Les téléspectateurs qui suivaient la RTNC le matin du 30 décembre 2013 ont cru regarder un téléfilm.
Des personnes habillées en tenue civile investissent le plateau de la télévision publique et intiment l’ordre aux présentateurs de l’animation matinale « Le Panier » de répéter la phrase « Mukungubila, c’est le roi de ce pays, Géo Mukungubila notre libérateur ». Quelques minutes après, le signal de la télé est coupé.
Ce à quoi assistent les téléspectateurs n‘est pas une farce. C’est une attaque contre le siège de la radiotélévision publique.
Une attaque menée par des présumés adeptes du pasteur Paul-Joseph Mukungubila Mutombo.
https://youtu.be/TrV5IOvBW3c
Le même jour, à quelques heures d’intervalle, d’autres attaques sont recensées à travers le pays : Camp Tshatshi et aéroport de Ndjili à Kinshasa, aéroport de Kindu (Maniema) ainsi que d’autres sites à Lubumbashi (Haut-Katanga). L’armée intervient et y met fin.
Selon le bilan officiel, ces attaques avait fait 103 morts. Elles ont été suivies de plusieurs vagues d’arrestations des disciples, partisans ou supposés du pasteur Paul-Joseph Mukungubila.
Si les personnes arrêtées à Kolwezi et Lubumbashi ont été fixées sur leurs sorts, celles arrêtées à Kinshasa attendent encore leur jugement, deux ans après les attaques.
Selon Me Sylvain Lumu, l'avocat des prévenus, vingt fidèles de «l’Eglise du Seigneur Jésus-Christ» sont incarcérés à la prison militaire de Ndolo, dans la commune de Barumbu (Kinshasa).
Parmi ces détenus, dix-neuf avaient été arrêtés à Kinshasa et un à Kindu (Maniema). Ils sont poursuivis pour mouvement insurrectionnel.
D’après Me Sylvain Lumu, leur avocat, la décision de la Cour constitutionnelle, saisie à cet effet depuis le 19 juin dernier, se fait toujours attendre. «Alors que les gens souffrent en prison», déplore l’avocat. La Cour devrait trancher, si le tribunal militaire de la Gombe devrait juger les civils poursuivis dans cette affaire. Elle a été saisie à la suite de l’exception à l’inconstitutionnalité de poursuites des civils par une institution militaire, soulevée à l’audience du 28 mai dernier par Me Sylvain Lumu.
Retour sur les moments marquants de ce feuilleton.
Des condamnés dans l’ex-Katanga, un procès sans fin à Kinshasa
Jusqu’à présent, seuls les prévenus de Lubumbashi connaissent, depuis juin dernier, leur sort. Le tribunal militaire de garnison de la ville cuprifère avait condamné dix-sept prévenus dans le procès des adeptes du prophète Mukungubila à 20 ans de servitude pénale.
Dans ce procès, trente-deux personnes avaient été poursuivies pour rébellion, meurtre, tentative de meurtre, détention illégale d’armes de guerre et dissipation de munitions.
Les condamnés sont également sommés de payer la somme de 50 000 dollars américains chacun à titre de dommage et intérêts aux parties civiles. Quinze autres prévenus ont été acquittés, dont six femmes.
Leur avocat avait également annoncé son intention d’aller en appel pour faire en sorte que ses clients bénéficient d’un acquittement.
A Kolwezi, seize des trente-et-un condamnés étaient des femmes. Toutes les femmes avaient écopé d’une peine de sept ans de prison ferme. Parmi les condamnés, deux avaient écopé de quinze ans de servitude pénale principale, onze autres de treize ans de prison. Deux autres prévenus ont été condamnés à huit ans de prison.
Un seul prévenu avait été acquitté, faute de preuves. Il avait été arrêté en cours de route et n’était pas reconnu comme membre de «l’Eglise du Seigneur Jésus-Christ» du pasteur Mukungubila.
Paul-Joseph Mukungubila, « Prophète de l’Eternel»
Au départ, il se réclame prophète. Paul-Joseph Mukungubila a bâti sa notoriété sur sa mission «divine», de sauver la RD Congo.
«Je ne parle qu’au nom de l’Éternel Dieu qui m’a confié la bonne garde comme sentinelle de ce peuple», laissait-il entendre à tous ceux qui le côtoyaient.
