19 septembre 2016 : quels enjeux ? Quelles perspectives ?

Lundi 15 août 2016 - 12:07
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L’enjeu principal de notre réflexion est  certainement  celui de la sauvegarde, sinon de la survie de la démocratie congolaise telle qu’elle est définie dans la Constitution du 18 février 2006.  Devant les difficultés observées en ce qui concerne le respect dû aux textes, la réalisation du jeu de l’alternance par les élections pluralistes, et même en ce qui concerne l’identification des partis politiques, on peut se poser la question  de savoir si notre Constitution pourra encore survivre. Nous  proposons de passer en revue les difficultés observées devant les deux dates du 19 septembre  et du 19 décembre 2016, en mettant en exergue les enjeux concrets et les acteurs, avant de dégager les questions et les scenarios prévisibles. I. LE RESPECT DES TEXTES. Les deux dates, celles du 19 septembre et du 19 décembre sont des dates-butoirs qui sont déterminées à partir de trois articles de la Constitution relatifs au calendrier électoral et donc au processus de légitimation du Président de la République, à savoir : 1°Article 73 qui stipule : « le scrutin pour l’élection du Président de la République est convoqué par la Commission électorale nationale indépendante quatre-vingt-dix jours avant l’expiration du mandat du Président en exercice. » 2°Article 70 qui stipule en son alinéa 1 :« le Président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois. » 3°Article 74 qui stipule en son alinéa 1 : « Le Président de la République élu entre en fonction dans les dix jours qui suivent la proclamation des résultats définitifs de l’élection présidentielle. » 4°Article 74 qui stipule en son alinéa 2 : « Avant son entrée en fonction, le Président de la République prête, devant la Cour Constitutionnelle, le serment ci – après »: …. Cette prestation marque le début du mandat qui doit durer 5 ans. Il découle de ces trois textes que le président Joseph Kabila ayant prêté son serment constitutionnel le 20 décembre 2011, doit arrêter ses fonctions le 20 décembre 2016. Et, pour que cela soit bien précisé, le scrutin pour choisir son éventuel successeur doit être convoqué le 20 septembre 2016. De façon que le scrutin convoqué 90 jours avant ait eu lieu et que les résultats définitifs aient pu être proclamés au moins 10 jours avant l’expiration ou, au pire, 10 jours après le 20 décembre 2016. Ces 10 jours visant essentiellement à éviter toute « brouille » ou toute interprétation abusive de la légitimité, sinon de l’autorité du partant et de l’entrant qui vient d’être proclamé « élu ». Le problème : Il s’avère impossible de respecter les délais définis selon la Constitution. Pour l’Opposition, les retards et les difficultés relèvent d’une volonté délibérée de refuser l’alternance de 2016 et de proroger le mandat du président Joseph Kabila. Pour la Majorité kabiliste, les difficultés relèvent d’obstacles indépendants de toute volonté politique. Quelles que soient les raisons, le résultat tangible est là : la Constitution actuelle ne  convient plus à la Majorité présidentielle. Sur ce point, Etienne Tshisekedi ne pouvait qu’appuyer le président Joseph Kabila : il faut en effet se rappeler que Tshisekedi avait appelé au boycott lors du referendum constitutionnel de 2005 ! Paradoxe bien congolais où celui qui a donné la démocratie semble la remettre en cause, aidé par celui-là même qui a été son principal adversaire et contestataire aux élections de 2011. D’où trois ordres de question : 1° La Constitution actuelle pourra t- elle survivre à la crise en perspective ? 2° Que va  faire  le président Joseph Kabila pour se maintenir malgré tout ? 3° Que pourrait faire l’Opposition pour assurer l’exercice de l’alternance ? Chacun des acteurs interpellés et engagés dans ce problème a ses réponses. Et ces réponses ouvrent des clivages autour desquels se cristallisent deux camps : d’un côté, le Président de la République et sa Majorité présidentielleet, de l’autre côté,l’Opposition, à peine divisée elle-même entre une Opposition « radicale » et une Opposition « modérée ». II. L’ALTERNANCE. L’alternance, définie comme moment de compétition électorale organisée et prévue en 2016 est remise en question. La CENI a publié un calendrier global le 12 février 2015. Elle a situé l’élection présidentielle le 28 novembre 2016. Le calendrier a été présenté accompagné