Accord RDC–USA : pour un examen de raison
L’accord récemment conclu entre la République démocratique du Congo et les États-Unis dans le domaine stratégique des minerais critiques a été sommairement condamné par une partie de l’opposition politique et par certains acteurs ecclésiastiques, non sur la base de son contenu réel, mais sur la seule identité du partenaire. Une telle approche, fondée sur le soupçon plutôt que sur l’analyse, s’éloigne des exigences élémentaires de rigueur intellectuelle que devrait imposer un débat d’intérêt national.
Il convient d’abord de rappeler une réalité objective et incontestable : aucun pays africain n’exploite aujourd’hui ses ressources minières de manière totalement autonome, sans contrats, sans partenariats, sans accords technologiques ou commerciaux avec des acteurs étrangers. Aucun. L’exploitation minière industrielle suppose des investissements massifs, des technologies avancées, des chaînes logistiques intégrées et un accès structuré aux marchés mondiaux. Même les pays souvent cités comme modèles ne font pas exception à cette règle. Le Maroc, à travers l’Office Chérifien des Phosphates (OCP), constitue un cas remarquable de maîtrise étatique, mais demeure inséré dans des circuits commerciaux et technologiques internationaux. Le Botswana, autre exemple récurrent, exploite ses diamants dans le cadre d’un partenariat historique avec De Beers. Ces expériences ne consacrent pas l’autarcie, mais la gestion stratégique du partenariat.
À la lumière de cette réalité, condamner un accord parce qu’il implique une puissance industrialisée relève davantage de l’idéologie que de l’analyse. La question pertinente n’est pas de savoir avec qui la RDC signe, mais dans quelles conditions, avec quels mécanismes de protection de l’intérêt national et dans quelle vision de long terme. En économie politique, les partenariats internationaux ne sont ni vertueux ni condamnables par nature ; ils sont équilibrés ou déséquilibrés, porteurs d’avenir ou générateurs de dépendance.
Il est exact que les États-Unis poursuivent un objectif stratégique clair : sécuriser l’accès à des minerais critiques indispensables à leur transition énergétique et technologique. Cette lucidité sur leurs intérêts ne devrait ni surprendre ni scandaliser. Elle impose en revanche à la RDC une obligation accrue de vigilance et de négociation intelligente. C’est précisément à ce niveau que se situe la responsabilité de l’exécutif, et c’est là que doit porter toute évaluation sérieuse de l’accord, loin des considérations politiciennes et des procès d’intention.
Mais réduire le débat à la seule question minière serait une erreur plus profonde encore. Les matières premières, par nature épuisables et soumises aux fluctuations des marchés internationaux, ne peuvent constituer un horizon de développement durable. L’histoire économique mondiale enseigne que les nations qui ont accédé à la prospérité l’ont fait non par la seule abondance de leur sous-sol, mais par un investissement massif dans la matière grise. Le Japon et la Corée du Sud, souvent invoqués à juste titre, ont bâti leur puissance sur l’éducation, la formation technique, la recherche et l’innovation, et non sur des ressources naturelles abondantes.
Pour la RDC, l’enjeu est donc clair : utiliser les ressources minières non comme une fin en soi, mais comme un levier de transformation structurelle. Les revenus tirés de ces partenariats, au-delà de la création d’emplois, doivent servir à former la jeunesse, à développer les compétences et à bâtir une économie capable, à terme, de consolider la gratuité de l’enseignement, d’envisager son extension jusqu’à l’université, d’investir plus dans les secteurs scientifiques et technologiques…C’est dans cette perspective que s’inscrit sûrement la démarche stratégique du Président de la République, qui consiste non à brader le patrimoine national, mais à l’inscrire dans une vision de long terme.
À la critique économique s’ajoute un autre argument, tout aussi récurrent : celui d’un prétendu engagement de " 99 ans " qui hypothéquerait l’avenir des générations futures. Là encore, l’émotion a pris le pas sur le droit. Dans le monde, les contrats d’exploitation minière sont généralement conclus pour des durées comprises entre 20 et 30 ans, parfois renouvelables, en raison de la lourdeur des investissements et du temps nécessaire à leur rentabilité. À l’inverse, les accords-cadres entre États, qui fixent des principes de coopération, sont en général conclus pour des périodes plus courtes, souvent 10 à 15 ans, avec des mécanismes de révision.
Il est donc juridiquement inexact de confondre un accord-cadre de coopération avec un contrat d’exploitation irrévocable. Plus fondamentalement, la durée nominale d’un contrat n’est jamais, en droit, une prison absolue. Les contrats excessivement longs, dépourvus de mécanismes correctifs, peuvent figer un pays dans des conditions défavorables ; mais les contrats trop courts découragent les investissements sérieux et favorisent la spéculation. La sagesse juridique réside dans l’équilibre, fondé non sur la peur, mais sur la prévoyance.
Dans les pratiques internationales modernes, l’essentiel ne réside pas dans le nombre d’années affiché, mais dans les clauses de sauvegarde : possibilité de renégociation lorsque l’intérêt national est menacé, révision périodique des conditions économiques et fiscales, résiliation encadrée en cas de violation grave. Ces mécanismes existent précisément pour protéger les États et, par ricochet, les générations futures. Aucun État souverain ne renonce définitivement à sa capacité de révision lorsque ses intérêts vitaux sont en jeu. La souveraineté ne se dissout pas dans un texte ; elle s’exerce, s’adapte et se défend par le droit.
C’est ici que le rôle du Parlement apparaît central. En soumettant l’accord à un débat public approfondi et à une ratification formelle, l’exécutif offrirait la meilleure garantie possible contre toute dérive et renforcerait la légitimité démocratique de l’engagement pris. Loin d’être une concession à la critique, cette démarche constituerait une affirmation de maturité institutionnelle.
En définitive, le véritable danger pour les générations futures ne réside pas dans des accords encadrés et révisables, mais dans l’absence de stratégie, l’exploitation anarchique des ressources et le refus du débat rationnel. Notre pays ne construira pas son avenir sur des approximations, mais sur des choix éclairés, juridiquement solides et politiquement responsables. C’est à cette exigence que doit désormais se hisser le débat national.
Tribune de Steve Mbikayi, député national et président du Parti Travailliste