Herman Cohen. Ce nom rappelle quelque chose. Il est intimement lié à l’histoire politique de la République démocratique du Congo. Ancien sous-secrétaire d’Etat américain aux affaires africaines dans les années 1990, la voix d’Herman Cohen a été déterminante dans l’évolution de la démocratie congolaise. A la retraire, l’ancien diplomate américain a publié ses mémoires. Il est annoncé à Kinshasa pour les présenter publiquement. Dans la Majorité présidentielle, on digère très mal sa présence par ce temps de fortes turbulences politiques. Après le coup réussi de l’Opposition à Bruxelles, la MP craint qu’Herman Cohen ait un agenda caché qui ne cadre pas avec ses objectifs. Dans les rangs de la famille politique présidentielle, c’est la panique générale.
Le Potentiel
La Majorité présidentielle pouvait tout imaginer. Mais, dans ses simulations, elle avait certainement exclu toute union au sein de l’Opposition. Or, à Bruxelles, Etienne Tshisekedi, président de l’UDPS, a déjoué tous les pronostics, en remettant en cause toutes les mauvaises prédictions qui s’attendaient à un enlisement à Bruxelles. Le 9 juin 2016, jour de clôture de la conférence des forces politiques et sociales acquises au changement, dite conférence de Bruxelles, les principaux leaders ont surpassé leur égo en se mettant d’accord sur l’essentiel, c’est-à-dire le rassemblement autour d’un idéal commun : le respect de la Constitution.
Aux abois, la MP a été obligée de revoir tous ses calculs. Tshisekedi a pris tout le monde de court. L’homme a changé. Il a tellement changé qu’il s’est montré humble et conciliant, redonnant à l’Opposition un nouveau souffle. A Bruxelles, l’Opposition s’est refait une nouvelle image. Ce qui, malheureusement, ne fait pas le bonheur de la MP, qui voit désormais sa chute approcher.
Une présence encombrante
Et, comme le malheur ne vient jamais seul, la MP passe des jours terriblement agités. Pour cause : l’arrivée probable à Kinshasa d’Herman Cohen, ancien sous-secrétaire d’Etat américain. L’homme n’est pas n’importe qui. L'ancien sous-secrétaire d'Etat américain chargé des affaires africaines dans l'administration Bush, entre 1989 et 1993, a été au fur et au moulin dans l’histoire politique de la RDC. C’est avec lui que s’était dessinée la chute du défunt président Mobutu, consacrant ainsi la fin de la deuxième République.
Or, depuis sa retraite, Herman Cohen a pris le temps de consacrer dans un ouvrage ses souvenirs de diplomate. Dans l’ouvrage qu’i vient de publier sous le titre : « Mémoires d’un diplomate », l’homme d’Etat américain présente son parcours et scrute la vie politique de certains Etats africains. Il consacre une partie de son ouvrage à la RDC. Il est annoncé à Kinshasa pour présenter publiquement ses mémoires.
Le fait paraît anodin. Mais, dans les rangs de la MP, Herman Cohen à Kinshasa n’est pas qu’un fait divers. On tente donc d’en comprendre les tenants et les aboutissants. Et, en faisant un lien avec la conférence de l’Opposition à Bruxelles, la MP y trouve très vite un piège. La présence d’Herman Cohen à Kinshasa intrigue au plus haut point la Majorité. On ne s’en cache pas. L’alerte est au niveau maximal.
A la Majorité présidentielle (MP), l’ex-sous-secrétaire d’Etat aux affaires africaines, Herman Cohen, passe pour l’homme qui avait orchestré le départ de l’ex-dictateur Mobutu. Bien que la raison de son passage à Kinshasa soit connue de tous, à la MP, une importante réunion, tenue le week-end dans un lieu secret de la ville de Kinshasa, a tenté de comprendre les dessous de l’arrivée de l’ancien diplomate américain. On estime que derrière son livre, «Les mémoires d’un diplomate », Herman Cohen est porteur d’un message pour le régime de Kinshasa. Et ce message, se dit-on dans la MP, ne joue pas en sa faveur. On craint que Cohen réédite son exploit avec feu le président Mobutu.
Radicaux et colombes de la Majorité sont sur la dent, scrutant tous les contours de cette visite, quelques jours après le camouflet de Bruxelles où l’Opposition a consolidé son unité. Cette fois-ci, la panique dans les rangs de la Majorité est perceptible, l'aile dure des anciens de l'AFDL est désormais associée aux débats. Plus qu’un régime, ce sont les acquis de la révolution du 17 mai 1997 qu’on tente de protéger.
L’arrivée annoncée de l’ex-sous-secrétaire d’Etat américain aux affaires africaines à l’époque de la fin du président Mobutu n’a donc rien de spécial. Dans la MP, tout est passé au crible afin d’éviter toute surprise désagréable. Surtout que le passé de l’homme n’incite pas à croire à un hasard de calendrier.
Qui plus est cette visite intervient alors que les relations entre l’administration Obama et les autorités de Kinshasa ne sont pas au sommet de la perfection. L’affaire des mercenaires impliquant des Américains en nombre, a provoqué des visites de haut rang des officiels américains, mais aussi des passages sans traces des hautes personnalités américaines à Kinshasa. C’est le cas de Sarah Sewall qui est presque passé incognito lors de son dernier passage à Kinshasa - loin des caméras. C’est tout un message.