d’une  vingtaine de contraintes qui devaient être levées au préalable. Ce calendrier global a été abandonné, toutes les conditions n’ayant pas été réalisées. Mais le doute se dissipe un peu plus chaque jour, et tout semble indiquer que le président Joseph Kabila refuse l’alternance prévue en 2016. Il veut la reculer à plus tard  par souci d’efficacité ou de paix? Il veut obtenir une prolongation de son mandat, ce qui s’appelle « le glissement », par simple goût du pouvoir ? Ou par conviction que le temps de la démocratie congolaise n’est pas encore venu ? Aucun discours ni de son parti ni de ses partisans ne permet de savoir si ces questions sont pertinentes ou si les hypothèses que ces questions présentent renferment les bonnes explications. Ce glissement, appuyé sur l’impossibilité de réaliser l’élection présidentielle dans le délai constitutionnel, a été revendiqué au nom de l’alinéa 2 de l’article 70 qui stipule : «  A la fin de son mandat, le Président de la République reste en fonction jusqu’à l’installation effective du nouveau Président ». Un alinéa qui a suscité des controverses telles que deux centaines de députés de la Majorité ont cru utile de saisir la Cour Constitutionnelle. Entretemps, soucieux de paix et de consensus, le Président de la République a convoqué un dialogue, et autorisé des pourparlers avec l’UDPS pour que ce parti adhère à ce projet de dialogue. Le problème : absence de repères et situation de non loi Pour le président Joseph Kabila et sa Majorité au pouvoir, les deux démarches (la saisine et le Dialogue) visent à se donner les instruments utiles pour légitimer le maintien au pouvoir et le renvoi des élections au-delà de 2016. Contre cette perspective de Joseph Kabila, l’Opposition est divisée et, signe d’anarchie en perspective, elle affiche différentes positions. Ce qui laisse entrevoir plusieurs options, à savoir : 1° soit le dialogue avec objectif de légitimer ou de pardonner le non-respect des textes à travers un  certain « pragmatisme politique »; 2° soit  l’élection présidentielle malgré tout, même avec des imperfections; 3° soit la révolte populaire et donc un départ précipité et la remise à zéro totale.  Toutes les Institutions pouvant être réputées illégitimes, pour cause de dépassement de la durée de leurs mandats respectifs, ou pour cause de l’application de l’article 64 (« Tout Congolais a le devoir de faire échec à tout individu ou groupe d’individus qui prend le pouvoir par la force  ou qui l’exerce en violation des dispositions de la présente Constitution..); 4° Soit on recourt  aux articles 75 et 76  et c’est le président du Sénat qui assume l’intérim du président de la République. Mr Léon Kengo prendrait alors sa place; 5° Soit c’est un collège exécutif avec suspension de la Constitution; 6° Soit encore c’est un coup d’Etat avec changement total de la Constitution; 7° Soit aussi une tutelle transitoire de la Communauté internationale, avec suspension de la Constitution et promesse garantie de mise en place des règles et institutions démocratiques. L’incertitude devant de si nombreuses options est de nature à installer une situation de non-droit, de non-loi, et donc une confusion qui ne pourra que renforcer le pouvoir de fait, détenu par le président Joseph Kabila et ses partisans civils et militaires. Par ailleurs, les nombreuses incertitudes hypothèquent évidemment le Dialogue préconisé et soumettent sa tenue à diverses  questions, dont certaines constituent, dans le chef de leurs auteurs, des préalables importants. Il s’agit notamment des questions suivantes 1.      La question de la légitimité du facilitateur et, plus singulièrement la récusation de Mr. Edem Kodjo qui devient ainsi lui-même une difficulté plutôt qu’un facilitateur désigné pour résoudre les difficultés. Etant entendu que le facilitateur éventuel aura, dans tous les cas de figure, besoin de la double légitimité de l’Opposition et de la Majorité présidentielle. 2. La question de la durée du dialogue: a. La date limite du  19 septembre supposerait l’option du pragmatisme et du consensus sur le non-respect de l’article 73 de la Constitution. Autrement dit, il faut que le dialogue commence vite et se termine avant le 19 septembre 2016 pour éviter une situation de non-loi. Quitte à ouvrir une énième  transition avec un nouvel ordre institutionnel. b. Le risque, à la date limite du 19 décembre 2016,  supposerait qu’il n’y aura eu ni élection ni consensus. Ce qui pourra ouvrir soit la voie à la récusation pure et simple du Président Joseph Kabila, soit, au contraire, l’occasion fort opportune de renforcer l’autorité de l’Etat à l’avantage du président Joseph Kabila, ou ….