Dans un mémorandum adressé au Premier ministre Matata Ponyo le week-end dernier, des députés provinciaux des 21 nouvelles provinces se plaignent de n’avoir par été payés depuis deux mois. Ils suggèrent au chef du gouvernement que les enveloppes des rémunérations envoyées initialement aux six « provinces-mères » qui venaient d’être démembrées puissent être éclatées en 21 « lots », de manière que les élus de chacune de nouvelles provinces issue du découpage territorial puissent entrer en possession de leurs émoluments sans intermédiaires, aux taux habituels.
Citant le cas de l’ancienne province de l’Equateur, l’on signala que cette dernière recevait environ 600 millions de francs congolais par mois pour la paie de 208 députés provinciaux. Après son éclatement en quatre nouvelles provinces (Equateur, Nord-Ubangi, Sud-Ubangi, Mongala et Tshuapa), le plus simple serait de diviser également ce montant par 5, soit 120 millions de francs congolais pour chacune d’elle.
La controverse qui touche le dossier des rémunérations des personnels politiques dans les 21 provinces nouvelles créées en République Démocratique du Congo ne constitue qu’un pan de leurs difficultés de « cohabitation » avec les anciennes provinces, supposées avoir cessé d’exister politiquement et administrativement. Mais, au lieu de disparaître, conformément à la volonté du législateur et du ministère de l’Intérieur, qui a décidé de mettre en application les prescrits de la Constitution en la matière, les entités découpées donnent l’impression de refuser de « mourir ».
Ainsi que chacun peut le noter, le gouverneur de l’Equateur croit avoir encore la mainmise sur les nouvelles provinces de l’Equateur, du Nord-Ubangi, du Sud-Ubangi, de la Mongala et de la Tshuapa. Celui de la Province Orientale continue de demander des comptes à ceux qu’il considère comme ses collaborateurs en Ituri, dans le Haut-Uéle, dans le Bas-Uéle et à la Tshopo. Au Bandundu, c’est la conflictualité permanente entre l’ancienne autorité provinciale basée au chef- lieu et les nouveaux maîtres du Kwango, du Kwilu et du Mai-Ndombe. Au Kasaï Occidental, les nouveaux gestionnaires du Kasaï et du Kasaï Central ne rêvent que d’indépendance. C’est pareil pour leurs collègues du Sankuru et du Lomami vis-à- vis de Mbuji-Mayi. Le Katanga ne fait pas exception avec le Haut-Katanga, le Haut Lomami, le Lualaba et le Tanganyika.
Qui commande qui?
Les observateurs constatent que depuis la mise en application du découpage territorial, il y a deux mois, une véritable cacophonie administrative règne entre les autorités encore en place dans les anciennes provinces et celles en fonctions au niveau d’anciens Districts élevés en provinces autonomes.
Estimant être autorisés à expédier les affaires courantes en attendant l’élection des gouverneurs et vice-gouverneurs de nouvelles provinces, les chefs des administrations provinciales découpées ont du mal à se faire obéir.
Il se développe des îlots de résistance un peu partout, avec la montée en puissance des membres des bureaux de nouvelles Assemblées provinciales, qui entendent affirmer l’autonomie de leurs entités administratives sans attendre les élections et l’investiture de. nouveaux gouverneurs et vice-gouverneurs. D’ores et déjà, des instructions sont données aux responsables des régies financières de leurs ressorts (DGDA, DGI, DGRAD) pour que les recettes collectées ne soient plus expédiées vers les anciens patrons de la territoriale.
Au plan administratif, les présidents de nouvelles assemblées provinciales se prennent pour des gouverneurs intérimaires. A ce titre, ils pensent devoir « gérer » tous les services administratifs de leurs juridictions, à savoir ceux de l’Intérieur, de la Justice, des Finances, de l’Economie, de l’Enseignement Primaire et Secondaire, de la Culture et Arts, des Sports, des Médias, des Affaires Foncières, du Tourisme, des Mines, etc.
Si, dans l’entendement de Kinshasa, les gouverneurs sortants devraient expédier les affaires courantes jusqu’à l’organisation des élections de nouveaux gouverneurs et leur investiture, les membres des bureaux de nouvelles assemblées provinciales ne l’entendent pas de cette oreille. Ils pensent devoir s’assumer, conformément à l’esprit du législateur. Bien que le Vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur ait dénoncé dernièrement ce qu’il considérait comme des comportements négativistes de la part de certains députés provinciaux, la « rébellion » contre le statu quo n’en finit pas de prendre corps.
La « guerre des pauvres »
Le découpage territorial est intervenu dans un contexte de précarité financière pour le gouvernement central, dont les prévisions des recettes sont contrariées par la baisse généralisée des cours des matières premières (cuivre, cobalt, diamant, or, pétrole, etc). Par conséquent, dégager des fonds imprévus dans le budget national en vue de l’installation et du fonctionnement des institutions de nouvelles provinces s’avère fort compliqué. L’exercice est d’autant difficile qu’entre-temps, il y a la pression du calendrier électoral de la CENI (Commission Electorale Nationale Indépendante), qui vient d’intégrer un cycle électoral improvisé, à savoir les élections de nouveaux gouverneurs et vice-gouverneurs des provinces démembrées. Ici aussi, la mobilisation des fonds pour ces scrutins posent problème. Et, comme pour compliquer davantage l’équation, la CENI attend aussi le financement des élections locales et législatives provinciales, dont le renvoi à une date ultérieure ne fait plus l’ombre d’un doute.
En fait, on assiste à une « guerre des pauvres » entre anciennes et nouvelles provinces, les unes et les autres se disputant des fonds invisibles attendus du gouvernement central. Quant aux recettes provinciales, elles ne représentent pas grand- chose une fois éclatées en trois, quatre ou cinq parts, encore que Kinshasa se taille toujours la part du lion. Des analystes politiques et économiques s’étant jusque-là exprimés sur l’avenir de 21 nouvelles provinces créées dans la précipitation ont démontré leur caractère non-viable.
Le pays est en fait confronté à une épreuve de force entre provinces « mort-nées », dont les décès en cascade pourraient être constatés à plus ou moins brève échéance. D’ici quelques mois, cette « guerre de pauvres » risque de s’arrêter d’elle-même, faute de « combattants ».
Par Kimp