Dans le même cadre, avant l’élection présidentielle de novembre prochain aux Etats-Unis, le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, fait un ultime déplacement à Kinshasa. Herman Cohen fait-il d’office de Jean-Baptiste avant l’arrivée de Kerry ? L’hypothèse n’est pas exclue. Tous ces faits réunis donnent des insomnies à la MP.
L’autre fait qui n’est pas anodin est les conclusions en tout beauté de la conférence de l’Opposition à Bruxelles. Ce conclave a eu l’avantage de déjouer tous les calculs de la MP. Elle a mis cette dernière dans tous ses états, au point que le sommeil a quitté cette famille politique qui a compris que l’Opposition a réussi l’exploit de se mettre ensemble pendant un temps. Un pas qui a surpris la Majorité qui comptait sur un échec prévisible de cette rencontre. C’est un Tshisekedi humble, conciliant et arrimé sur les thèses de l’Opposition qui a décidé de porter haut le flambeau du nouveau mouvement, « Le Rassemblement ».
La Majorité ne s’attendait pas à un tel scénario. Tshisekedi, pourtant considéré par la MP comme la clé du dialogue, a totalement bifurqué en adhérant à la logique du grand nombre. Dans l’acte d’engagement de Genval, pas un mot sur le dialogue. Comme l’ensemble de l’Opposition, Tshisekedi s’est davantage éloigné du dialogue politique tel que préconisé par le chef de l’Etat. Les seules négociations sont, selon lui, celles tracées dans la Résolution 2277 du Conseil de sécurité des Nations unies, et ce, dans le strict respect de la Constitution.
Voilà qui complique davantage la tâche à la Majorité. Le week-end, les stratèges de la MP se sont retrouvés en réunion dans un lieu de la ville de Kinshasa tenue secret. Deux camps s’affrontent désormais dans la Majorité. D’un côté, il y a les plus durs qui ont décidé d’en découdre définitivement avec l’Opposition. Ils prévoient d’organiser des actions de sape, en visant particulièrement ceux qui ont fait le déplacement de Bruxelles. De l’autre côté, il y a les plus modérés qui ne privilégient pas les méthodes fortes. Ceux-là sont plutôt favorables au débauchage en vue de fragiliser l’Opposition. Des sources concordantes rapportent que les deux camps de la MP ne sont pas parvenus à un compromis. En dernier ressort, ils pensent recourir à leur autorité morale, le président Joseph Kabila, pour décider de la stratégie finale à mettre en action. Dans tous les cas, c’est la panique dans les rangs de la MP.
Barrer l’Opposition
Lors de cette réunion secrète, les radicaux de la Majorité ont opté pour une stratégie consistant à barrer complètement la route à l’Opposition par tous les moyens licites puis illicites. D’abord, il faut répertorier les fichiers de chacun des participants aux réunions de Gorée au Sénégal et à Genval en Belgique. Liste des créances envers toutes les structures de l’Etat, d’éventuels dossiers judiciaires à réactiver, ou à créer… Chaque opposant n’a-t-il pas de litiges même avec des privés ou des voisins ?
Tous les moyens seront mis en marche pour empêcher une plus large mobilisation de l’Opposition autour de la fin constitutionnelle du mandat du président Kabila. Même la poursuite de l'affaire des pseudo-mercenaires est prise en compte afin, entre autres, de bloquer définitivement le candidat Moïse Katumbi à la présidentielle de 2016. Mais, les radicaux sont encore dans le schéma consistant à vouloir mettre le feu aux poudres, même s'il faut pour cela encombrer les cours et tribunaux ou encore "neutraliser" tous les opposants.
Dans les rangs des modérés, on n’écarte pas la possibilité d’un gouvernement de large union nationale pour couper l'herbe sous les pieds des opposants de Bruxelles. Ce gouvernement est censé concéder de larges espaces à l'Opposition par le jeu de débauchage tous azimuts.
C'est avec satisfaction que ces radicaux ont apprécié l'attitude du président Vital Kamerhe de l'Union pour la nation congolaise qui a boycotté le conclave de Genval. Mais, c'est sûrement sans compter avec la perspicacité de l’enfant terrible de Bukavu qui sait se mettre toujours du côté du peuple, dit un cadre de l'UNC.
Avec la mise en place de ce gouvernement, la MP espère se donner un temps de répit. Ce qui serait, prédit-elle, une bonne manière de démontrer la fragile unité de l'Opposition et ainsi neutraliser complètement toute velléité de mener des actions de mobilisation de grande envergure au 20 décembre prochain.
Quoi qu’on dise, l’onde de choc de la conférence de Bruxelles a eu des effets dévastateurs au sein de la MP. Des signes de panique sont bien visibles. Entre les manières fortes et les méthodes douces, la MP cherche à reprendre du poil de la bête en déstabilisant « le Rassemblement » de Bruxelles. Malheureusement, dans cette quête d’une certaine énergie, l’arrivée d’Herman Cohen met la MP dans tous ses états.
Saura-t-elle rebondir ? On n’en sait rien. Elle compte, dit-on, sur la dextérité de son autorité morale pour se régénérer. De quelle manière ? Difficile à prédire.