Catholiques, protestants, kimbanguistes, salutistes, musulmans, évangélistes … interpellés au courage politique !

Mercredi 9 décembre 2015 - 11:35

« Aux chrétiens de notre pays, spécialement aux laïcs catholiques, nous demandons de prendre conscience de la nécessité de leur participation active à la prise des décisions qui ont un impact sur la marche de la vie collective. Soyez-y présents en tant que chrétiens et apportez-y la lumière du Christ. N’attendez pas la permission des Evêques pour vous engager dans la politique et ne leur demandez pas de le faire à votre place. C’est bien là le domaine de votre sanctification. »

C’est en ces termes que s’expriment les évêques de la République Démocratique du Congo à la fin de leur assemblée plénière ordinaire du 15 juillet 2000. En les paraphrasant, aujourd’hui, en ce moment où nous aspirons tous à un œcuménisme de prière et d’actions, bâtisseur de la terre promise RD Congo, on obtient la recommandation suivante :

«Aux croyants de notre pays, spécialement aux laïcs catholiques, protestants, kimbanguistes, musulmans, salutistes, évangélistes, nous demandons de prendre conscience de la nécessité de leur participation active à la prise des décisions qui ont un impact sur la marche de la vie collective. Soyez-y présents en tant que croyants et apportez-y la lumière du Christ et de Mohamed. N’attendez pas la permission des Evêques, prêtres ni pasteurs pour vous engager dans la politique et ne leur demandez pas de le faire à votre place. C’est bien là le domaine de votre sanctification. »

Sans équivoque, à travers les déclarations des évêques catholiques, les Pères de nos églises, toutes confessions religieuses confondues, invitent les laïcs à s’engager davantage et sans surtout attendre leur autorisation ni sans doute celle d’autres autorités ecclésiales.

Pour tous ceux qui connaissent l’église catholique du Congo, ce texte est sans doute une première encourageante dans la lutte des laïcs pour un engagement politique responsable. En effet, cette déclaration met fin aux conflits inutiles qu’engendrait l’engagement politique des croyants de qui, avant toute action, les autorités ecclésiales attendent une information qui souvent rime avec autorisation !

S’il est vrai que cette déclaration inaugure une ère nouvelle dans la responsabilisation politique des croyants, elle exige aussi un appui sans ambigüité de la part des autorités de nos églises. En effet, s’il est vrai que la politique est le domaine de sanctification des laïcs, le politique n’est pas moins le domaine de sanctification de tout humain, laïc comme homme d’église, prêtre, pasteur comme évêque, religieux comme religieuse.

C’est sans doute ce qui explique la récente position des évêques catholiques. Sans ambages, face à la situation inquiétante et préoccupante d’avant les élections de novembre 2016, les évêques appellent à la mobilisation générale de tous les croyants, hommes et femmes de bonne volonté. Comme hier, rendez-vous est pris pour le 16 février 2016, date qui, enfin, entre dans la mémoire officielle de l’Eglise catholique et du peuple de Dieu : la prochaine marche se déroulera « à l’occasion de l’ouverture de l’année jubilaire de la marche historique du 16 février 1992 » !

Les conséquences d’une déclaration

Pour les laïcs

La grande question qui se pose actuellement est celle de savoir à quel laïc l’église catholique s’adresse-t-elle. Il ne s’agit certainement pas du laïc béni-oui-oui qui ne vit et n’existe que par sa soumission aux officiels de l’église et qui, à force de demander des autorisations avant d’agir au nom de sa foi, a perdu toute audace Christique, c’est-à-dire, celle qui conduit non pas au bas de la croix, mais bien sur la croix. Il ne s’agit pas du laïc rendu muet par les petits avantages sociaux qui consolident son être de croyant et le transforme en éternel enfant quémandeur de faveurs.  Il ne s’agit pas de ce le laïc qui, en plus de son baptême, attend la bénédiction du Père pour agir politiquement ; ni de celui qui avale les graines de chapelet comme solution miracle au problème que pose son engagement pour la cité et avec la cité.

Il est plus qu’évident que nos églises en appellent, désormais, à un autre type de laïc pour faire vivre la recommandation des Pères de nos églises. Qu’on ne s’y trompe pas ! Ce nouveau laïc existe, forgé par les sacrifices, la souffrance, la misère, dans les familles des croyants, chrétiens et musulmans ; des familles où il a appris à dire non en offrant des alternatives porteuses de changements. Ce nouveau laïc grandit, à la base,  dans les Cellules, « masanga », Cellules Ecclésiales Vivantes de Base (CEVB) où il fait, au quotidien, l’apprentissage de la volonté du Père qui s’accomplit sans que la sienne ne le soit. Ce nouveau laïc se réveille dans nos paroisses, temples et autres mosquées où il fait la connaissance de la force de l’action politique communautaire non violente des baptisés. Ce nouveau laïc va, à coup sûr, avec patience et persévérance, couper le cordon ombilical qui le relie au père dans le respect de ce dernier et pour le bien de toutes nos églises et de toute sa société.

