Alexis Thambwe Mwamba: la RDC est «un pays souverain»

Lundi 25 janvier 2016 - 16:25

Voilà quinze ans que 42 Congolais, dont une femme, restent enfermés dans la prison de Kinshasa suite à l’assassinat de Laurent Désiré Kabila. Depuis quinze ans, ils sont systématiquement exclus de toutes les mesures d’amnistie ou de grâce qui sont prises par le régime de Joseph Kabila. Combien de temps vont-ils encore rester en prison ? Alexis Thambwe Mwamba est le ministre congolais de la Justice et des Droits humains. Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

Voilà 15 ans que 42 personnes sont en prison à Makaka, à la suite de l’assassinat du président Laurent-Désiré Kabila. Elles sont toutes condamnées à mort ou à perpétuité. Est-ce qu’un jour, elles peuvent espérer retrouver la liberté ?

Alexis Thambwe Mwamba : En tout cas, ce n’est pas d’actualité pour le moment. Ces personnes ont été condamnées. Elles purgent leur peine pour le moment à Makala. Le président de la République a pris certaines mesures de grâce, soit individuelles soit collectives. Mais il était exclu ces personnes rentrent dans la catégorie de ce que vous citez, notamment, disons, tous ceux qui ont porté atteinte à la sécurité de l’Etat. Donc pour le moment, ce n’est pas à l’ordre du jour qu’elles puissent espérer sortir de Makala un de ces quatre matins.


En janvier 2003, lors du jugement de ces personnes, le président de la cour a lui-même reconnu que l’enquête n’était pas terminée. Et depuis, plusieurs investigations ont révélé l’existence de deux suspects qui sont réfugiés à l’étranger. Il s’agit du garde du corps congolais, Georges Mirindi, et du diamantaire libanais, Bilal Héritier. Pourquoi n’avez-vous jamais lancé un mandat d’arrêt international contre ces deux suspects ?

Les procédures sont ouvertes aussi bien au niveau de l’auditorat militaire que du parquet général de la République contre des personnes qui sont actuellement en fuite. Donc elles n’échappent pas comme tel à notre justice. A un moment donné, nous ferons le nécessaire lorsque les dossiers seront bouclés au niveau de la République.

Et, est-ce qu’à ce moment-là, on pourrait envisager une révision du procès ?

Je vous dis que ce n’est pas à l’ordre du jour, en tout cas pour le moment.

Mais si deux des principaux suspects sont en fuite, et si demain vous lancez un mandat d’arrêt international contre eux, est-ce qu’il ne faudra pas faire un nouveau procès ?

Les éléments pour les personnes qui sont actuellement à Makala sont très clairs. En ce qui les concerne, les procédures ont été achevées. S’il faut faire de nouveaux procès, ça sera contre les personnes qui seraient aujourd’hui en fuite.

Alors vous dites, pour le moment rien ne changera. Est-ce qu’on peut envisager à terme une loi d’amnistie pour ces 42 personnes, parmi lesquelles il y a une femme ?

Non, il ne s’agit certainement pas d’un cas qui rentre dans une loi d’amnistie. Ça serait tout au plus une grâce présidentielle. Mais jusqu’à présent, dans les dossiers que nous avons présentés pour la grâce présidentielle, nous avons exclu des cas qui ressemblent aux personnes que vous citez.


Ça ne vous gêne pas que cette femme soit en prison depuis quinze ans ?

Si c’est une criminelle, c’est normal. La place des criminels, c’est la prison.

Pour beaucoup d’observateurs, les faux coupables sont en prison et les vrais coupables sont en liberté. Est-ce qu’il ne serait pas temps d’envisager une mesure de clémence ?

Non, je pense que s’il y a des personnes qui ne sont pas encore condamnées, certainement qu’un jour elles le seront. Mais on ne peut pas dire que celles qui sont condamnées pour le moment qui sont à Makala, sont des personnes innocentes. Ça, c’est faux.

La République démocratique du Congo est membre de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. En 2014, celle-ci vous a demandé de libérer toutes les personnes qui restent en prison à la suite de cet assassinat. Et pour l’instant, vous n’avez pas répondu. Pourquoi ?

Nous sommes un pays souverain, et en tant que pays souverain, nous ne sommes pas obligés d’obéir aux injonctions qui proviennent de l’extérieur.

C'est-à-dire que vous ne reconnaissez plus cette Cour ?

Non, nous la reconnaissons. Mais ça dépend, si elle demande des choses qui sont impossibles par rapport à notre conscience nationale, par rapport à notre droit national, évidemment que nous ne pouvons pas appliquer.

Depuis un an, la communauté internationale déplore de nombreuses arrestations arbitraires. Parmi les personnes arrêtées figurent l’avocat Jean-Claude Muyambo, les leaders de la société civile Christopher Ngoyi Mutamba, Fred Bauma et Yves Makwambala. Est-ce qu’ils vont rester encore longtemps en prison ?

Les dossiers sont en instruction. S’agissant de l’avocat, ce n’est pas un problème qui est lié à la politique. L’avocat est poursuivi pour escroquerie. Et les autres personnes que vous citez, les dossiers sont en instruction. Si à la fin de l’instruction, il apparaît qu’il n’y a aucune preuve, elles seront libérés.

Dans son discours du 28 novembre dernier, le président Joseph Kabila a annoncé des mesures de grâce pour certains prisonniers. Christopher Ngoyi Mutamba, Fred Bauma et Yves Makwambala pourraient-ils bénéficier de telles mesures ?

Ce n’est pas exclu. S’agissant de personnes qui sont dans les procédures d’instruction, le parquet général de la République pourra considérer qu’il y a main levée des poursuites si on estime que les dossiers ne sont pas suffisamment solides. D’autres dossiers sont en instruction au niveau du ministère. Il y a les libérations conditionnelles pour lesquelles je viens de signer trois arrêtés. Ils vont permettre à plusieurs centaines de prisonniers, à peu près un millier, de sortir au courant de cette semaine.


Eugène Diomi Ndongala, le président de la Démocratie chrétienne, a été condamné il y a trois ans à une peine de dix ans de prison. Est-ce qu’il va faire partie de ces mille prisonniers libérés ?

Pour le moment, il n’est pas sur cette liste. Nous avons exclu de mesures de libération conditionnelle des gens qui ont été notamment condamnés pour viols.

Le maintien en prison d’un grand leader de l’opposition comme Eugène Diomi Ndongala, est-ce que ça ne ternit pas l’image de votre pays ?

Mais le fait d’être un grand leader n’autorise pas à commettre des viols. Donc je n’exclus rien, mais on ne peut pas isoler son cas par rapport à d’autres qui sont dans la même situation. Mais bien sûr, le dossier se trouve effectivement sur mon bureau.

Le dossier de Diomi est sur votre bureau ?

Parmi d’autres.