Exaspérés par les attaques rebelles qui ont fait 80 morts en deux semaines, les habitants de plusieurs villes du Nord-Kivu, en RD Congo, ont reconstitué des groupes d’auto-défense jusque là en sommeil. Ces milices armées patrouillent de nuit et disent vouloir pallier l’impuissance de l’armée et de la police congolaise. Mais elles ne font pas l’unanimité.
La semaine dernière a été le point d’orgue d’une série d’attaques très violentes de groupes rebelles dans le territoire de Béni, ville située à l’ouest de la province du Nord-Kivu : pour la seule soirée du 15 octobre, 30 personnes ont été abattues à coups de machette et de hache. Si les autorités locales et la société civile ont pointé du doigt le groupe rebelle ougandais ADF-Nalu, l’armée congolaise n’a pas confirmé cette information.
Les forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) ont lancé en janvier une vaste opération dans la région pour repousser les attaques rebelles et sécuriser la région. Si aucun chiffre officiel n’a été communiqué, des experts estiment qu’il y aurait entre 5 000 et 6 000 soldats congolais déployés dans la zone, située entre Goma et la frontière ougandaise. Pour autant, nombre de citoyens doutent de la capacité de l’armée à enrayer le cycle de violences et se sont donc organisés en groupes d’auto-défense, notamment dans les villes de Béni, Oicha et Butembo. Cette stratégie avait déjà été utilisée en 2009 lors de la première guerre du Kivu.
"Nous n’avons pas d’autorisation officielle, mais les habitants nous font davantage confiance qu’à la police"
À Butembo, grande ville située à 50 km de Béni, c’est un groupe appelé "Véranda Mustanga" qui a lancé une opération d’auto-défense baptisée "Akuna Ku lala "- en swahili, "Nous ne dormons pas ". Plusieurs habitants de la ville mènent entre 20 h et 4 h du matin des patrouilles pour traquer d’éventuels assaillants. Tembos Yotama fait partie de ce groupe.
"Ce qui s’est passé à Béni nous a bouleversés : nos villes sont voisines et cela aurait très bien pu arriver à Butembo. Cela fait deux ans que notre groupe se réunit pour parler de la situation sécuritaire, pour aider la police à arrêter des malfrats en leur fournissant des informations ou dans le cadre de travaux communautaires. Mais devant la situation exceptionnelle, nous avons décidé samedi dernier de passer à l’action en faisant ces patrouilles quotidiennes tant que l’insécurité règnera dans la région.
Nous sommes armés de machettes, de bouts de bois pointus, et de dos de bouteilles tranchants au cas où nous serions attaqués. Notre action est non-violente, mais nous nous réservons le droit de répliquer en cas d’agression. Pour éviter les confrontations, nous avons pris pour habitude de faire du bruit avec des sifflets ou en tapant sur des casseroles si nous remarquons des individus louches. Ce tapage permet d’alerter les habitants d’un danger et de faire fuir d’éventuels agresseurs. Officiellement, nous n’avons pas d’autorisation de la part des autorités ou de la police pour faire ces patrouilles. Parfois, il arrive que nous soyons interpellés par des policiers pendant nos actions de sensibilisation au cours desquelles nous tentons de "recruter "de nouveau patrouilleurs [le groupe Véranda Mustanga a distribué des images du massacre de la semaine dernière à Béni pour appeler la population à rejoindre le groupe d’auto-défense, NDLR]. Mais globalement, il y a une forte tolérance des autorités car les gens n’ont plus confiance dans les forces de sécurité traditionnelles : lorsqu’ils remarquent un intrus, ils nous appellent d’abord avant d’alerter la police."
"Ces groupes n’ont pas de signes distinctifs, ça peut entraîner des confusions"
Le groupe revendique en tout une centaine de membres qui participent régulièrement aux patrouilles et affirme être à l’origine de l’arrestation de vingt prisonniers qui s’étaient échappés de la prison de Butembo il y a quelques jours. Tembos Yotoma explique que d’autres initiatives ont été lancées dans différents quartiers de la ville et que son groupe tente tant bien que mal de coordonner l’ensemble de ces milices pour couvrir le territoire de Butembo.
Mais certains habitants émettent des réserves sur leurs actions comme Umbo Salama, journaliste et professeur à Butembo, qui croise régulièrement ces patrouilles.
"Au début, ces groupes étaient efficaces pour alerter le voisinage. Aujourd'hui, c'est devenu plus compliqué car il y a trop de groupes qui passent la nuit à l'extérieur et ils n’ont aucun signe distinctif pour se différencier les uns des autres. Il y a des risques de confusions et la possibilité que cela aboutisse à des règlements de compte entre des groupes différents.
Si l’initiative de base est louable, il y a actuellement la crainte que des individus mal intentionnés utilisent ces groupes d’auto-défense pour leur satisfaction personnelle. Le porte-à-porte est d’ailleurs une occasion pour eux de réclamer que chaque famille de Butembo participe à l’effort de sécurisation en permettant à leurs enfants, souvent très jeunes, de prendre part aux patrouilles. Ceux qui refusent sont stigmatisés ou contraints de débourser de l’argent pour acheter des piles pour les lampes torches de patrouilleurs ou bien de donner du café pour leur permettre de rester éveillés. Indirectement, ces groupes qui sont là pour assurer la sécurité participent à cette atmosphère angoissante."
Les bourgmestres de la région de Butembo contactés par France 24 ont des avis partagés sur ces groupes d’auto-défense : si certains n’hésitent pas à les qualifier "d’exemple d’une jeunesse dynamique et patriotique" d’autres affirment les avoir interdits dans leur quartier les accusant d’être des "groupes de pression déguisés à l’approche des élections municipales de 2015". Lors d’une réunion mercredi, la mairie de Butembo a encouragé ces groupes à "cesser leurs activités" sans pour autant mettre en place de sanctions.