Face à tous ceux qui lui reprocheraient son engagement politique, le croyant, laïc catholique, protestant, musulman, salutiste, kimbanguiste et évangéliste, a désormais un texte qui, s’il ne le protège pas, lui assure néanmoins le soutien de toute son église, de l’évêque au simple fidèle, pourvu que ceux-ci arrivent à constituer ce lobby puissant qui doit accompagner l’action politique du laïc.

Pour l’évêque, l’imam, le prêtre et le pasteur

La déclaration des évêques qui responsabilise les laïcs dans leur action politique est lourde de conséquence lorsque l’on connaît le contenu de cette action dans le contexte du Congo. En effet, cette déclaration invite les hommes de Dieu, de l’évêque à l’Imam, en passant par le prêtre et le pasteur,  à être réellement un serviteur au service de l’action politique du laïc. Nos églises ont, aujourd’hui, des prêtres, pasteurs, imams et évêques capables de relever le défi du chef serviteur, à l’écoute de son peuple et agissant sous le commandement du peuple souffrant de Dieu et non sous le leur.

Cette déclaration exige une génération d’hommes et de femmes d’église qui acceptent la critique et le conflit comme essentiel dans la démarche qui vise à refaire politiquement une société habituée à un seul son de cloche. Cette génération d’hommes et de femmes d’église devra s’ouvrir aux valeurs démocratiques évangéliques pour que cette église elle-même serve de matrice qui donne naissance à cette nouvelle génération d’hommes et de femmes politiques qui feront la différence par leur manière d’être en politique.

L’actuelle déclaration exige des prêtres, pasteurs, imams et évêques, acteurs de changement, prêts à courir des risques et à donner leur vie. La déclaration met fin à la génération de prêtres champions de prêches pour donner naissance aux prêtres de la rue ! Demain, C’est ensemble que nous ferons cette marche du 16 février prochain afin de redonner espoir au peuple souffrant de notre pays!

Et l’action politique sanctifia le croyant

L’action politique qui sanctifiera le croyant aujourd’hui est une action en faveur de la paix, une paix que le laïc croyant veut construire par un engagement non-violent actif et le dialogue. Le seul hic, c’est que le croyant ne sait pas souvent par où commencer son action politique dans un contexte où gouvernants et gouvernés, opposants et société civile etc., tous, semblent se complaire dans une situation de blocage dont les victimes restent les pauvres civils.

Dans ce contexte, il faudra beaucoup de créativités au laïc croyant engagé dans l’action politique, afin d’élaborer des stratégies non violentes efficaces, qui feraient pression sur les dirigeants, afin de garantir le respect de la constitution et une alternance politique qui aille au-delà de l’alternance des personnes physiques pour offrir une alternative à cet odieux système qui, depuis l’existence de l’Etat Congo, refuse de placer le Congolais et la Congolaise au centre de ses préoccupations.

Première action : couper les ficelles de la manipulation

La première ficelle que le croyant congolais devra couper est celle de la fatalité. Les croyants doivent cesser de croire que personne ne pourra changer l’état actuel des choses. La ficelle de la fatalité a fait de tous les croyants de ce pays des résignés, des passifs incapables de tout acte révolutionnaire de changement au profit du peuple.

Combiné à la ficelle de la religion, la ficelle de la fatalité rend Dieu responsable de toute misère individuelle « C’est lui qui veut que cela soit ainsi. N’est-ce pas lui qui a créé certains riches et d’autres pauvres ? Comment pouvons-nous nous rebeller contre Lui ? »

Cette ficelle a donné naissance à une religion festive caractérisée par la passivité et les miracles à qui en veut. Cette religion démobilise le peuple. C’est celle qui est chantée chaque jour, dans les bus, épuisant les travailleurs croyants avant même qu’ils n’aient commencé le travail. C’est encore elle que des croyants devenus crétins vénèrent dans les quartiers à des heures où l’on devrait se reposer pour retrouver les forces nécessaires à un travail efficace le jour après. Cette religion est assassine parce qu’elle invite à la soumission et à l’obéissance qui déshumanisent.

