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L’enjeu principal de notre réflexion est certainement celui de la sauvegarde, sinon de la survie de la démocratie congolaise telle qu’elle est définie dans la Constitution du 18 février 2006. Devant les difficultés observées en ce qui concerne le respect dû aux textes,
la réalisation du jeu de l’alternance par les élections pluralistes, et même en ce qui concerne l’identification des partis politiques, on peut se poser la question de savoir si notre Constitution pourra encore survivre.
Nous proposons de passer en revue les difficultés observées devant
les deux dates du 19 septembre et du 19 décembre 2016, en mettant en
exergue les enjeux concrets et les acteurs, avant de dégager les
questions et les scenarios prévisibles.
I. LE RESPECT DES TEXTES.
Les deux dates, celles du 19 septembre et du 19 décembre sont des
dates-butoirs qui sont déterminées à partir de trois articles de la
Constitution relatifs au calendrier électoral et donc au processus de
légitimation du Président de la République, à savoir :
1°Article 73 qui stipule : « le scrutin pour l’élection du Président
de la République est convoqué par la Commission électorale nationale
indépendante quatre-vingt-dix jours avant l’expiration du mandat du
Président en exercice. »
2°Article 70 qui stipule en son alinéa 1 :« le Président de la
République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq
ans renouvelable une seule fois. »
3°Article 74 qui stipule en son alinéa 1 : « Le Président de la
République élu entre en fonction dans les dix jours qui suivent la
proclamation des résultats définitifs de l’élection présidentielle. »
4°Article 74 qui stipule en son alinéa 2 : « Avant son entrée en
fonction, le Président de la République prête, devant la Cour
Constitutionnelle, le serment ci – après »: ….
Cette prestation marque le début du mandat qui doit durer 5 ans.
Il découle de ces trois textes que le président Joseph Kabila ayant
prêté son serment constitutionnel le 20 décembre 2011, doit arrêter
ses fonctions le 20 décembre 2016. Et, pour que cela soit bien
précisé, le scrutin pour choisir son éventuel successeur doit être
convoqué le 20 septembre 2016. De façon que le scrutin convoqué 90
jours avant ait eu lieu et que les résultats définitifs aient pu être
proclamés au moins 10 jours avant l’expiration ou, au pire, 10 jours
après le 20 décembre 2016.
Ces 10 jours visant essentiellement à éviter toute « brouille » ou
toute interprétation abusive de la légitimité, sinon de l’autorité du
partant et de l’entrant qui vient d’être proclamé « élu ».
Le problème :
Il s’avère impossible de respecter les délais définis selon la Constitution.
Pour l’Opposition, les retards et les difficultés relèvent d’une
volonté délibérée de refuser l’alternance de 2016 et de proroger le
mandat du président Joseph Kabila. Pour la Majorité kabiliste, les
difficultés relèvent d’obstacles indépendants de toute volonté
politique.
Quelles que soient les raisons, le résultat tangible est là : la
Constitution actuelle ne convient plus à la Majorité présidentielle.
Sur ce point, Etienne Tshisekedi ne pouvait qu’appuyer le président
Joseph Kabila : il faut en effet se rappeler que Tshisekedi avait
appelé au boycott lors du referendum constitutionnel de 2005 !
Paradoxe bien congolais où celui qui a donné la démocratie semble la
remettre en cause, aidé par celui-là même qui a été son principal
adversaire et contestataire aux élections de 2011.
D’où trois ordres de question :
1° La Constitution actuelle pourra t- elle survivre à la crise en perspective ?
2° Que va faire le président Joseph Kabila pour se maintenir malgré tout ?
3° Que pourrait faire l’Opposition pour assurer l’exercice de l’alternance ?
Chacun des acteurs interpellés et engagés dans ce problème a ses
réponses. Et ces réponses ouvrent des clivages autour desquels se
cristallisent deux camps : d’un côté, le Président de la République et
sa Majorité présidentielleet, de l’autre côté,l’Opposition, à peine
divisée elle-même entre une Opposition « radicale » et une Opposition
« modérée ».
II. L’ALTERNANCE.
L’alternance, définie comme moment de compétition électorale
organisée et prévue en 2016 est remise en question.
La CENI a publié un calendrier global le 12 février 2015. Elle a situé
l’élection présidentielle le 28 novembre 2016.
Le calendrier a été présenté accompagné d’une vingtaine de
contraintes qui devaient être levées au préalable.
