Crise du M23 à Goma : le calvaire des enseignants face à la fermeture des banques (Reportage)

Vendredi 11 juillet 2025 - 12:15
Image
Image

Depuis la chute des villes de Goma (Nord-Kivu) en fin janvier, suivie de celle de Bukavu (Sud-Kivu) à mi-février dernier, les institutions bancaires n'ont plus rouvert suite au contexte sécuritaire critique lié à la présence du M23.

Les fonctionnaires de l'État, qui dépendent toujours du gouvernement central, en font les frais. Parmi eux, les professionnels de l'éducation figurent parmi les principales victimes de cette crise d'accès aux services bancaires.

Reportage

Visage pâle, regard perdu, Adelar Muhima, la vingtaine révolue, enseignant dans une école secondaire à Goma, attend désespérément depuis plusieurs heures ce mercredi 9 juillet devant l'agence TMB de Butembo, la banque chargée de verser son salaire mensuel.

Depuis deux jours, après un périple de 48h à moto, il est à Butembo [une ville située à plus de 300 kms de Goma, encore sous contrôle du gouvernement, où les banques restent opérationnelles].

Depuis janvier, faute d'activités bancaires dans sa ville, le jeune enseignant en est à son 3ᵉ séjour consécutif à Butembo. Il se plaint de la quasi-inaccessibilité à son salaire.

"Depuis janvier, les enseignants de Goma souffrent énormément à cause de la fermeture des banques. La situation est encore plus difficile pour nous, les clients de la TMB, car cette banque ne fournit pas de cartes bancaires. Pour être payé à Butembo, il faut obligatoirement être présent physiquement et signer. Même une procuration n'est pas acceptée. Nous sommes donc contraints de parcourir chaque mois les 350 kms entre Goma et Butembo pour toucher notre salaire", déplore-t-il au micro de 7SUR7.CD.

Puis, d'une voix déconcertée, Adelar évoque les tourments d'une vie intenable, à laquelle il survit de l'endettement.

"Le transport entre Goma et Butembo est aujourd'hui très coûteux. Je dépense 100$ pour l'aller-retour, soit presque l'équivalent de ce que l'Etat congolais me paie par mois Si on ajoute les frais de séjour, je dépense la totalité de mon salaire. Je ne survis actuellement que grâce à des dettes contractées auprès des tiers", regrette-t-il.

En face de la TMB, se trouve Accès bank, une autre institution chargée de payer une autre partie des enseignants de Goma. Là aussi, le cri plaintif est autant perceptible.

Éloi Zabayo, debout sur une file interminable devant un distributeur automatique, est, lui aussi, arrivé de Goma lundi dernier. Muni de 3 cartes bancaires [la sienne et celles de 2 collègues], s'impatiente après 2 jours d'attente sans issue.

"Je ne suis toujours pas servi depuis hier matin. Le distributeur a été ravitaillé hier, mais, probablement, pas suffisamment. Ceux qui me précédaient ont tout accaparé. Aujourd'hui encore, depuis ce matin, il n'y a toujours rien au distributeur. À ce rythme, je risque 3 jours successifs alors que je dois couvrir mon logement et ma restauration", se lamente-t-il.

Même son de cloche du côté de madame Solange Mbasa, assise à même le sol, l'air abattu. Porteuse d'une vingtaine de cartes, elle a été mandatée par ses collègues, mais n'a pas pu retirer l'argent que pour 4 d'entre eux après 3 tentatives.

"Mes collègues ont pris en charge mon déplacement et mon séjour ici. Mais, depuis lundi, je n'ai pu retirer que le salaire de 4 personnes. Le mois passé, j'ai dû rester plus d'une semaine ici pour retirer l'argent de toutes les cartes. Parfois, on attend de 8h à 19h sans être servi. Que les autorités fassent tout pour mettre fin à la guerre", a-t-elle exhorté.

En dépit de tentatives infructueuses des rebelles du M23 de réactiver la CADECO pour faire face à la crise de liquidité bancaire et ainsi rendre autonomes les zones sous leur contrôle, les chefs-lieux du Nord et Sud-Kivu sont restés coupés du reste du pays.

Sans doute, face à l'absence de l'autorité de l'État, Kinshasa a imposé son veto et les opérateurs bancaires ont obéi. Les banques restent, en effet, soumises à l'environnement légal et administratif congolais, qui exige l'application rigoureuse des lois bancaires, fiscales et réglementaires.

Ajoutons qu'en l'absence de garanties solides pour les opérations financières [où les flux d'argent ne peuvent ni être sécurisées ni surveillées efficacement], les banques s'exposent à des risques majeurs : vol, fraude, blanchiment d'argent, etc.

Ainsi, quelque six mois après la prise de Goma, la ville est confrontée à une crise économique innommable. Les professionnels de la craie qui vivaient à peine de leur médiocre revenu mensuel doivent encore batailler pour y accéder à plusieurs kms de Goma.

Isaac Kisatiro, à Butembo

 

AfroPari Juillet 2025