SE PRONCANT SUR LE DIALOGUE ET LES ELECTIONS EN RDC ME TUNDA : "JE PLAIDE POUR UN DÉLAI CONSTITUTIONNEL ÉMANANT DU PEUPLE"

Mardi 1 mars 2016 - 09:17
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Vice-ministre honoraire des Affaires étrangères, Me Célestin Tunda Ya Kasende a suivi avec attention la récente tournée du Secrétaire général des Nations unies dans les Grands Lacs. Analyste politique et spécialiste de l’Afrique centrale, il commente le séjour de Ban Ki-moon dans la région, et particulièrement en République démocratique du Congo. A travers cette interview, ce fin connaisseur des Grands lacs met un accent particulier sur l’opportunité du Dialogue national inclusif et sur les échéances électorales en vue. Occasion aussi pour ce juriste rompu autant à la théorie qu’à la pratique du droit de lever l’équivoque sur la notion du délai constitutionnel que tout le monde, dans la classe politique, reprend en son compte sans nécessairement savoir de quoi il retourne.

Me Tunda, comment avez-vous perçu la récente visite de Ban Ki-moon en RDC ?
D’abord, c’est une marque de confiance vis-à-vis de nos institutions. Puisque le Secrétaire général des Nations unies ne peut pas se déplacer et aller facilement dans un pays où on n’accorde pas de considération aux autorités locales. En le recevant chez nous, nous pouvons donc nous réjouir que la ligne de conduite des autorités congolaises sur le plan politique est conforme aux standards de la Communauté internationale. Ensuite, Ban Ki-moon devait aborder des questions à caractère technique, puisqu’on l’attendait à la Conférence internationale sur les investissements dans le secteur privé pour la région des Grands Lacs, afin qu’il puisse apporter son expertise dans notre sous-région. Par ailleurs, du point de vue politique, il devait se rendre compte de l’évolution des activités de la Monusco et du processus politique en République démocratique du Congo. Ainsi, au niveau de la Majorité, nous avons un sentiment très positif par rapport au récent séjour du Secrétaire général de l’ONU dans notre pays.

D’après vous, l’appel au dialogue lancé par Ban Ki-moon était-il destiné à ramener dans le bateau les opposants hostiles à ce schéma ?
De mon point de vue, je suis convaincu que nos compatriotes de l’Opposition n’ont pas raison de se positionner à l’écart par rapport à la problématique du dialogue ! Ils insistaient beaucoup sur l’accompagnement du Dialogue national inclusif par la Communauté internationale, et particulièrement le président de l’UDPS, Etienne Tshisekedi. Or, Ban Ki-moon, c’est la voix la plus royale pour recommander aux Congolais ce qu’ils devaient faire. En restant loin du dialogue, ils donnent l’impression de ne pas être des leaders politiques pour diriger le peuple congolais. La politique étant un métier de risque, il faut s’assumer pour chercher des réponses aux attentes de la population. Or, si vous ne prenez pas de risque, vous ne saurez pas vous assumer. Vous ne pouvez donc pas diriger. Je crois donc que les amis de l’Opposition ne s’adonnent pas à un exercice véritablement politique...

Estimez-vous donc que le Secrétaire général de l’ONU est venu interpeller les consciences des opposants hostiles au Dialogue ?
Ban Ki-moon n’a pas pour rôle de tirer les oreilles de qui que ce soit. Mais, il a fait une interpellation conforme à la Charte des Nations-Unies, qui repose avant tout sur la résolution pacifique des conflits. Et en voulant éviter toute éventualité de crise dans la mise en œuvre du processus électoral, le Secrétaire général de l’ONU se devait de recommander formellement et officiellement le dialogue à toute la classe politique congolaise.