Ce calendrier global a été abandonné, toutes les conditions n’ayant
pas été réalisées. Mais le doute se dissipe un peu plus chaque jour,
et tout semble indiquer que le président Joseph Kabila refuse
l’alternance prévue en 2016. Il veut la reculer à plus tard par souci
d’efficacité ou de paix? Il veut obtenir une prolongation de son
mandat, ce qui s’appelle « le glissement », par simple goût du pouvoir
? Ou par conviction que le temps de la démocratie congolaise n’est pas
encore venu ?
Aucun discours ni de son parti ni de ses partisans ne permet de
savoir si ces questions sont pertinentes ou si les hypothèses que ces
questions présentent renferment les bonnes explications.
Ce glissement, appuyé sur l’impossibilité de réaliser l’élection
présidentielle dans le délai constitutionnel, a été revendiqué au nom
de l’alinéa 2 de l’article 70 qui stipule : « A la fin de son mandat,
le Président de la République reste en fonction jusqu’à l’installation
effective du nouveau Président ». Un alinéa qui a suscité des
controverses telles que deux centaines de députés de la Majorité ont
cru utile de saisir la Cour Constitutionnelle.
Entretemps, soucieux de paix et de consensus, le Président de la
République a convoqué un dialogue, et autorisé des pourparlers avec
l’UDPS pour que ce parti adhère à ce projet de dialogue.
Le problème : absence de repères et situation de non loi
Pour le président Joseph Kabila et sa Majorité au pouvoir, les deux
démarches (la saisine et le Dialogue) visent à se donner les
instruments utiles pour légitimer le maintien au pouvoir et le renvoi
des élections au-delà de 2016. Contre cette perspective de Joseph
Kabila, l’Opposition est divisée et, signe d’anarchie en perspective,
elle affiche différentes positions. Ce qui laisse entrevoir plusieurs
options, à savoir :
1° soit le dialogue avec objectif de légitimer ou de pardonner le
non-respect des textes à travers un certain « pragmatisme politique
»;
2° soit l’élection présidentielle malgré tout, même avec des imperfections;
3° soit la révolte populaire et donc un départ précipité et la remise
à zéro totale. Toutes les Institutions pouvant être réputées
illégitimes, pour cause de dépassement de la durée de leurs mandats
respectifs, ou pour cause de l’application de l’article 64 (« Tout
Congolais a le devoir de faire échec à tout individu ou groupe
d’individus qui prend le pouvoir par la force ou qui l’exerce en
violation des dispositions de la présente Constitution..);
4° Soit on recourt aux articles 75 et 76 et c’est le président du
Sénat qui assume l’intérim du président de la République. Mr Léon
Kengo prendrait alors sa place;
5° Soit c’est un collège exécutif avec suspension de la Constitution;
6° Soit encore c’est un coup d’Etat avec changement total de la Constitution;
7° Soit aussi une tutelle transitoire de la Communauté internationale,
avec suspension de la Constitution et promesse garantie de mise en
place des règles et institutions démocratiques.
L’incertitude devant de si nombreuses options est de nature à
installer une situation de non-droit, de non-loi, et donc une
confusion qui ne pourra que renforcer le pouvoir de fait, détenu par
le président Joseph Kabila et ses partisans civils et militaires.
Par ailleurs, les nombreuses incertitudes hypothèquent évidemment le
Dialogue préconisé et soumettent sa tenue à diverses questions, dont
certaines constituent, dans le chef de leurs auteurs, des préalables
importants. Il s’agit notamment des questions suivantes
1. La question de la légitimité du facilitateur et, plus
singulièrement la récusation de Mr. Edem Kodjo qui devient ainsi
lui-même une difficulté plutôt qu’un facilitateur désigné pour
résoudre les difficultés. Etant entendu que le facilitateur éventuel
aura, dans tous les cas de figure, besoin de la double légitimité de
l’Opposition et de la Majorité présidentielle.
2. La question de la durée du dialogue:
a. La date limite du 19 septembre supposerait l’option du pragmatisme
et du consensus sur le non-respect de l’article 73 de la Constitution.
Autrement dit, il faut que le dialogue commence vite et se termine
avant le 19 septembre 2016 pour éviter une situation de non-loi.