Les croyants se doivent de rejeter cette religion parce que la volonté de Dieu n’a jamais été celle de faire d’eux des esclaves d’autres humains. Dieu ne les a pas créés pour être pauvres. Ceci n’a jamais été sa volonté mais bien celle de certains fils et filles égoïstes de ce pays, pris en relais par d’autres humains égoïstes d’ailleurs, qui, ensemble, ont décidé de transformer le monde en une terre sans humanité. Le Dieu auquel les croyants doivent désormais croire est et a toujours été celui qui ne leur a jamais promis le ciel en échange de leur soumission ni de leur obéissance à des lois injustes.

Non ! Dieu ne les oblige pas à accepter n’importe quoi, parce que lui-même est rébellion contre tout ce qui déshumanise l’humain. Dieu les invite à ne plus se taire face aux injustices. Il recommande leur révolte. Il ne leur permet plus d’être indifférents aux souffrances des autres. Ce Dieu attend leurs actions pour la démocratie, pour le dialogue, pour la paix, pour l’état de droit. Il n’a que faire de leurs lamentations.

Dans leur démarche de sanctification, les croyants devront aussi couper la ficelle de l’autorité de l’Etat, celle de la sécurité et de l’ordre établi qui, dans ce pays, ont cessé d’être la sécurité et l’ordre de tout le peuple. Cette ficelle est très appréciée par les animateurs des dictatures et autres démocraties de façade qui n’ont pour seul objectif noble que de « restaurer l’autorité de l’Etat! ». Pour accomplir cette tâche les gouvernants organisent la corruption, les arrestations arbitraires, les rapts, les assassinats, les menaces à la télévision et à la radio, etc. On doit débarrasser la ville de la vermine ; il faut détruire le virus qui empêche l’Etat de se reconstruire !

Dans ce contexte, l’armée devient une armée au service non plus du peuple, mais bien de celui qui est au pouvoir. Les militaires, de nos jours jeunes innocents avides de travail, seront régulièrement envoyés pour domestiquer tout celui qui ose élever sa voix. Tous ceux qui ont des opinions contraires doivent être arrêtés, emprisonnés, tués ou vendus comme à l’époque de l’esclavage. En effet, ils sont dangereux.

Les membres de cette armée sont recrutés parmi les enfants croyants des quartiers pauvres, afin de les pousser à s’entretuer pendant que ceux qui sont au pouvoir se la coulent douce, sécurisés par la soumission aveugle des militaires à qui ils offrent primes arbitraires, salaires improvisés, promotions non méritées, etc.

Mais pour couper cette ficelle de l’autorité de l’Etat, les croyants devront se débarrasser de la ficelle de la peur. Cela ne sera possible que le jour où, tous acceptent la prison comme seul lieu de paix pour le combattant pour la justice et la paix. Aujourd’hui, les nombreuses arrestations dont les uns et les autres sont victimes contribuent à cette conviction. Mais ceci ne suffit pas.

Braver la peur, pour les chrétiens, signifie, aujourd’hui, être capable de porter plainte contre tout celui qui se rend responsable de leur arrestation arbitraire. Au sortir des prisons, ils doivent chacun individuellement, avec l’aide des avocats de ce pays qui croient encore en la justice, être capables de porter plainte contre les auteurs des abus dont ils ont été victimes. Il ne s’agit pas de porter plainte vaguement contre l’Etat, mais bien contre les responsables de tous ces services qui, souvent, abusent de leur pouvoir et jouent avec la vie des autres comme s’ils en étaient les auteurs.

Braver la peur, c’est aussi dire publiquement « non » à une volonté chaque jour davantage affichée de ne pas respecter la constitution et de conserver le pouvoir contre la volonté de ce peuple. « Non » à des alliés régionaux et d’Outre Mer qui, en échange de la protection d’un pouvoir qui met en péril la démocratie, pillent les richesses de ce pays, privant ainsi tout un peuple de ses revenus.

Braver la peur, c’est comprendre que les chefs aussi ont peur. Comment en effet justifier ces militaires surarmés le long des routes et dans le cortège ? S’ils n’avaient pas peur, ils ne s’entoureraient pas d’autant d’hommes en armes. Tout en eux est devenu expression de leur peur. Les vitres fumées de leurs voitures sont l’expression de leur peur de voir la misère qu’ils ont semée partout tout au long de leur trajet.

La vitesse de leur déplacement est l’expression de leur peur de s’attarder sur ces regards de mendiants qu’affichent les visages des concitoyens devenus squelettiques par leur seule volonté. Le refus de partager l’espace radiophonique et télévisuel est l’expression de leur peur d’entendre un discours dit subversif parce que vrai. La décision de refuser l’espace politique aux autres est l’expression de leur peur de la critique constructive. Libérée de la peur, les croyants pourront résolument se mettre au service de la construction de la paix.

