Le coronavirus et l'impératif de la réinvention de la ville de Kinshasa (tribune de Kabasu Babu)

Mercredi 20 mai 2020 - 07:16
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La propagation de la pandémie de coronavirus avec une forte concentration dans la Commune de Gombe a poussé les autorités à verrouiller cette entité pendant plusieurs semaines. Ce confinement total aux flux humains strictement contrôlés, avec la fermeture des bureaux, magasins, banques, restaurants, hôtels, et surtout la suspension des opérations du Grand Marché de Kinshasa, a paralysé toute la Ville de Kinshasa. Cet événement inédit depuis la fin du 19éme siècle où cette ville a été fondée par l’Honorable Henry Morton Stanley (militaire anglo-américain, journaliste, explorateur, fondateur-architecte de l’Etat du Congo et député britannique) a produit une phénoménologie psychosociale et économique historique : la Ville de Kinshasa est plongée dans la suffocation de son Etre.  
La rupture des flux quotidiens (massifs et denses) des Kinois partant ou revenant de «La République de  Gombe» a délesté à toute la ville de Kinshasa de sa vivacité. La situation est plus dramatique  surtout avec la fermeture des Eglises, des bars et la suspension des activités sportives dans les autres communes. La mégalopolis Congolaise connait donc un tassement de son effervescence, voire une évaporation du sens de son existence comme capitale. Une capitale quasiment décapitée de son centre névralgique. Gombe l’espace le plus moderne de la RDC, son cerveau, son foyer administratif et son Central Business District (CBD, chez les anglo-saxons). Chaque jour, ministres, bureaucrates, banquiers, businessman, étudiants de l’ISC ou de l’ISP, vendeurs, «chayeurs» en provenance de Matadi-Kibala, taximen, conférenciers, cireurs des chaussures venant de Mokali, «Wewas », «chegués», amoureux se rendant à un restaurant exotique,  «mamans monbomgo» allant au Grand Marché ou au port, cordonniers, constituent des véritables marrées humaines entrant à Gombe ou y revenant. Ainsi donc, le verrouillage de la Commune de Gombe est une expérience sociétale et existentielle  inédite de plombage des activités de cette mégapole de plus de 12 millions d’habitants.
A la lumière de cette dramatique réalité, l’observation est que la Ville de Kinshasa est irrationnellement focalisée ou arrimée à la Commune de Gombe. Celle-ci est son seul espace de modernité, son seul foyer administratif, son seul hub financier et économique. Gombe est aussi le plus grand espace de business formel et informel, voire la principale zone   hôtelière de la capitale où se déroule la majeure partie de  conférences nationales et internationales. C’est la réalité et la vérité d’un retard dramatique en développement urbanistique. Le symptôme de carence en leaders transformationnels modernes capables d’actionner la mutation contemporaine de cette ville. Force est de souligner que la modernité d’une capitale et sa configuration urbanistique, étalent aux yeux du monde l’intelligence développementale d’un peuple et de ses leaders.  A cet égard, cette réflexion explore l’éxogénéité de l’essence de la Ville de Kinshasa comme produit de l’idéologie et la vision coloniale. Ensuite, la cogitation se penche sur l’urgence et l’impératif de la réinvention de la Ville de Kinshasa à la lumière de l’expérience de la paralysie de la toute la ville par le verrouillage de la Commune de Gombe. La conclusion relève que le début de la dynamique systématisée de la réinvention de la Ville de Kinshasa est possible même à court terme. Une telle entreprise  exige une intelligence synergétique avec comme catalyseur un leadership politique provincial développementaliste  sensible aux trends modernistes des «Smart Cities» propre à la mondialisation. 
LA VILLE DE KINSHASA ET SA CONCEPTION-CONSTRUCTION DANS L’IDEOLOGIE ET LA VISION COLONIALE BELGE 

L’impératif de la réinvention de la Ville de Kinshasa, voire l’éventualité de la création d’une autre capitale et d’autres villes, est une nécessité absolue de notre décolonisation existentielle. Cette assertion est d’autant plus vraie que la ville  a une triple fonction de lieu de civilisation (Cité, ou Polis),  miroir de modernité et démonstration de la faculté transformationnelle d’une élite politique. En d’autres termes, l’indépendance demeure incantatoire tant que nous n’avons pas encore été en mesure de concevoir, de construire ou de réinventer nos villes. Les Romains considéraient les Gaulois, les Saxons, et autres hordes germaniques, comme des barbares, aussi parce que ces deniers n’avaient pas des villes. Paris fut d’abord un village Gaulois du nom de Lutèce. Ce sont les  Romains qui la transformèrent en ville ou Civitas Parisiorum. La Ville de Londres (Londinium) fut fondé par les colonisateurs Romains. Après, les Français et les Anglais, réinventèrent leurs villes. Les Ivoiriens (Bouake), les Nigérians (Abuja), les Burkinabés (Ouaga 2000), les Rwandais (Kigali City) sont autant des peuples Africains ayant réinventé leurs villes. 