En politique, il se fait connaître en 2006: Il était l’un de 32 candidats malheureux à l’élection présidentielle, remportée, au second tour, par Joseph Kabila face à Jean-Pierre Bemba Gombo. Opposant au régime Kabila, le leader religieux avait été crédité de 0,35%.
Avant les attaques contre les symboles du pouvoir en décembre 2013, Paul-Joseph Mukungubila avait adressé des lettres ouvertes aux autorités, dénonçant la mauvaise gestion de plusieurs secteurs de la vie nationale.
Surnommé par ses fidèles «prophète de l’Eternel », il est à la tête de « l’Eglise du Seigneur Jésus-Christ » implantée notamment à Kinshasa, Lubumbashi, Kolwezi et Kalemie. Le pasteur Mukungubila est marié à douze femmes et père de plusieurs enfants, attestent plusieurs sources.
Dans ses interventions dans les médias, il dénonçait régulièrement les tentatives de balkanisation de la RDC ainsi que le bradage et le pillage des ressources naturelles du pays par ses voisins.
Mukungubila, derrière les attaques du 30 décembre ?
Le gouvernement congolais tient Joseph Mukungubila comme l’instigateur des attaques contre des sites stratégiques du pays.
Après ces attaques, il avait demandé asile en Afrique du Sud.
En mai 2015, le tribunal de Johannesburg avait décidé d’abandonner les poursuites engagées contre le pasteur Paul-Joseph Mukungubila, accusé d'avoir fomenté les attaques du 30 décembre 2013 en RDC, pour « insuffisance des preuves ».
Le pasteur congolais était visé par un mandat d’arrêt international émis par Interpol, sur une plainte de la RDC.
«Kinshasa n’a pas pu apporter des preuves suffisantes pour démontrer ma culpabilité dans cette affaire», déclare le pasteur à Jeune Afrique.
A Lire: « RDC : la justice sud-africaine abandonne les poursuites contre le pasteur Mukungubila »
Selon la version de Paul-Joseph Mukungubila, ses adeptes n’avaient pas attaqué les villes congolaises. Ils avaient plutôt protesté contre le bombardement de sa résidence à Lubumbashi, fait-il savoir.
« L’armée est venue bombarder ma résidence à Lubumbashi. Ce bombardement m’a obligé à fuir avec ma famille. Cette nouvelle a entraîné une manifestation de colère, pas une attaque de mes adeptes », a-t-il déclaré en mai 2014.
«Chaque jour qui passe, je fais un effort pour oublier cet évènement…»
Journaliste à la RTNC, Jessy Kabasele, un des ex-otages des présumés fidèles du pasteur Paul Mungubila. Photo Droits Tiers.
Jessy Kabasele était sur le plateau de la RTNC lorsque les adeptes du pasteur Mukungubila ont attaqué la télévision publique. Il était l’un des présentateurs de la tranche d’animation matinale "Le Panier". Pendant quelques heures, il a été retenu otage par les assaillants avec d’autres collègues, avant d’être libérés grâce à l’intervention de l’armée. Des événements qu’il n’a pas encore réussi à effacer de sa mémoire.
«Ça fait deux ans. Chaque jour qui passe, je fais un effort pour oublier cet évènement de ma mémoire. Chaque fois quand j’en parle, je vois comme si ça s’est passé hier», confie-t-il aujourd’hui.
Selon Jessy Kabasele, les assaillants affirmaient être venus, au nom de Mukungubila, libérer la RDC.
Après cette incursion, il dit avoir saisi la responsabilité d’un journaliste vis-à-vis de la nation:
«Cette expérience m’a donné l’envie de bien faire mon travail, ça m’a donné plus responsabilisé et fortifié dans ma position. Ça m’a donné envie d’aimer plus mon pays, parce qu’il suffisait seulement de mal gérer cette crise, on ne sait pas ce qui allait arriver après.»
Après cette attaque, Jessy Kabasele dit avoir été poussé, par ses proches, à quitter le pays en vue de se mettre à l’abri de l’insécurité. Une option qu’il a rejetée, préférant rester en RDC pour participer, à sa manière, au développement du pays.