Quitte à ouvrir une énième transition avec un nouvel ordre
institutionnel.
b. Le risque, à la date limite du 19 décembre 2016, supposerait qu’il
n’y aura eu ni élection ni consensus. Ce qui pourra ouvrir soit la
voie à la récusation pure et simple du Président Joseph Kabila, soit,
au contraire, l’occasion fort opportune de renforcer l’autorité de
l’Etat à l’avantage du président Joseph Kabila, ou ….à la faveur d’un
coup d’Etat fomenté par d’autres putschistes. …
Dans les deux cas, de nouvelles règles constitutionnelles s’imposeront.
3. La question de la composition
Dialogue représentatif, à format réduit ou de type forum large ? La
tendance est à l’inclusion. Ce qui amènera différentes catégories
sociales et politiques. Toutefois, cela dépendra de deux facteurs :
les moyens logistiques et l’option sur les termes de référence qui
pourraient être soit de tendance technocratique, en se limitant à la
seule question du calendrier électoral, soit de tendance politique et
globale, en prévoyant les questions institutionnelles et
programmatiques du pays.
4. La question des termes de référence
Nous pensons que le Dialogue sera nécessairement ouvert sur cette
question. Après évaluation des points de convergence et des points de
divergence retenus entre les protagonistes. Toutefois, on ne peut
oublier ni minimiser le fait que pour l’Opposition radicale, comme
pour la MP, le Dialogue n’est qu’une stratégie soit pour reporter au
plus loin possible l’élection présidentielle (position de la MP), soit
pour précipiter le plus rapidement possible le départ du président
Joseph Kabila (position de l’Opposition radicale).
5. La question du destinataire des résolutions du Dialogue
Cette question dépend tout naturellement de l’option qui va
prédominer, parmi les 7 énumérés. Seule l’option de l’Opposition
modérée, fondée sur la vacance et l’ordre institutionnel conséquent,
permettrait de rétablir les règles de la Constitution du 18 février
2006.
Mais si transition il y a, une des questions cruciales sera
certainement celle de la restructuration des Acteurs réputés neutres
(Cour constitutionnelle, CENI, CSAC,).
Dans le même ordre d’idées, les équipes gouvernementales, au niveau
national et provincial, devront être reconfigurées.
Les Organes délibérants, dont la nature et la vocation est de
constituer des cadres où collaborent toutes les tendances, devront
être recomposés de façon à équilibrer les forces politiques en
présence.
6. Les conditions pré-dialogue
Le préalable majeur est certainement la décrispation de l’espace
politique par l’annulation des doublons, par l’ouverture à tous des
médias publics et par la libération des prisonniers politiques. Mais
si l’option des deux principaux protagonistes, la MP et l’Opposition
radicale, suppose un anéantissement de fait de la Constitution, il va
de soi que le président Joseph Kabila aura intérêt à jouer la
stagnation et le pourrissement en vue de gagner l’avantage
stratégique d’une situation de non-loi.
III. LA REPRESENTATION PLURALISTE PARTISANE.
L’article 6 de la Constitution stipule en son alinéa 2 : « les partis
politiques concourent à l’expression du suffrage….. »
D’où l’importance de faire arrêter la pratique et l’exercice des doublons.
En tous les cas, il faut s’attendre à un phénomène de polarisation
intense en deux familles politiques : la Mouvance présidentielle et
l’Opposition. Même si nous pouvons utilement considérer qu’il existe
une Opposition radicale et une Opposition modérée et que, ici aussi,
l’intérêt stratégique de la MP consisterait à multiplier les actions
de fragilisation et d’émiettement de l’Opposition.
CONCLUSION
Il apparaît donc que les deux dates 19 septembre et 19 décembre 2016
ouvrent le pays à des périodes sans loi ni repère prévisible en ce qui
concerne la légitimité du président en exercice et celle de son
éventuel successeur. Au-delà du président de la République, c’est la
légitimité de toutes les Institutions démocratiques qui risquera
d’être remise en cause.
Le dialogue préconisé devant cette perspective peu rassurante risque
d’avoir deux issues paradoxales : permettre un glissement dans un
consensus contre la Constitution actuelle ou permettre un cadre
anticipé pour canaliser les tensions et la crise prévisibles devant
une récusation brutale du président Joseph Kabila. Ce qui aboutirait
aussi à l’anéantissement de la Constitution actuelle.
Cette conclusion signifie donc que l’Opposition est en train de se
battre au nom du respect de la Constitution, tout en étant prête à ne
pas la respecter ! C’est là le paradoxe et le germe d’une anarchie aux
conséquences imprévisibles.
