Tombe ou fosse commune : le dossier reste ouvert

Mardi 14 avril 2015 - 12:40

Très attendu depuis une semaine à la suite de la motion d’information du député Martin Fayulu et des questions orales avec débat du précité et de son collègue Toussaint Alongo au sujet de la fosse commune de Maluku, le Vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur, Evariste Boshab, s’est finalement présenté hier lundi 13 avril 2014 à l’Assemblée Nationale. Dans sa suite, il y avait le ministre de la Justice, Alexis Thambwa Mwamba, lui aussi directement concerné par le dossier. Après la brève introduction du président de la Chambre basse du Parlement, Aubin Minaku, qui a fait savoir que la plénière allait porter sur la « tombe commune » de Maluku et non sur la fosse commune, le patron de l’Intérieur est monté à la tribune.

D’entrée de jeu, Evariste Boshab a indiqué que le gouvernement était lié par le devoir de redevabilité, qui impliquait la transparence dans le traitement de la question de la « tombe commune » de Maluku. A son tour, il a tenu à faire un distinguo entre « tombe commune » et « fosse commune », soulignant au passage que celle-ci pouvait faire penser à un massacre et une inhumation conduite dans la précipitation et la clandestinité. Or, à l’en croire, le gouvernement congolais n’a rien à cacher.

C’est pour ce faire que dès la saisine du Parquet général de la République par le BCNUDH (Bureau Conjoint des Nations Unies pour les Droits de l’Homme), le 24 mars 2015, a-t-il rappelé, il s’est empressé de diligenter une enquête administrative, parallèlement à l’ouverture d’une enquête judiciaire.

Selon l’invité de l’Assemblée Nationale, 421 corps avaient été enterrés collectivement par les services de l’Hôtel de Ville de Kinshasa le 19 mars 2015 au cimetière Fula-fula de Maluku, dont 300 mort-nés et fœtus morts, 64 inconnus sans identités en dépit des recherches menées à cet effet, 23 abandonnés préalablement identifiés, 34 sans liens sociaux. C’était à la suite d’un rapport des services sociaux de la morgue centrale de l’Hôpital général de Référence de Kinshasa adressé à l’administration urbaine et faisant état des corps abandonnés et non réclamés par leurs familles éventuelles. A l’en croire, il s’agit d’opérations de routine qui interviennent au bout de 30 jours pour le cas de la morgue de cette formation médicale, dont la capacité d’accueil est de 310 corps. Quant aux petites morgues de la ville, dès qu’elles s’estiment débordées, elles transfèrent les corps abandonnés vers la morgue centrale de l’ex-Mama Yemo au bout de 15 jours.

Evariste Boshab a laissé entendre que cette inhumation collective s’est déroulée dans la dignité et le respect des normes, les listes des morts et les procès-verbaux du parquet près le tribunal de paix de Kinkole faisant foi.

178 corps en souffrance à l’HGRK

Le Vice-premier ministre chargé de l’Intérieur a révélé avoir conduit hier lundi une délégation composée des journalistes nationaux et internationaux à la morgue centrale de l’Hôpital général de Référence de Kinshasa où il a été constaté la présence de 178 corps abandonnés et destinés à un enterrement collectif dans un proche avenir. Il a déploré l’absence des membres de la Commission socio-culturelle de l’Assemblée nationale, pourtant invités pour la circonstance. Il a par ailleurs martelé qu’aucune des personnes tuées lors des événements du 19 au 21 janvier 2015 ne se trouvait parmi les morts enterrés collectivement à Maluku. Il a affirmé avec force que pareille allégation était sans fondement. Il a balayé d’un revers de la main la rumeur ayant fait état des personnes massacrées à Lubumbashi, signalant au passage que les listes des morts inhumains collectivement à Lubumbashi de 2014 à 2015 étaient disponibles. Profitant de la tribune du Palais du peuple, Evariste Boshab a informé les députés nationaux avoir instruit tous les gouverneurs de province de respecter la dignité des morts à l’occasion des enterrements collectifs.

Dépénaliser l’avortement

 Avant de clore son intervention, le Vice-premier ministre et ministre de l’Intérieur a déploré le caractère lacunaire de la législation congolaise en matière funéraire. A son avis, aussi bien les lois de l’époque coloniale que celles d’après l’indépendance sont muettes en ce qui concerne l’organisation des funérailles et l’industrie funéraire. Les textes en vigueur étant devenus obsolètes, son vœu est que le législateur puisse songer à les actualiser. L’incinération des corps serait, de son point de vue, un palliatif aux dépenses funéraires et un frein au phénomène d’abandon des morts.

Dans le même ordre d’idées, Evariste Boshab a suggéré la dépénalisation de l’avortement, afin d’éradiquer ou de limiter les cas d’avortements clandestins et de bébés abandonnés morts dans des caniveaux et ruisseaux.

