Présidence du Sénat : "un vil chantage de l’ancien Premier ministre J.M. Sama Lukonde" (Tribune d'Éric Kamba)

Mercredi 7 août 2024 - 14:13
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Le problème de la RDC c’est aussi la qualité de son personnel politique qui, dans l’ensemble, est enclin à se faire valoir par son appartenance à telle ou telle autre tribu, à telle ou telle autre province, sous prétexte de représentativité, que par ses valeurs intrinsèques pouvant, sur fond de notoriété et de leadership, lui donner des aptitudes à non seulement comprendre, mais aussi relever les défis qui se posent à son pays.

Ancien premier ministre, président du regroupement politique AB (Agissons et bâtissons) et membre du présidium de l’USN (Union Sacrée de la Nation), plateforme politique soutenant le président de la République, Jean-Michel Sama Lukunde ne s’en démarque pas. Manifestant son ambition de candidater à la présidence du Bureau du Sénat, ce qui est légitime, il use cependant d’un vil chantage en voulant se servir du Katanga, sa province d’origine, comme un épouvantail, et en voulant également prendre le président Félix Tshisekedi aux mots sur une éventuelle promesse qui lui aurait été faite en son temps relativement au poste de président du Bureau du Sénat.

Ceci sans préciser à quel moment réellement cette promesse lui aurait été faite : avant, pendant ou après les élections générales du 20 décembre 2023 ?

Dans la course vers le perchoir de la chambre haute, l’on dirait que le plus grand atout dont disposerait l’ancien DG de la Gecamines, c’est la promesse du président de la République. Pourtant, en tant qu’ancien chef de l’Exécutif, il aurait pu révéler, même si la campagne n’est pas encore ouverte, aux Congolais comment son expérience passée et la maîtrise des dossiers pouvaient impulser le Sénat à devenir une des institutions pivot de la République dans la perspective de la consolidation de la démocratie et de la gouvernance en RDC.

Même alors, cette promesse aurait été faite en contrepartie de quoi ? C’est pourquoi il importe de la contextualiser. Si elle a été faite avant ou pendant les élections, il conviendrait d’y voir l’euphorie des élections avec tous les tableaux positifs auxquels on s’attendait.

Mais, si c’est après les élections, elle devrait, en toute évidence, prendre en compte la configuration du paysage politique en rapport aux résultats de ces joutes électorales qui confèrent dorénavant le poids politique à tel ou tel autre parti politique, voire les regroupements politiques, constituant l’USN. Et point n’est besoin de rappeler que l’ex-Katanga, choyé lors du premier mandat, constitue l’espace où le président Félix Tshisekedi a été mal élu en décembre dernier.

Même à Kasenga, fief de l’ancien premier ministre, il avait mordu de la poussière face à Moïse Katumbi. Désormais donc, c’est par rapport aux élus engrangés aussi bien à l’Assemblée nationale qu’au Sénat qu’on vaut. C’est cela la base des calculs. Président de l’UNC et membre du présidium de l’USN, Vital Kamerhe a pris le marteau à la chambre basse parce que son parti, voire tous les mosaïques gravitant autour de lui, se sont classés, outre ses valeurs intrinsèques, utilement après l’UDPS. Malgré les controverses soulevées par sa désignation, le bon sens avait fini par l’emporter.

En scrutant la configuration actuelle du Sénat, il y a aussi des évidences qui se passent de tout commentaire. Le nombre total des sénateurs est de 108 auquel il faut ajouter le sénateur à vie Joseph Kabila, à raison de 4 sénateurs par provinces et 8 pour la ville de Kinshasa. Huit sénateurs manquent à l’appel du fait que les provinces du Kwilu et du Nord-Ubangi sont recalées ; les élections provinciales n’ayant pas encore été organisées dans la circonscription de Masimanimba pour la première citée et dans celle de Yakoma pour la seconde. Hormis le sénateur à vie absent du pays, il y a donc au total 100 sénateurs qui vont prendre part au vote pour l’élection des membres du Bureau définitif prévue pour ce samedi 10 août et pour laquelle le dépôt des candidatures a eu lieu les 05 et 06 août. Au poste de président, Jean-Michel Sama Lukonde n’est pas l’unique candidat. Le patriarche Jonas Munkamba, 93 ans, sénateur élu de la province de l’Equateur, est aussi sur la ligne de départ. L’UDPS n’est pas en reste.

Contrairement à la forte rumeur qui a enflammé la toile ces derniers jours, ce n’est pas Roger Tshisekedi, le frère ainé du président de la République, qui est aligné, mais plutôt Afani Idrissa Mangala, ancien président fédéral de l’UDPS dans le Maniema. Il l’a emporté sur le sénateur Boketshu de la province de l’Equateur.

Avec l’entrée de l’UDPS en danse, les chances de l’emporter pour Jean-Michel Sama Lukonde sont quasi nulles. Sur 100 sénateurs, dont deux non alignés (indépendants), l’UDPS et ses mosaïques comptent 49 sénateurs contre 16 pour l’AB de l’ancien premier ministre. Cela sans compter ses alliés.

Mathématiquement, la messe est déjà dite pour Jean-Michel Sama Lukonde. Mais, l’impossible n’étant pas Congolais, il y a lieu de rappeler le retournement de la situation autrefois par Léon Kenga wa Dondo qui avait battu à plate couture She Okitundu, candidat du pouvoir.

Toutefois, il y a à craindre que l’on crie en fin de compte à la non-représentativité du Katanga, un éternel chantage que le pays traîne comme un boulet à ses pieds depuis l’indépendance. Ceci comme pour dire que le problème du Congo, c’est aussi celui de son personnel politique dont la rationalité laisse à désirer. L’on ne peut donc s’étonner que des Congolais, à travers des rébellions fantoches, se vendent ainsi auprès de Paul Kagame dans la perspective d’une illusion du pouvoir chez-eux tout en consolidant la mainmise de celui-ci sur l’Est de leur pays.

Éric Kamba, Analyste  de la géopolitique, coordonateur CADA