la RDC offrait à ses citoyens ainsi qu’aux étrangers des conditions de vie, de travail, de logement, de nourriture, d’études, de prise en charge médicale, de transport, de loisirs, de sécurité… dignes d’êtres humains.
Il était difficile de croire que, cinquante ans après, le Congolais occuperait les dernières loges en ce qui concerne l’indice de développement humain, qu’il serait frappé par un chômage sans pareil, une famine permanente, des endémies et des épidémies de toutes sortes, qu’il serait incapable de payer les études de ses enfants, qu’il logerait dans une maison en cartons ou en paille en pleine ville, qu’il voyagerait dans des camions, des avions et des bateaux comme du bétail, qu’une produirait une nouvelle génération de citoyens baptisés « Shegués » et « Kuluna ».
Il était impensable de croire qu’il vivrait dans un pays où la justice fonctionnerait à double vitesse, où des fortunes scandaleuses insulteraient la misère noire de la multitude, où l’intégrité territoriale serait continuellement remise en question par des voisins belliqueux et aux velléités expansionnistes, où la cohésion nationale serait difficile à obtenir dans un environnement de querelles politiciennes interminables, sur fond de recherche de leur confort personnel par des individus, au lieu de la quête du bonheur collectif.
Cinquante ans après, le Congolais se nourrit toujours de l’illusion de bâtir un pays plus beau qu’avant, de retrouver une paix durable continuellement perturbée par des forces négatives portées à bouts de bras par ses propres compatriotes, pour des intérêts obscurs, de rendre gratuite son école primaire, de se construire des formations médicales capables de mettre fin aux transferts médicaux vers l’étranger, de moderniser une agriculture plus que jamais privée des moyens de se mécaniser, de créer des emplois dans un océan de chômage, de relancer une industrie minière condamnée par des prédateurs nationaux et étrangers, de réhabiliter des entreprises publiques transformées pour la plupart en canards boiteux.
Et pendant que le Congolais s’interroge sur son avenir et son devenir, ses leaders politiques s’entredéchirent autour des stratégies de conquête ou de conservation du pouvoir, non pas pour se mettre au service des autres, mais plutôt pour « s’installer » et « installer », selon l’expression consacrée sous la seconde République de triste mémoire.
En cinquante ans, on est gavé de slogans. De la « petite Amérique » de Tshombe, à construire en trois mois, à l’ »Objectif 80 » de Mobutu, en passant par l’ «Autroprise en charge » de Mzee Laurent Désiré Kabila, l’on est aujourd’hui à la Révolution de la Modernité, dont la visibilité reste encore faible, en dépit de l’Atteinte du Point d’Achèvement de l’Initiative Pays Pauvres Très Endettés en 2010.
L’actualité du moment se focalise sur le « Dialogue national inclusif », dont on attend du Chef de l’Etat, Joseph Kabila, une claire option à partir de la ville portuaire de Matadi, où il compte passer la fête du 30 juin 2015. L’on s’attend à ce qu’il lance un message d’espoir, nécessaire à la décrispation du climat politique, à la veille des échéances électorales, dont les plus cruciales seront la présidentielle et les législatives nationales de novembre 2016. La communauté nationale serait curieuse de savoir si sa classe politique est capable de privilégier l’intérieur du grand nombre, pour permettre à la RDCongo de redevenir un « Etat normal », et non pas le bien privé d’une minorité. En attendant des millions de concitoyens, désespérés, poursuivent leur chemin de croix.
Kimp