Depuis deux ans, plus d’un millier de mineurs légalement adoptés sont retenus dans leurs orphelinats de RD Congo. Un imbroglio diplomatique insupportable pour les familles d'adoption qui n’ont droit d’établir aucun contact direct avec leurs enfants.
"Qu’est-ce que nous allons devoir encore faire pour montrer que nous sommes ‘clean’ ?" Depuis plus de deux ans, la vie de Florence et David* oscille entre espoirs et déconvenues. Plusieurs fois annoncée comme imminente, l’arrivée de leur fils adopté en République démocratique du Congo (RDC) est sans cesse repoussée à une date indéterminée. "Depuis mai, on nous annonce sa venue puis finalement ça bloque. Une fois c’est oui, une fois c’est non," déplore la mère adoptive.
Ce couple de quadragénaires résidant en Gironde, dans le sud-ouest de la France, fait partie des quelque 300 familles françaises dont le ou les enfants légalement adoptés sont retenus dans leur orphelinat congolais en raison d'un gel des autorisations de sortie imposé en 2013 par les autorités de Kinshasa. Le 14 août, un conseil des ministres auquel participait le président congolais, Joseph Kabila, devait se pencher sur la question et mettre éventuellement fin au blocage. Las, l’examen du dossier aurait été ajourné, croit savoir Florence. "Le quorum n’était pas atteint puisque des ministres étaient en vacances. Or ce genre d’affaire doit être tranché avec l’accord de tous les membres du gouvernement. Maintenant, nous devons attendre jusque septembre", souffle-t-elle.
Assistant social, psychiatres, contrôle médical…
Un mois d’attente supplémentaire donc pour ce couple dont le garçon, aujourd’hui âgé de 6 ans et demi, porte le nom depuis juin 2013. Un mois supplémentaire durant lequel Florence et David ne pourront toujours pas parler à leur enfant ni le voir. "La procédure en RDC interdit tout contact direct, explique la mère. Depuis deux ans, nous échangeons des photos. Nous lui adressons également des petits mots, et lui, nous a envoyé des dessins et des empreintes de ses mains."
Pour les deux époux, sans enfant dans leur foyer, l’éloignement forcé est d’autant plus dur à vivre qu’ils ont déjà eu maintes fois l’occasion de prouver qu’ils étaient prêts à accueillir un enfant. "Tout a été fait dans la légalité, insiste Florence. Nous sommes passés par un OAA [organisme autorisé pour l’adoption] qui est rattaché au ministère des Affaires étrangères. Avant de recevoir l’agrément en 2012, nous avons été évalués pendant un an. On est allé à notre domicile, nous avons passé plusieurs entretiens avec un assistant social, nous avons été interrogés par deux psychiatres, nous avons été soumis à un contrôle médical, puis notre dossier est passé en commission. Nous avons pu prouver que nous étions des parents ayant bien réfléchi à un projet d’adoption. Nous ne sommes pas comme les quelques familles américaines qui, par le passé, ont pu bidouiller des choses abominables."
"Si le Quai d’Orsay ne fait rien, on ne s’en sortira pas"
Premier pays d’accueil en matière d’adoptions internationales, les États-Unis ont en effet été secoués ces dernières années par des affaires confinant au trafic d’enfants. En 2013, une journaliste de Reuters a ainsi révélé un réseau officieux de parents qui se débarrassaient de leurs enfants adoptés en les proposant, via des groupes Facebook et Yahoo !, à d’autres parents. Selon la reporter, plus de 260 enfants, la plupart âgés de 9 à 12 ans et majoritairement de sexe féminin, auraient été "échangés" cette année-là rien que sur Yahoo!. Quelques-uns d’entre eux ont ainsi été transférés, hors de tout cadre légal, dans des familles connues des services sociaux pour avoir maltraité ou abusé sexuellement de leurs enfants biologiques.