à la faveur d’un coup d’Etat fomenté par d’autres putschistes. … Dans les deux cas, de nouvelles règles constitutionnelles s’imposeront. 3. La question de la composition Dialogue représentatif,  à  format réduit ou de type forum large ? La tendance est à l’inclusion. Ce qui amènera différentes catégories sociales et politiques. Toutefois, cela dépendra de deux facteurs : les moyens  logistiques et l’option sur les termes de référence qui pourraient être soit de tendance technocratique, en se limitant à la seule question du calendrier électoral, soit de tendance politique et globale, en prévoyant les  questions institutionnelles et programmatiques du pays. 4. La question des termes de référence Nous pensons que le Dialogue sera nécessairement  ouvert sur cette question. Après évaluation des points de convergence et des points de divergence retenus entre les protagonistes. Toutefois, on ne peut oublier ni minimiser le fait que pour l’Opposition radicale, comme pour la MP, le Dialogue n’est qu’une stratégie soit pour reporter au plus loin possible l’élection présidentielle (position de la MP), soit pour précipiter le plus rapidement possible le départ du président Joseph Kabila (position de l’Opposition radicale). 5. La question du destinataire des résolutions du Dialogue Cette question dépend tout naturellement de l’option qui va prédominer, parmi les 7 énumérés. Seule l’option de l’Opposition modérée, fondée sur la vacance et l’ordre institutionnel conséquent, permettrait de rétablir les règles de la Constitution du 18 février 2006. Mais si transition il y a, une des questions cruciales sera certainement celle de la restructuration des Acteurs réputés neutres (Cour constitutionnelle, CENI, CSAC,). Dans le même ordre d’idées, les équipes gouvernementales,  au niveau national et provincial, devront être reconfigurées. Les Organes délibérants, dont la nature et la vocation est de constituer des cadres où collaborent toutes les tendances, devront être recomposés de façon à équilibrer les forces politiques en présence. 6. Les conditions pré-dialogue Le préalable majeur est certainement la décrispation de l’espace politique par  l’annulation des doublons, par l’ouverture à tous des médias publics et par la libération des prisonniers politiques. Mais si l’option des deux principaux protagonistes, la MP et l’Opposition radicale, suppose un anéantissement de fait de la Constitution, il va de soi que le président Joseph Kabila aura intérêt à jouer la stagnation  et le pourrissement en vue de gagner l’avantage stratégique d’une situation de non-loi. III. LA REPRESENTATION PLURALISTE PARTISANE. L’article 6 de la Constitution stipule en son alinéa 2 : « les partis politiques concourent à l’expression du suffrage….. » D’où l’importance de faire arrêter la  pratique et l’exercice des doublons. En tous les cas, il faut s’attendre à un phénomène de polarisation intense en deux familles politiques : la Mouvance présidentielle et l’Opposition. Même si nous pouvons utilement considérer qu’il existe une Opposition radicale et une Opposition modérée et que, ici aussi, l’intérêt stratégique de la MP consisterait à multiplier les actions de fragilisation et d’émiettement de l’Opposition. CONCLUSION Il apparaît donc que les deux dates 19 septembre et 19 décembre 2016 ouvrent le pays à des périodes sans loi ni repère prévisible en ce qui concerne la légitimité du président en exercice et celle de son éventuel successeur.  Au-delà du président de la République, c’est la légitimité de toutes les Institutions démocratiques qui risquera d’être remise en cause. Le dialogue préconisé devant cette perspective  peu rassurante risque d’avoir deux issues paradoxales : permettre un glissement dans un consensus contre la Constitution actuelle  ou permettre un cadre anticipé pour canaliser les tensions et la crise prévisibles devant une récusation brutale du président Joseph Kabila. Ce qui aboutirait aussi à l’anéantissement de la Constitution actuelle. Cette conclusion signifie donc que l’Opposition est en train de se battre au nom du respect de la Constitution, tout en étant prête à ne pas la respecter ! C’est là le paradoxe et le germe d’une anarchie aux conséquences