La Ville de Kinshasa a été fondée par l’explorateur Henry Morton Stanley vers la fin du 19e Siècle, à coté d’un village  de la tribu Bateke, aux confins de la commune de Kitambo, au bord de la Baie de Ngaliema. Ce sont les Belges qui l’on modernisée et l’ont baptisée Léopoldville. Elle a été rebaptisée Kinshasa en 1966, sous le régime du Président Mobutu. Mais, sa conception urbanistique, la configuration infrastructurelle, les routes, communes, ports, chemins de fer, les buildings et habitations ont été pensés et matérialisés selon la vision coloniale belge. Dans une idéologique urbanistique coloniale, sur fond de racisme, ils ont conçu et construit la Commune de Kalina (Gombe actuelle), comme centre administratif et résidentiel des blancs. Les colonisateurs ont ensuite construit les communes de Kitambo, Lingwala, Barumbu et Kinshasa pour les évolués et autres indigènes congolais. Avec l’expansion démographique, ils construisirent les autres communes comme Bandalungwa, Ngiri-Ngiri, Lemba, Matete et N’Djili. Le quartier industriel de Limeté nécessita aussi la construction d’une zone résidentielle adjacente. La disposition des rails, du port de l’ONATRA et ses entrepôts le long du fleuve Congo, la localisation de l’aérodrome de Ndolo et de l’Aéroport de N’Djili, l’emplacement de la premier université Lovanium voire de la prison de Makala, ont obéit à la vision politique, économique et sociale coloniale.

Ainsi donc dans la vision (voire la cosmogonie) coloniale belge l’espace résidentiel et administratif des colonisateurs devait être le seul centre d’impulsion politique, économique, industriel, voire sociale de la Ville de Kinshasa.  Il y a dans cette structuration urbanistique une idéologie raciste et hégémonique que nous perpétuons. Forcer tous les indigènes à affluer à Kalina était aussi un moyen de les contrôler. Et on peut observer que même la stratégie de séparation de cet espace du reste de la ville, avec des camps militaires ou policiers sur certaines artères majeures menant vers Kalina indique des dispositions de domination et de protection de l’oligarchie dominante. A Kinshasa il y a Gombe et les autres communes comme une stratification politico-sociale «bourgeoisie-oligarchie gouvernante versus les prolétaires-plébéiens». Après l’indépendance, nous avons hérité de cette ville, sans réaliser la nécessité de la repenser. Et nous n’avons aucune conscience du fait que dans une perspective psychosociologique structuraliste une ville comme cadre de configuration de l’existence collective produit un Etre, génère un Esprit. Et cet Esprit Kinois influe indéniablement sur nos manières de penser et d’agir surtout sur le champ politique, par une implosion inouïe du mode de pensée par transposition analogique (la principale artère goudronnée s’appelait «Prince Baudouin », par transposition analogique toute artère goudronnée est «prince» à Kinshasa!). 

  
L’IMPERATIF DEVELOPPEMENTAL DE LA REINVENTION DE LA VILLE DE KINSHASA EN «SMART CITY» 

Il est impérieux de repenser et de restructurer notre capitale, comme creuset d’une nouvelle civilisation Congolaise, après cette ère noire de Coronavirus, par le déploiement de notre propre intelligence. En effet, Il est irrationnel et immoral que des millions des citoyens se déplacent chaque jour vers un seul espace, alors que leurs communes devaient être modernisées pour qu’ils s’y vivent décemment en y trouvant ce dont ils ont besoin. Sur le plan économique en connexion avec la dimension sociale, il est urgent de remodeler la ville par une décentralisation administrative, économique, avec des foyers de développement social, culturel et sportif dans les communes et quartiers éloignés.  Il faut urgemment moderniser toutes les communes dans un processus graduel.
                
Durant cette décennie, l’Afrique a connu des initiatives très remarquables de reconfiguration de plusieurs villes et la création des centres urbains ultramodernes (Dakar, le Caire, Kigali City, Abidjan, etc.).  Certes à Kinshasa le Président Mobutu avait très remarquablement commencé à moderniser la ville (Echangeur de Limeté (aujourd’hui abandonné), tour ultramoderne de la Voix du Zaïre, Palais du Peuple, Stade Kamanyola, CCIZ, etc.). Sous le régime de J.Kabila on a vu la modernisation du Boulevard du 30 Juin et du Boulevard Lumumba (de 4 bandes érodées aux artères modernes de 8 bandes convertibles en autoroute ultramoderne), la construction du Bâtiment Intelligent, la création des places publiques avec monuments (Place Royale à rebaptiser place de  la République et Place de l’Armée en face du Building Forescom). La réhabilitation du CCIZ jadis abandonné à la ruine en le convertissant en splendide Hôtel du Fleuve Congo. On a également observé l’élan de l’irruption de nouveaux somptueux semi-gratte-ciels ultramodernes (Future Tower, Building Kiyo ya Sita en face de la Poste, Building CCC). Bien que les quartiers modernes Oasis et Cité du Fleuve enrichissent le profil urbanistique de la commune de Bandalungwa et de Limeté, l’élan général de la modernisation urbanistique reste limité à «la République de Gombe». Le régime de l’alternance du Président F.Tshisekedi, après une année, est bloqué dans ses sauts-de-mouton (des accessoires routiers).  Cependant, il apparait que le saut-de mouton du croisement de l’Avenue 24 Novembre et Boulevard du 30 Juin à Gombe, donne un rayon de modernité quasi-newyorkaise à cet espace. L’échangeur de Limité ou le programme de 100 jours a été lancé est oublié : Il est  devenu hideux. Le projet de la reconstruction de l’Aéroport de N’Djili en version ultramoderne semble être dans les oubliettes. Si le Premier Ministre Matata n’avait pas pris l’initiative de construire l’aérogare modulaire, on serait toujours dans la honte de l’obsolète rotonde de l’aéroport colonial. Même le projet de l’autoroute de Binza Pigeon, en passant par Camp Luka-Selembao, Makala-Ngaba, Matete-N’Djili,  jusqu'à Kimbasake, a disparu du discours politique. Les rails et train urbains (qui auraient pu être aujourd’hui modernisés avec des «stations business centres » créateurs d’emplois) ont été enterrés. Personne n’est outragé. Pourtant, dans toutes les villes modernes le transport des masses est ferroviaire. Pendant ce temps, Dakar et Abidjan se dotent des métros. La Ville de Kinshasa semble ne pas avoir une perspective de splendeur profilant visiblement à l’horizon. 

