RDC – Un eurobond de 1 milliard de dollars en 2016 : la fuite en avant?

Lundi 28 décembre 2015 - 17:08

Depuis le début des années 2000 nous, Congolais, avons travaillé d’arrache-pied pour faire baisser notre taux d’endettement de 80,1% du PIB en 1999 à moins de 15% du PIB actuellement.
Ce progrès a notamment été rendu possible par les réductions et effacements de dettes obtenus à la suite de l’accession de la République démocratique du Congo (RDC) au point d’achèvement de l’Initiative en faveur des Pays Pauvres Très Endettés (Initiative PPTE) en 2010.
Se conformer à des standards de gestion financière internationaux
Les nouvelles marges d’endettement ouvertes doivent être gérées de façon stratégique. Il est en effet essentiel que, désormais, tout nouvel emprunt souverain d’envergure réponde à des objectifs de développement bien pensés et connus de la majorité des Congolais, se conforme à des standards de gestion financière internationaux, et (bien entendu) ne remette pas en cause la viabilité à moyen et long termes de la dette publique nationale.
Si elle fait fi des orientations ci-dessus, la RDC risque de retomber dans les errements du passé et de se surendetter de nouveau sans changer les fondamentaux de son économie. En tant que nation, nous ne pouvons nous permettre de rééditer ce sombre exploit.
Pourtant, c’est apparemment le chemin que les autorités veulent nous faire prendre en 2016. En effet, dans sa livraison en ligne du 21 décembre 2015 le magazine Jeune Afrique fait état de l’intention du gouvernement congolais de lever 1 milliard de dollars sur les marchés financiers internationaux en 2016 pour «financer des investissements dans les infrastructures».
Souscrit à 100%, ce montant ajouterait 2,3 points de pourcentage du PIB à l’endettement du pays, l’amenant à l’équivalent de 17% du PIB. Si ce denier ratio n’est pas particulièrement alarmant, l’opportunité de l’opération est loin de convaincre. Car le nouvel emprunt en préparation ne semble pas s’inscrire dans une stratégie d’endettement clairement articulée et ne parait pas bien prendre en compte les réalités économiques et budgétaires et les perspectives politiques de l’heure pour la RDC.
En premier lieu, l’initiative est hasardeuse si elle est examinée au regard de la mauvaise performance du pays en matière de mobilisation des recettes intérieures. En effet, à seulement 14% du PIB projeté pour 2016, le taux de mobilisation des recettes publiques est très faible en RDC et reste largement en dessous de la moyenne de l’Afrique sub-saharienne.
Conséquence de la grande faiblesse de nos administrations fiscale et douanière et de la corruption omniprésente dans ces services, ce faible taux de ponction fiscale impose l’obligation de maintenir les dépenses gouvernementales à des niveaux exceptionnellement bas pour préserver la stabilité du cadre macroéconomique.
Ce qui témoigne de la précarité de la situation budgétaire du pays et nous rappelle la vulnérabilité potentielle de la situation monétaire face à des développements négatifs inattendus, y compris, par exemple, une accentuation de l’effondrement des prix de nos produits d’exportation et la chute brutale des recettes budgétaires qui en résulterait, forçant éventuellement le gouvernement à relancer la diabolique planche à billets de triste mémoire.

Secundo, l’opération proposée prend-t-elle suffisamment en compte les risques liés aux taux d’intérêt et de change?
En effet, si des pays aux bien meilleures perspectives économiques et présentant moins de risques que la RDC - comme l'Angola, le Ghana et le Mozambique - ont récemment payé des coupons élevés (atteignant presque 11% dans le cas du Ghana), l’émission de l’obligation de la RDC en 2016 devrait vraisemblablement se réaliser à des taux beaucoup plus hauts, potentiellement approchant les 15%.
Dans cette dernière hypothèse, l’emprunt non concessionnel envisagé doublerait rapidement le service de la dette de son équivalent actuel de 4% des recettes publiques et 2% des recettes d’exportation.
Dans le contexte particulièrement contraignant du budget congolais où les modestes salaires payés absorbent déjà  près de 40% des recettes publiques, une telle envolée du service de la dette renforcerait la précarité de la situation macro-budgétaire du pays, tout en réduisant ses possibilités de financement soutenable des secteurs sociaux et du processus électoral pourtant politiquement vital pour l’avenir du pays.
Et cela, dans un contexte de bas niveau des réserves de change qui ne représentent aujourd’hui que moins de deux mois des importations, un indicateur qui témoigne de la fragilité de la position extérieure de l’économie.
Tertio, en s’engageant  dans cette grande opération d’endettement à hauts risques sans donner les détails des affectations qu’il compte en faire, le gouvernement de Kinshasa dont le mandat arrive à terme à la fin du règne du Président Joseph Kabila, le 19 décembre 2016, étale une nouvelle fois son mépris pour un peuple qui est pourtant le souverain primaire de la République.
La corruption fait perdre des milliards USD annuellement
L’opération soulève d’autant plus d’appréhensions que le sombre bilan du régime en matière de corruption et d’abus dans la gestion de la chose publique est connu de tous. Ce qui suscite des doutes légitimes quant à la capacité et même la volonté du gouvernement en place de faire bon usage du fruit de cet emprunt.
En effet, nous avons encore frais en mémoire le détournement de dizaine de millions de dollars de salaires des fonctionnaires mis en lumière par le Ministre du Budget au mois d’octobre dernier et dont les coupables restent à ce jour inconnus. Plus récemment, une mission d’enquête parlementaire a établi la dilapidation de 140 millions de dollars au Fonds de Promotion de l’Industrie (FPI) sous forme de «crédits impayés» consentis à divers caciques du régime.
Ces deux et multiples autres affaires similaires s’ajoutent aux impitoyables saignées du secteur minier où les pertes de recettes publiques dues à la corruption et au laisser-aller généralisé sont évaluées à plusieurs milliards de dollars annuellement pendant les dernières années.
Une équipe dirigeante, qui s’accommode de crimes économiques aussi graves, peut-elle utiliser en bon père de famille le produit de l’emprunt envisagé de 1 milliard de dollars? J’en doute fort !
Les nombreuses questions soulevées ci-dessus appellent la grande prudence dans la gestion de ce dossier d’endettement suspect. Ces zones d’ombre doivent être élucidées à la satisfaction des citoyens de ce pays avant la finalisation éventuelle de cette opération de la onzième heure.
Rembourser une dette aux contours flous
Le parlement national ayant apparemment abdiqué et abandonné ses prérogatives de contrôle de l’action de l’Exécutif, le réexamen et l’autorisation ultime de ce prêt pourraient être confiés à une commission ad hoc d’experts, sous la sage présidence de Son Eminence le Cardinal.
La RDC ne peut, en effet, accepter que ses prochains gouvernements démocratiquement élus soient forcés de rembourser une dette aux contours flous et contractée par un pouvoir aux motivations douteuses. Le peuple congolais a l’obligation collective d’empêcher pareille forfaiture. A tout prix.
En attendant, je lui présente mes vœux sincères de bonheur et de prospérité pour 2016, année de combat et de la reconquête de l’honneur national perdu.

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