1,5 millions d’Euros : une insulte pour la RDC

 

            Le ministre de la Justice, Alexis Thambwe Mwamba, s’est invité dans le dossier de la tombe commune de Maluku. C’était pour compléter le titulaire du portefeuille de l’Intérieur. Dans son intervention, il a confirmé avoir instruit le Procureur général de la République d’ouvrir une enquête sur l’affaire sou examen, avec la participation de l’Auditorat général et du Bureau conjoint des Nations Unies aux droits de l’homme. Il a indiqué que toutes les dispositions étaient prises pour faire éclater la vérité. Selon lui, le corps diplomatique accrédité à Kinshasa a été largement informé de l’évolution de ce dossier hier lundi 13 avril 2015.

Parlant de l’offre de 1,5 millions d’Euros proposée par un pays ami (NDLR : Belgique) comme contribution au financement de l’enquête, ce membre du gouvernement l’a qualifiée d’insulte pour la RDC, au regard des dizaines des millions de dollars mobilisés, sur fonds propres, pour les routes, le Parc agro-industriel de Bukanga-Lonzo, le processus électoral 2015-2016, etc. Ironique, il a relevé que cela représentait le fond de commerce de certaines mamans s.

            Revenant sur le dossier du jour, Thambwe Mwamba a annoncé qu’il organiserait deux points de presse hebdomadaires pour fixer la presse sur l’évolution de l’enquête judiciaire confiée au procureur du parquet de Kinkole, un des meilleurs magistrats instructeurs de la République. Si ce dernier marquait son accord pour l’exhumation des corps, cette opération pourrait se dérouler en plein jour, en présence des journalistes, des membres du corps diplomatiques, des parlementaires, etc.

Enfin, il a démenti la rumeur de la disparition du corps d’un prisonnier condamné dans le procès des assassins de feu le président Laurent Désiré Kabila. Le défunt, a-t-il signalé, a été enterré samedi par sa famille, après autopsie.

Les députés de l’Opposition toujours sceptiques

            Après les éclairages de ces deux membres du gouvernement, le débat s’est transformé en un face à face entre députés de la Majorité et de l’Opposition. Les premiers cités, notamment Boris Mbuku, Ramazani et Masela ont totalement adhéré à la thèse gouvernementale de l’inexistence de fosse commune et de l’enterrement, dans la dignité, des indigents et inconnus morts, en dépit de leur grand nombre. A l’unisson, ils ont accusé l’Opposition d’avoir voulu politiser un dossier des morts mais le coup n’a pas réussi. Ils ont demandé et obtenu, au finish, que le débat soit suspendu en attendant les conclusions de l’enquête judiciaire.

            Quant aux députés de l’Opposition, ils ont persisté à croire que la fosse commune de Maluku cachait bien de choses, compte tenu de l’absence des certificats de décès et d’inhumation des morts, de leurs identités, de leurs adresses, des causes de leurs décès et de la violation des lois relatives à l’inhumation. Le député Alongo a déploré la pratique d’enterrements collectifs, dans des fosses communes, des citoyens congolais en période de paix, comme si le pays était en guerre. Il a rappelé l’ordonnance de 1950 qui dispose tout Congolais doit être enterré dignement.

            Martin Fayulu a renchéri que les inhumations collectives et nocturnes procédaient de la volonté du gouvernement de cacher la vérité. Il estime qu’on ne peut pas faire confiance à un gouvernement qui n’a toujours pas rendu les corps de Fidèle Bazana et Armand Tungulu à leurs familles depuis 2010. Il faut, selon lui, une enquête internationale si l’on veut connaître la vérité sur le charnier de Maluku. Estimant qu’il a dépassé son temps de parole, Aubin Minaku a fait couper tout bonnement son micro.

            Samy Badibanga a fait remarquer que selon les ordonnances de 1909 et 1957, l’inhumation devrait se faire dans des fosses séparées et distantes d’au moins un mètre en milieu rural et de 30 centimètres en milieu urbain. Elle devrait être couverte d’un permis et certificat d’inhumation et le mort devrait être identifié. Redoutant le non respect de la législation, il a exigé l’exhumation pure et simple des morts de Maluku.

            Emery Okundji a condamné les enterrements collectifs de Maluku au mépris de la dignité des morts et tranché qu’on ne garde pas des mort-nés ni des fœtus dans des morgues.

 Les députés ce mardi à la morgue de l’ex-Mama Yemo

            Avant de clore le débat et la séance, Aubin Minaku a annoncé la visite de la morgue de l’Hôpital général de Référence de Kinshasa par une délégation des députés ce mardi 14 avril. Il a aussi signalé qu’aujourd’hui, le Vice-Premier ministre Evariste Boshab devrait être entendu au Sénat. Enfin, au stade actuel, il a invité tout le monde à attendre les conclusions de l’enquête judiciaire pour un nouveau débat de fond. Bref, le dossier reste ouvert.

 

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