imprévisibles. En effet, la logique ou la suite des idées fondées sur le strict respect de la Constitution impliquerait les quatre étapes suivantes: 1ère  étape : L’option de l’empêchement définitif « pour toute autre cause » qui frappe le mandat du président Joseph Kabila au-delà du 20 décembre 2016. Par invocation de l’article 70, alinéa 1 (5 ans de durée) et en considérant que  l’alinéa 2 ne modifie ni n’annule l’alinéa 1erdu même article 70, sans oublier l’article 220 (interdiction de toucher au nombre de mandats successifs ni à la durée du mandat) de sorte que le président Joseph Kabila n’a ni le droit de se présenter au prochain scrutin présidentiel, ni le droit de rester à son poste au-delà du 20 décembre. 2ème étape : L’option d’accuser le Président et le Premier ministre de haute trahison. Par invocation de l’article 165 (violation intentionnelle de la Constitution) par suite du refus d’appliquer l’article 73. Cette violation est matérialisée par la non convocation du scrutin présidentiel le 20 septembre 2016. L’intention pouvant être démontrée notamment par les slogans « wumela », ou « Totondi nainu yo te » allègrement chantés en présence des autorités elles-mêmes depuis plus d’une année. Sans compter certaines déclarations des responsables de la MP qui suggéraient soit une révision, soit un referendum, ou qui affirmaient trop tôt l’impossibilité d’organiser l’élection présidentielle dans les délais constitutionnels. 3ème étape : La déclaration de l’empêchement définitif par la Cour Constitutionnelle, en application de l’article 76. NB. Il est à remarquer que la procédure de la déclaration de la vacance n’est pas la même que celle de la déclaration de l’empêchement définitif. La vacance de la présidence de la République est déclarée par la Cour Constitutionnelle saisie par le gouvernement. L’empêchement définitif est déclaré après « constat » par la Cour Constitutionnelle. Celle-ci se saisit-elle d’office ? Ou qui est habilité à la saisir ? En considérant que le fait de rester au pouvoir après la date du 20 décembre constitue un « acte contraire à laConstitution », on peut invoquer l’article 162, alinéa 2 qui stipule : «  Toute personne peut saisir la Cour Constitutionnelle pour inconstitutionnalité de tout acte législatif ou règlementaire » A la limite, les représentants de l’Opposition pourraient invoquer l’article 5 et considérer que l’affaire concernant la souveraineté du peuple, elle est en droit et en devoir de saisir la Cour Constitutionnelle. L’article5 stipule : « la souveraineté appartient au peuple…. » Alinéa2 : « Aucune fraction du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice. »Et l’article 74 impose, sous serment, certaines conduites au chef de l’Etat qui est une Institution individuelle. Ce qui, contrairement à l’article 101 qui rejette tout mandat impératif concernant le député, signifie la nature impérative et limitée du mandat électif conféré au Président de la République dans les délais constitutionnels. 4ème étape :Une fois l’empêchement définitif reconnu et constaté par la Cour Constitutionnelle, c’est le président du Sénat, Monsieur Léon Kengo, qui assume l’intérim du président de la République, en attendant,…..et en organisant les élections. L’article 76 alinéa 2 est clair : « Le président de la République par intérim veille à l’organisation de l’élection du nouveau Président de la République dans les conditions et les délais prévus par la Constitution ». Les alinéas 3 et 4 du même article 76 précisent ce délai qui est de 60 jours au moins, et 90 jours au plus…susceptibles d’être prolongé à 120 jours «  en cas de force majeure ». LES STRATEGIES POSSIBLES DES DIFFERENTS ACTEURS Les 4 étapes citées constitueraient donc la suite logique du strict respect de la Constitution. Mais devant les différences significatives sur les objectifs réels des uns et des autres, la question est celle de savoir quelles sont les stratégies possibles que chacun des différents acteurs pourrait développer. A ce stade de notre réflexion, et en considérant les déclarations des dignitaires de la MP, celles du président du Rassemblement, Etienne Tshisekedi, ou celles du G7 présentées par Charles Mwando Simba, deux stratégies apparaissent clairement : 1° celle du glissement, par le biais du Dialogue, et 2° celle du chaos soit par le biais judiciaire d’accusation de haute trahison, soit par le biais de l’invasion des rues. (Par C.KABUYA LUMUNA SANDO)