Deuxième action : construire la paix par le don de la paix

Pour les croyants, construire la paix en RDC devient un must. La seule difficulté est celle de savoir comment. S’il est vrai que la non-violence évangélique reste la seule méthode valable parce que respectueuse de l’humain et surtout de l’ennemi avec qui la victime est appelée à vaincre le mal qui les tue et victime et auteur ; les croyants doivent néanmoins multiplier les stratégies pour faire pression afin que leur voix compte et pèse lourd lors de négociations politiques à venir. Comment les croyants engagés en politique peuvent-ils devenir une force qui compte ?

Dans un premier temps, il faut qu’ils se forment et s’informent. Les croyants doivent connaître le monde politique et son mode de fonctionnement. Ils doivent connaître les différents acteurs de ce monde politique sur le plan interne et externe. Et cette démarche ne saurait se concrétiser sans une formation appropriée qui allie connaissance de la doctrine sociale de nos églises et praxis dans la vie quotidienne et surtout politique des croyants.

Qui former et qui interpeller parmi les croyants?

Répondre à cette question serait en fait trouver progressivement une solution à l’épineuse question d’un leadership politique croyant. Apparemment et au regard des résultats obtenus en politique par les nombreux anciens des écoles catholiques, protestantes, kimbanguistes, musulmanes, salutistes et évangélistes pour ne citer que ceux là, les églises sont en panne de leadership croyant crédible. La plupart des croyants, une fois au pouvoir, n’ont pas fait rayonner l’idéal de leurs différentes confessions religieuses. Bien au contraire, ils ont été souvent méconnaissables au point que beaucoup de croyants ont eu et continuent à avoir honte à s’identifier à eux. Que de ministres croyants corrompus ! Quid de tous ces dirigeants fièrement identifiés comme anciens des écoles catholiques, protestantes, kimbanguistes, musulmanes, etc.? En quoi leur présence en politique peut-elle faire la fierté de leur appartenance à toutes nos confessions religieuses?

Pour répondre efficacement à cette interpellation, les confessions religieuses sont appelées à se tourner vers ses fils et filles qui, au nom de leur foi lui ont parfois si pas souvent et courageusement dit non. Nos confessions religieuses ne recruteront pas ses leaders politiques parmi les enfants dociles et béni-oui-oui qui sont progressivement devenus au cours de leur formation et dans leur vie active des champions du compromis si pas de la compromission.

Que les membres de nos confessions religieuses cessent d’avoir peur de tous ceux de ses fils et filles qui, fidèles à leur baptême ont appris que la subversion au sens premier du terme « sub vertere » faisait partie de la démarche qui conduit au Salut ! Il faut à l’église promouvoir cette catégorie de croyants pour s’assurer un leadership politique non seulement compétent et professionnel mais surtout critique parce qu’agissant sans relâche pour la gloire de Dieu.

Cette catégorie de croyants est celle qui aura comme programme de base celui que ne cesse de lui confier le peuple congolais depuis les consultations populaires en passant par la Conférence Nationale Souveraine, la Consultation Nationale, les concertations politiques et demain, le dialogue ou la tripartite : aboutir à une solution consensuelle de la crise de ce pays.

Soutenue par une population majoritaire qui ne cesse de réclamer le changement, assurée du soutien de confessions religieuses audacieuses en aval comme en amont de l’action politique, dotées de ressources humaines intelligentes, modérées, équilibrées et prudentes.

Cette classe d’hommes et de femmes politiques croyants sera à même de créer cet espace de médiation dont le pays a grandement besoin actuellement. Ces hommes et femmes porteurs de l’idéal de changement de ce peuple, forts de leur intelligence mais surtout de leur crédit moral, offriront une réelle chance à la nation.

C’est alors et alors seulement que comme l’abbé Pierre, tous les croyants de ce pays pourront :

– « continuer à croire, même si tout le monde perd espoir.

– continuer à aimer, même si les autres distillent la haine.

– continuer à construire, même si les autres détruisent.

– continuer à parler de paix, même au milieu d’une guerre.

– continuer à illuminer, même au milieu de l’obscurité.

– continuer à semer, même si les autres piétinent la récolte.

– continuer à crier, même si les autres se taisent.

– dessiner des sourires sur des visages en larmes.

– apporter le soulagement, quand on verra la douleur.

offrir des motifs de joie là où il n’y a que tristesse.

– inviter à marcher celui qui a décidé de s’arrêter…

Et tendre les bras à ceux qui se sentent épuisés. »

(THIERRY NLANDU MAYAMBA, PROFESSEUR À LA FACULTÉ DES LETTRES/

UNIVERSITÉ DE KINSHASA, CONSULTANT EN DÉVELOPPEMENT ORGANISATIONNEL)