Droit à l’avortement en RDC : Ce ventre n’est pas le mien !

Lundi 9 mars 2020 - 21:31
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CONTEXTE

Journée de la femme, mois de la femme, les femmes congolaises exhiberons leurs plus beaux pagnes, iront prendre un verre entre copine ou louer le seigneur dans une église dite « de réveil ». C’est un peu caricatural mais pas loin de la vision de la plupart des congolais lorsque l’on parle de la journée de la femme. Pourtant, ce 8 mars va bien au-delà du wax, de la Primus et des cantiques.

En effet, la journée internationale des femmes est célébrée dans de nombreux pays à travers le monde. C'est un jour où les femmes sont reconnues pour leurs réalisations, sans égard aux divisions, qu'elles soient nationales, ethniques, linguistiques, culturelles, économiques ou politiques. Mais c’est aussi et surtout une occasion de mettre en avant la lutte pour les droits des femmes. C’est ainsi, qu’à l’occasion de cette journée, j’ai trouvé opportun d’aborder la sensible question de l’avortement en République démocratique du Congo. Le but étant de savoir où nous en sommes sur plan juridique et quelles sont les perspectives qui s’ouvrent à nous au regard de notre constitution.

PRINCIPES

L’avortement se définit comme l'interruption du processus de gestation, c'est-à-dire du développement qui commence à la conception par la fécondation et qui se termine par la naissance. Pour le cas de la RDC, les articles 165 et 166 du Code Pénal stipule respectivement que « celui qui, par aliments, breuvages, médicaments, violences ou par tout autre moyen aura fait avorter une femme, sera puni d'une servitude pénale de cinq à quinze ans. » et que « la femme qui volontairement se sera fait avorter, sera punie d'une servitude pénale de cinq à dix ans. » En somme, si une femme se fait avorter ou si vous l’aidez d’une quelconque manière à se faire avorter, la seule sentence est la prison.

OUVERTURE INTERNATIONALE

En date du 20 juillet 1987, la RDC, Zaire à l’époque, a ratifié Charte africaine des droits de l'homme et des peuples dont le l’objectif est la reconnaissance des droits, devoirs et libertés énoncés dans cette Charte et l’engagement d’adopter des mesures législatives ou autres pour les appliquer. De plus, l’article 66 de cette charte stipule que « des protocoles ou accords particuliers pourront, en cas de besoin, compléter les dispositions de la présente Charte ». Au regard de cette disposition, force est de conclure que les protocoles et les accords feront parties intégrantes de la charte.

Fort de cette logique le parlement de la RDC a adopté la loi n° 06/015 du 12 juin 2006 autorisant l’adhésion de la République démocratique du Congo au protocole de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuple relatif aux droits de la femme en Afrique. L’autorisation ainsi obtenue, le Président de la République de l’époque, Joseph Kabila, a signé, le 9 juin 2008, l'adhésion à ledit protocole qui stipule en son article 14.2 © que « les États prennent toutes les mesures appropriées pour protéger les droits reproductifs des femmes, particulièrement en autorisant l’avortement médicalisé, en cas d’agression sexuelle, de viol, d’inceste et lorsque la grossesse met en danger la santé mentale et physique de la mère ou la vie de la mère ou du fœtus. » A ce stade, la question qui se pose est alors de savoir que ce qui s’applique entre les dispositions du Code Pénal qui pénalise l'avortement vu plus haut et la Charte Africaine des droits de l’homme qui reconnait via ce protocole le droit à l’avortement sur certaines conditions.

En réponse à cela, l’article 215 de la Constitution stipule que « les traités et accords internationaux régulièrement conclus ont dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve pour chaque traité ou accord, de son application par l’autre partie ». Compte tenu que le protocole de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuple relatif aux droits de la femme en Afrique a été publié au Journal Officiel le 14 mars 2008, force est de conclure qu’à cette date, la RDC a l’obligation de modifier les articles 165 et 166 du Code Pénal vu plus haut afin de permettre l’avortement en cas de :

• agression sexuelle
• viol
• inceste
• danger à la santé mentale, physique de la mère

Malheureusement, rien n’a encore été fait en ce sens. J’espère que les femmes congolaises qui me lisent, surtout les femmes députés, prendront action pour que l’Etat congolais respecte son engagement international sur cette question. Une proposition de loi introduisant les exceptions dans le Code Pénal trouve ici sa justification légale. A vous jouer mesdames !

Cependant, cela ne suffira même si on modifie le Code Pénal en ce sens. En effet, une femme qui ne se retrouve pas dans les situations d’exception dans la charte citée plus haut et qui souhaite simplement avorter pour des raisons qui lui sont personnelles risque toujours la prison. A ce stade un autre débat d’ordre constitutionnel s’ouvre.

OUVERTURE CONSTITUTIONNELLE

Selon l’article 16 de la Constitution « toute personne a droit à son l’intégrité physique » qui se comprend comme le principe en vertu duquel chacun a droit au respect de son corps. Dans le cas qui est le nôtre, la question qui se pose est savoir si forcer une femme, sous la menace d'une peine de prison, à mener un fœtus à terme à moins qu'elle ne satisfasse à des critères sans rapport avec ses propres priorités et aspirations constitue-t-il une ingérence grave à l'égard de son corps, donc à son intégrité physique ? A mon sens oui car je trouve illogique de dire que les femmes congolaises ont pleinement droit à l’intégrité physique tout en ayant un Code Pénal qui leur oblige de porter toute grossesse à terme à moins de se trouver dans certaines conditions au risque de purger une peine de prison pour cinq ans au minimum.

CONCLUSIONS

La présente analyse n’est pas d’ordre spirituel ou moral, elle est strictement juridique. Vous pouvez, spirituellement ou moralement, trouver qu’une femme qui décide, pour des raisons qui lui son propre, d’avorter doit aller en prison pour au moins cinq ans ! C’est votre droit. Mais là n’est pas la question. La réflexion que je vous invite à faire est plutôt sur le fait de savoir si l’intégrité physique de la femme est bafouée du fait qu’on l’impose de porter une grossesse à terme sous peine d’aller en prison pour au moins cinq ans à moins de satisfaire à certaines conditions. Pour ceux qui n’ont pas d’avis mais qui aimerait avoir des réponses, je vous renseigne que l’article 48 de la Loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle stipule que « toute personne peut saisir la Cour pour inconstitutionnalité de tout acte visé à l’article 43 de la présente Loi organique à l’exception des traités et accords internationaux. ». Vous pouvez donc, en tant que femme et citoyenne, saisir la cour constitutionnelle par une requête en inconstitutionnalité de l’article 165 et 166 du Code Pénal. Pour ma part, le ventre d’une femme n’est pas le mien, je n’aurai jamais la prétention de décider à sa place, même à travers une loi.

Bonne chance et bonne journée internationale des droits des femmes.
Je dédie cette analyse à ma femme
Davina Makaba Engunda

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ENGUNDA IKALA

 

 

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