Tribune :" Inquiétudes constitutionnelles" de Moïse Katumbi (Ikala Enguda, juriste)

Lundi 17 juin 2019 - 11:24
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Contexte

Le 6 mai 2019, le Président du regroupement politique « Ensemble pour le Changement » Moise KATUMBI affirme, via un communiqué,que la mission de son regroupement est « la défense stricte de la Constitution, du peuple, de la démocratie et (d’assurer) la mobilisation populaire ». Il précise son propos lors d’un interview sur France 24 en affirmant qu’il « rentre pour que la population soit éveillée et qu’on ne touche pas la Constitution ».

En réaction aux suspicions de révision constitutionnelle de Moise KATUMBI, la Présidente de l’Assemblée Nationale, Jeannine MABUNDA, membre du Font Commun pour le Congo (FCC), affirme, le 13 mai 2019, sur les ondes de RFI, que les propos de l’opposant congolais sont des « spéculations » et que celui-ci était  « déconnecté de la réalité ». Elle rajoute également, concernant Moise KATUMBI, que celui-ci avait fait plusieurs années en dehors de la RDC et qu’il est prématuré qu’il juge à distance.  

A son retour au pays, le 21 mai 2019,Moise KATUMBI renchérit et précise lors d’un interview accordé à la presse qu’« ils (FCC) veulent toucher à la Constitution, aller au suffrage indirect pour la présidentielle, et nous ne serons jamais d’accord ». Pour contrer ce projet, l’opposant dit compter sur « la population congolaise qui veuille à ça » et promet que « tous de l’opposition, nous ne l’accepterons jamais ».

Ces allégations sont-elles véridiques ou s’agit-il de simple « spéculation » ? Là n’est pas la question de mon actuel propos. L’objectif ici est de démontrer la possibilité constitutionnelle d’une telle démarche et comment il serait possible constitutionnellement de se rassurer qu’une telle chose ne puisse jamais arriver.

Principe

L’article 70 al.1 de la Constitution stipule que «  le Président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois ». Par « suffrage universel direct » on entend le fait que l’électorat choisit lui-même, parmi les candidats en lice, lequel occupera la fonction, ici de Président de la République. A contrario, le « suffrage universel indirect » est le fait que les électeurs désignent par leurs suffrages (vote) des intermédiaires qui éliront la personne en lice. Cela est le cas des élections sénatoriales en RDC où les élus provinciaux (députés) élisent les sénateurs. Au regard de ce fait, il est donc logique de croire que pour Moise KATUMBI, l’un des objectifs du FCC serait de modifier le « suffrage universel direct » prévu à l’article 70 al.1 de la Constitution afin de le rendre « indirect » et ainsi priver le peuple de son droit de voter directement le Président de la République au profit d’un collège électoral (députés, sénateurs, grand électeur etc…).

 

Application

 

Suffrage universel « direct » peut-il être révisé ?

 

Selon l’article 220 al.1 de la Constitution, le principe du suffrage universel ne peut faire l’objet d’aucune révision constitutionnelle. Ce principe consiste en la reconnaissance du droit de vote à l’ensemble des citoyens. Ainsi, on ne peut pas modifier la Constitution de telle sorte que la Président de la République soit nommée, il doit être nécessairement être élu par vote. Cependant, les modes d’application du suffrage universel, « direct » ou « indirect »,ne rentre pas dans l’intangibilité de l’article 220. Cette disposition ne rend irrévisable que le « suffrage universel » et non ces deux modes d’application (Direct ou indirect).

 

Au regard de ce fait, le suffrage universel « direct » quant à l’élection du Président de la République prévu à l’article 70 al.1 de la Constitution peut donc être révisé afin de le rendre « indirect », ce qui aura pour conséquence qu’un autre corps électoral que la population élira directement le Président de la République.

 

Le FCC peut-il effectuer cette révision ?