Autant d’affaires retentissantes qui ont parfois poussé les pays d’origine à durcir les conditions d’adoption pour les ressortissants étrangers. À quoi s’est ajoutée la légalisation, dans plusieurs pays d’accueil, du mariage gay et la crainte pour les pays d’origine farouchement opposés à l’homoparentalité que des enfants soient confiés à des couples du même sexe. Ainsi, en 2013, Kinshasa a justifié l’actuelle suspension des autorisations de sorties par le fait que des enfants congolais adoptés auraient soit été maltraités, soit transférés à des couples homosexuels.
Outre les 300 familles françaises, un millier d’autres parents étrangers - américains, canadiens, italiens, néerlandais et belges principalement – sont concernés par le blocage congolais. "Certains attendent depuis quatre ans", assure "RDC Adoption", un collectif de parents dont Florence et David font partie.
Au début du mois d’août, des sénateurs américains ont officiellement demandé aux autorités congolaises d’accélérer les dossiers laissés en souffrance. En 2014, le président français, François Hollande, a transmis une lettre à son homologue congolais qui a contribué au départ de huit enfants. Mais, depuis, les familles reprochent aux pouvoirs publics de ne plus rien faire pour mettre fin à l’imbroglio. "Si le Quai d’Orsay n’exerce pas davantage de pression pour traiter l’affaire, on ne s’en sortira pas, s’agace Florence. Sur le terrain, les autorités françaises ne donnent pas l’impression d’être aussi investies que d’autres. Peut-être qu’elles travaillent, mais comme elles ne communiquent pas, nous ne savons pas. Tout ça ne fait pas très sérieux !"
"Problème de confiance"
Contactée par France 24, l’ambassade de France à Kinshasa assure suivre de près la situation. "En concertation avec les autres représentations étrangères également concernées, nous intervenons régulièrement auprès des autorités congolaises, dit-on à la chancellerie. Nous avions des échos plutôt favorables sur un éventuel dénouement pour les cas ayant déjà bénéficié d’un jugement, mais il y aurait eu un souci avec des familles étrangères qui auraient essayé de faire sortir des enfants par la frontière avec la Zambie. C’est un dossier compliqué qui relève des plus hautes autorités congolaises. Les Congolais expriment des inquiétudes sur les couples homosexuels et veulent être assurés que le droit congolais soit respecté. Il y a un problème de confiance vis-à-vis des procédures et nous devons fournir un gros travail d’explication."
En attendant, les familles s’inquiètent chaque jour un peu plus du sort des enfants soumis à des conditions sanitaires précaires. Selon "RDC Adoption", une dizaine d'enfants adoptés par des étrangers sont morts en 2015 "dans une indifférente quasi-totale". "Nous savons dans quel orphelinat notre fils se trouve, nous échangeons des photos avec les autres parents, affirme Florence. La vie y est difficile, l’accès à l’eau est fourni par un seul robinet. Dans certains établissements, les dortoirs se résument à des matelas sans moustiquaires, ce qui augmente les risques de paludisme. Les enfants ne sont pas maltraités mais le personnel fait avec les moyens dont il dispose."
Comme tous les enfants dont l’autorisation de sortie a été gelée, le petit Congolais adopté par le couple girondin n’est pas scolarisé. "Nous avons essayé mais n’avons pas réussi, rapporte sa mère. C’est très compliqué d’envoyer de l’argent en étant sûr qu’il soit utilisé à bon escient. Les jouets et les livres que nous avons envoyés ne sont jamais parvenus à l’orphelinat. Nous n’avons pas de maîtrise sur le processus et nous ne savons plus comment nous y prendre pour subvenir à ses besoins. Je suis malheureuse pour notre famille qui n’est pas constituée et pour tous ces enfants à qui on ne donne rien. C’est comme si on ne les nourrissait pas matériellement, affectueusement, intellectuellement. Ils sont comme en prison."
*Les prénoms ont été modifiés