En outre, malgré le lancement de la campagne « Kin Bopeto » le sous-développement de la Ville de Kinshasa et son caractère de mégapole arriérée par rapport à d’autres capitales africaines, demeurent intacts.  L’insalubrité  est consubstantielle à la Ville de Kinshasa. C’est une ville dont la dénormativisation existentielle totale, des gouvernants aux gouvernés, de la République de Gombe à Mikonga ou au Plateau de Bateke, étale notre stagnation civilisationnelle. Nous devons avoir le courage de le reconnaitre et de décider de réinventer cette ville, tout comme nous devons, au sortir de cette ère noire de coronavirus, lancer la dynamique générale de la réinvention du Congo – au sens véritable d’une réinvention de notre Etre dans le prisme mudimbien.

CONCLUSION

KINSHASA EST D’UNE STRUCTURATION URBANISQUE COLONIALE OBSOLETE : SEULE UNE ACTION MULTIPARTITE PEUT LA REINVENTER.

Dans la dynamique mondiale où la pandémie de coronavirus est exploitée dans sa dimension post-modernisme de la réinvention des sociétés, par la remise en question des modèles, pratiques et structures existantes, le verrouillage de la Commune de Gombe et ses conséquences, doivent produire en nous l’élan de notre remodelage. En ce qui concerne la Ville de Kinshasa, il serait aléatoire d’escompter le début de la transformation substantielle de cette ville à court terme (ce qui est pourtant possible) avec les gouvernants seuls. Même s’ils ont la bonne volonté (déclamée), leurs perspectives  sont limitées. Les ressources sont très insuffisantes. Le model américain de la construction et la reconstruction des villes peut nous inspirer. A part la Ville de Washington DC construite par le Gouvernement Fédéral des USA, presque toutes les grandes agglomérations américaines ont été construites et remodelées dans une intelligence synergétique. Des mégalopolis comme New York, en passant par le Metroplexe Dallas-Fort Worth jusqu'à Los Angeles et San Francisco, les résidents, operateurs économiques, universitaires, banques, églises, se sont concertées et ont mobilisé les ressources, chacun dans ses projets, ou par conjonction des fonds pour des initiatives éducatives, culturelles et sportives, pour bâtir, rebâtir ou moderniser leurs villes. La plupart de ces villes américaines ont été fondées par des individus, des familles, des communautés religieuses. Et d’autres groupes se sont joints (banques, magasins, églises, hôtels, fermes, miniers), pour développer ces agglomérations. 

A Kinshasa, il est donc nécessaire et très urgent d’enclencher une synergie en Reconstruction Accélérée par Actions Multipartites (RAAM), afin de réaliser déjà quelques actions reconfigurantes à court terme, et d’autres à moyen et long termes. Nous ne pouvons pas continuer à tendre la main et attendre les japonais, les Français ou les Chinois. C’est une mentalité des Africains aliénés. Si nous réinventons nos villes et notre pays nous-mêmes (dans l’élan de splendeur de l’on observe à Goma, Lubumbashi, Kolwezi et Kindu), les autres nous respecterons. C’est alors qu’ils viendront capitaliser ce que nous aurons réalisé comme prouesses. Dans mon roman futuriste publié en 2006 et intitulé « Kinshasa, La Dernière Explosion N’Aura pas Lieu » (l’Harmattan, Paris, 2006), dont l’histoire se déroule en 2026, Kinshasa Smart City y existe déjà. Il est y est doté d’un cinquième District appelé « Kin City» et ses cinq nouvelles communes. Pour paraphraser notre respectable philosophe et théologien Ka-Mana, c’est l’imaginaire (la conscience imageante de Sartre) d’un peuple qui le conduit à de grandes réalisations propices à la matérialisation de sa destinée de grandeur.

Kabasu Babu H.K (Libre-penseur et écrivain, Politologue chercheur en Gouvernologie) 
 

 

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