La Majorité n’a-t-elle pas été choquée lorsque Ban Ki-moon est revenu sur le respect du délai constitutionnel pour l’organisation des élections ?
A la Majorité, cela ne pouvait pas du tout nous choquer, étant donné que le Secrétaire général des Nations-Unies ne pouvait pas dire le contraire de ce qu’il avait déclaré. Mais, de notre côté, nous devrions bien comprendre ce que signifie réellement le délai constitutionnel. Dans le domaine du droit, les délais constitutionnels sont ceux qui couvrent les élections au moment où celles-ci sont organisées, du fait que les faits peuvent influencer le droit...

Que voulez-vous dire concrètement ?
En d’autres termes, cela veut dire que si les élections sont organisées en novembre 2016, ce sera cette date qu’il faudra considérer comme délai constitutionnel. Mais, si la classe politique décide que les élections auront lieu en juin 2016, ce nouveau délai, émanant de cette résolution basée sur le consensus de la population, sera celui que le peuple aura choisi comme étant constitutionnel. Il y a ici une date indicative. Mais, si les élections ne sont pas organisées ce jour-là pour plusieurs raisons, le nouveau délai choisi par le peuple sera considéré comme conforme à la Constitution.
N’est-ce pas trop philosophique cette réflexion, Me Tunda ?
Je vais tâcher d’être plus clair encore, en vous expliquant cette réflexion qui s’inscrit dans le cadre de la philosophie du droit. Les délais constitutionnels - je me répète - sont ceux qui couvrent les élections le jour où celles-ci sont organisées. Mais si, pour plusieurs raisons, notamment pour des raisons de force majeure, le peuple, par consensus, estime que les élections auront lieu à un autre moment, c’est le délai que le peuple aura choisi qui constitue le délai constitutionnel. Voilà pourquoi, à travers l’article 70 de la Constitution, le Législateur a prévu que le Président en exercice reste en fonction jusqu’à la désignation d’un autre président. C’est la vue visionnaire du Législateur. Et ce n’est pas pour rien ! C’est parce que le Législateur savait qu’il y avait des raisons impérieuses, profondes et incontournables qui pouvaient conduire au report des élections. Et en ce moment-là, il ne peut pas y avoir de vide juridique qui pourrait conduire à une vacance de pouvoir dans le pays...

Pouvez-vous être plus précis ?
Pour me faire comprendre, je vais illustrer ma réflexion par quelques exemples. Le premier est celui du Congo Brazzaville. Alors que la Constitution prévoyait que les élections devraient avoir lieu en juillet 2016, la classe politique a estimé, elle, que le scrutin devrait avoir lieu en mars 2016. Alors, quel est le véritable délai constitutionnel ? Deuxième exemple. Au Sénégal, le Président Macky Sall demande au peuple sénégalais de ramener le mandat présidentiel à cinq ans au lieu de sept. Après le referendum, quel sera le mandat du Président de la république au Sénégal ? Sept ans ou cinq ans ? Troisième exemple. Du fait de la guerre en Côte d’Ivoire, le président Gbagbo est resté en fonction pendant neuf ans au lieu de cinq ans. Quelles étaient les échéances électorales à ces moments là ? De neuf ans ou de cinq ans ? Voilà pourquoi j’ai voulu dire que les élections constituent une matière très sensible dans le monde entier et ne s’organisent pas de n’importe quelle manière.

Qu’est-ce que l’opinion peut retenir de cette cogitation, en définitive ?
En fait, le peuple qui est souverain et, dans le cas d’espèces, le peuple congolais, peut décider à quel moment les élections peuvent avoir lieu. En novembre 2016 ? Avant novembre 2016 ? Ou après novembre 2016 ? Puisque les cas de force majeure sont nombreux dans notre pays, en commençant par les guerres qui sévissaient à l’Est et qui avaient amenuisé les moyens financiers du pays pour la libération nationale. Ensuite, l’absence de la contribution internationale pour prendre en charge ces élections, ainsi que de nombreux autres préalables. Et donc, le Dialogue devient un recours indispensable pour que toutes les choses soient mises au clair dans l’intérêt de notre peuple et de notre pays.
Propos recueillis par Yves KALIKAT