En effet, la logique ou la suite des idées fondées sur le strict
respect de la Constitution impliquerait les quatre étapes suivantes:
1ère étape : L’option de l’empêchement définitif « pour toute autre
cause » qui frappe le mandat du président Joseph Kabila au-delà du 20
décembre 2016. Par invocation de l’article 70, alinéa 1 (5 ans de
durée) et en considérant que l’alinéa 2 ne modifie ni n’annule
l’alinéa 1erdu même article 70, sans oublier l’article 220
(interdiction de toucher au nombre de mandats successifs ni à la durée
du mandat) de sorte que le président Joseph Kabila n’a ni le droit de
se présenter au prochain scrutin présidentiel, ni le droit de rester à
son poste au-delà du 20 décembre.
2ème étape : L’option d’accuser le Président et le Premier ministre
de haute trahison. Par invocation de l’article 165 (violation
intentionnelle de la Constitution) par suite du refus d’appliquer
l’article 73. Cette violation est matérialisée par la non convocation
du scrutin présidentiel le 20 septembre 2016. L’intention pouvant être
démontrée notamment par les slogans « wumela », ou « Totondi nainu yo
te » allègrement chantés en présence des autorités elles-mêmes depuis
plus d’une année. Sans compter certaines déclarations des responsables
de la MP qui suggéraient soit une révision, soit un referendum, ou qui
affirmaient trop tôt l’impossibilité d’organiser l’élection
présidentielle dans les délais constitutionnels.
3ème étape : La déclaration de l’empêchement définitif par la Cour
Constitutionnelle, en application de l’article 76.
NB. Il est à remarquer que la procédure de la déclaration de la
vacance n’est pas la même que celle de la déclaration de l’empêchement
définitif.
La vacance de la présidence de la République est déclarée par la Cour
Constitutionnelle saisie par le gouvernement.
L’empêchement définitif est déclaré après « constat » par la Cour
Constitutionnelle. Celle-ci se saisit-elle d’office ? Ou qui est
habilité à la saisir ?
En considérant que le fait de rester au pouvoir après la date du 20
décembre constitue un « acte contraire à laConstitution », on peut
invoquer l’article 162, alinéa 2 qui stipule : « Toute personne peut
saisir la Cour Constitutionnelle pour inconstitutionnalité de tout
acte législatif ou règlementaire »
A la limite, les représentants de l’Opposition pourraient invoquer
l’article 5 et considérer que l’affaire concernant la souveraineté du
peuple, elle est en droit et en devoir de saisir la Cour
Constitutionnelle.
L’article5 stipule : « la souveraineté appartient au peuple…. »
Alinéa2 : « Aucune fraction du peuple ni aucun individu ne peut s’en
attribuer l’exercice. »Et l’article 74 impose, sous serment, certaines
conduites au chef de l’Etat qui est une Institution individuelle. Ce
qui, contrairement à l’article 101 qui rejette tout mandat impératif
concernant le député, signifie la nature impérative et limitée du
mandat électif conféré au Président de la République dans les délais
constitutionnels.
4ème étape :Une fois l’empêchement définitif reconnu et constaté par
la Cour Constitutionnelle, c’est le président du Sénat, Monsieur Léon
Kengo, qui assume l’intérim du président de la République, en
attendant,…..et en organisant les élections.
L’article 76 alinéa 2 est clair : « Le président de la République par
intérim veille à l’organisation de l’élection du nouveau Président de
la République dans les conditions et les délais prévus par la
Constitution ».
Les alinéas 3 et 4 du même article 76 précisent ce délai qui est de
60 jours au moins, et 90 jours au plus…susceptibles d’être prolongé à
120 jours « en cas de force majeure ».
LES STRATEGIES POSSIBLES DES DIFFERENTS ACTEURS
Les 4 étapes citées constitueraient donc la suite logique du strict
respect de la Constitution. Mais devant les différences significatives
sur les objectifs réels des uns et des autres, la question est celle
de savoir quelles sont les stratégies possibles que chacun des
différents acteurs pourrait développer.
A ce stade de notre réflexion, et en considérant les déclarations des
dignitaires de la MP, celles du président du Rassemblement, Etienne
Tshisekedi, ou celles du G7 présentées par Charles Mwando Simba, deux
stratégies apparaissent clairement : 1° celle du glissement, par le
biais du Dialogue, et 2° celle du chaos soit par le biais judiciaire
d’accusation de haute trahison, soit par le biais de l’invasion des
rues.
(Par C.KABUYA LUMUNA SANDO)