 

A ce sujet il existe les étapes suivantes :

 

POSSIBILITE : Selon l’article 218 (3) de la Constitution « l’initiative de la révision constitutionnelle appartient concurremment à chacune des Chambres du Parlement à l’initiative de la moitié de ses membres ». Compte tenu que le FCC détient une large majorité à l’Assemblée Nationale et au Sénat, une simple correspondance adressée au Président de l’une de ces chambres, signé par au moins 250 députés ou 54 sénateurs, proposant la révision de l’article 70 al.1 afin que l’élection présidentielle se fasse au suffrage universel « indirect » est suffisant. Le FCC a donc, juridiquement, la possibilité d’initier ce type de révision constitutionnelle.

 

APPROBATION : Selon l’article 220 al.2 de la Constitution, l’initiative de la révision est « soumise à l’Assemblée Nationale et au Sénat qui décident, à la majorité absolue de chaque Chambre, du bien-fondé de la proposition de révision ». Compte tenu que le FCC détient une large majorité à l’Assemblée Nationale et au Sénat, il lui sera aisé d’obtenir les voix nécessaires. Le FCC a donc, juridiquement, la possibilité de modifier l’article 70 al.1 de la Constitution.

 

EFFECTIVITE : Selon l’article 218 al.3 de la Constitution « la révision (constitutionnelle) n’est définitive que si la proposition est approuvée par referendum sur convocation du Président de la République ». Compte tenu qu’il est peu probable que le peuple vote « Oui » au fait qu’elle n’ait plus le droit de voter directement lors de l’élection présidentielle, je doute fort que ce type de révision constitutionnelle soit approuvée par lui. De plus, le Président de la République pourrait bloquer cette approbation par le simple fait de ne pas convoquer le referendum.

 

ATTENTION : Cependant, l’article 218 al.4 stipule que « la proposition n’est pas soumis au referendum lorsque l’Assemblée Nationale et le Sénat réunis en Congrès l’approuvent à la majorité des trois cinquièmes des membres les composant ». De ce fait, si durant un Congrès, l’approbation de la proposition de révision constitutionnelle obtient 364 ou plus des votes de ces membres (députés et sénateurs) elle est considérée comme définitive, nul besoin d’un referendum. Compte tenu que le FCC détient globalement environ 450 sièges au parlement (Assemblée Nationale et Sénat), ils peuvent, juridiquement, modifier le mode du suffrage universel prévu à l’article 70 al.1 de la Constitution sans avoir besoin d’une quelconque approbation du peuple.

 

Que peut faire Moise KATUMBI pour empêcher un tel scénario ?

 

L’article 218 (4) de la Constitution stipule que « l’initiative de la révision constitutionnelle appartient concurremment à une fraction du peuple congolais, en l’occurrence 100.000 personnes, s’exprimant par une pétition adressée à l’une des deux chambres ». Ainsi, si Moise KATUMBI est réellement convaincu que le FCC compte changer le mode de suffrage universel à l’élection présidentielle, il peut initier une pétition afin de proposer à ce que le suffrage universel direct à l’élection présidentielle fasse parti des dispositions ne pouvant faire l’objet d’aucune révision constitutionnelle. Il n’a besoin que 100.000 signatures pour soumettre valablement son projet au Parlement.

 

Une telle proposition initiée par un opposant pourra-t-elle aboutir ?

 

A première vue, l’opposition n’ayant pas la majorité dans chacune des Chambres, la proposition ne devrait pas passer. Toutefois, si le peuple soutient de manière claire le projet, je vois mal un député ou un sénateur voter contre le fait que ça sera toujours le peuple qui votera directement à l’élection présidentielle (Suffrage universel direct). De plus, si les affirmations de Moise KATUMBI ne sont que « spéculation », il sera plus que suspect que les élus FCC vote contre ce type de proposition. Celui qui n’a pas l’intention de vous cambrioler ne peut pas vous empêcher d’installer une alarme.

 

Conclusion

 

Comme je l’ai dit au début de cette analyse, mon objectif ici n’est pas de démontrer si les affirmations de Moise KATUMBI sur un projet « révision constitutionnelle » sans faux ou vrai. Il ne s’agit peut-être que de spéculation. Je n’en sais rien ! Cependant, j’ai pensé utile, en tant qu’intellectuel, de vulgariser au public les mécanismes constitutionnels qui permettent de juger de la pertinence juridique ou pas des « inquiétudes constitutionnelles » exprimées par Moise KATUMBI. 

 

 

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