Le Prof André Mbata revient à la charge : Constitution, ce que Mme Zuma a réellement dit

Lundi 13 octobre 2014 - 10:12

Le mardi 7 octobre 2014, profitant de sa présence à Paris dans le cadre du 14ème Forum économique international sur l’Afrique, Mme NkosazanaDlamini-Zuma, Présidente de la Commission de l’Union africaine, a donné une interview à notre confrère Christophe Boisbouvier de RFI. Au cours de cette interview, elle a évoqué la question de limitation constitutionnelle des mandats présidentiels qui fait actuellement débat dans plusieurs pays africains où les présidents entrés dans leurs seconds et derniers mandats sont tentés de tripatouiller les constitutions pour se maintenir au pouvoir. André MbataMangu, Professeur ordinaire à la Faculté de Droit de l’Université de Kinshasa, Professeur invité à l’Université Paris Sud en France, Professeur de recherche au sein du Collège de Droit à l’Université d’Afrique du Sud, et membre du Réseau des constitutionnalistes africains, a suivi attentivement cette interview depuis Paris où il se trouve.

Dans un entretien avec Dom, André Mbata fait l’exégèse des propos de Mme Zuma et en tire des conclusions fondamentalement opposées à celles qui circulent  dans la capitale congolaise.

Pour le constitutionnaliste, » les personnes qui pensent que les propos de Mme Zuma leur apportent des « arguments massue » pouvant permettre la consommation par le peuple congolais d’une certaine propagande visant le déverrouillage de l’article 220 se trompent. Si l’article 220 interdit notamment au Président de la République d’exercer plus de deux mandats, c’est après tout parce qu’il y a une vie après la présidence, une vie à laquelle se préparent calmement les présidents Boni Yayi, JakayaKiwete, Armando Guebuza, et Hifikepunye Luca Pohamba. Au Bénin, en Tanzanie, au Mozambique, et en Namibie qui sont aussi des pays africains comme la RDC, la simple idée de révision encore moins celle de référendum constitutionnel pour se cramponner au pouvoir n’est jamais entrée dans la tête du Président de la République. Elle n’a jamais hanté le parti au pouvoir, le plus bizarre de ses « intellectuels » ou le plus inculte de ses militants. Pas de pétition, pas de journalistes, d’intellectuels, d’évangélistes, de religieux ou de prophètes du « ventre ». Et pourtant, nous sommes aussi en Afrique et avons à faire à des Africains et même des Noirs comme nous ».

Le Phare : Mais, Mme Zuma n’a-t-elle pas déclaré que les peuples africains étaient libres de changer leurs constitutions et d’accorder 20, 30 ou 50 ans s’il le faut à leurs présidents comme cela se fait du reste ailleurs?

AMB : De quel ailleurs parlez-vous ? Puisque vous êtes congolais, ex-zaïrois, né comme moi au siècle dernier, vous pouvez très facilement vous souvenir des danseurs et animateurs du MPR, l’ancien parti unique, qui se retrouvaient à tous les niveaux, y compris la Voix du Zaïre placée alors sous les bottes d’un certain Commissaire d’Etat (Ministre) à l’Orientation Nationale, Citoyen SakombiInongo, dont l’éloquence n’avait pas de pareil et qui nous présentait le Maréchal Mobutu comme un ange, un envoyé de Dieu, un homme choisi par lui pour régner et que l’on devait même adorer. Tous les lieux fréquentés par lui, donc aussi les toilettes et les bars, devaient être considérés comme de hauts lieux de méditation ! Même le plus creux de ses discours était salué par ses flatteurs comme un « discours historique ». Vous avez certainement entendu et même chanté le « djalelo », l’hymne au Maréchal et le slogan « 100 ans tomotombele » (nous devons lui donner 100 ans au pouvoir pour achever la Révolution et faire du Zaïre le 1er , 2e ou 3e parmi les pays les plus développés (on dirait « modernes »aujourd’hui) du monde. Vous vous souviendrez aussi des personnes qui s’agenouillaient devant le Maréchal et l’appelaient « Papa » alors qu’ils étaient de loin plus âgés que lui ou encore des universitaires qui le considéraient comme un génie. Vous devriez vous souvenir également des personnes comme NdjokoEyo Baba, Gouverneur de Province, qui pouvaient porter une petite culotte ou un pagne en public et danser pour le Maréchal jusqu’à se jeter à ses pieds. Par ailleurs, je vous signale que même lorsqu’il prétend les adorer quand ils sont au pouvoir, le peuple ne pleure jamais ses « dieux ». Le temps des pleurs ne dure que l’espace d’un soir. Le matin suivant, il acclame le nouveau « Moise » qui prétendra à son tour le conduire vers la terre promise. Le « leader bien-aimé » d’hier devient un diable, un dictateur, un tyran. « Né de nouveau » ( ?), devenu miraculeusement « pasteur » ou « Frère» quelques jours seulement après la chute de son idole, celui qui criait sur tous les toits de la « Voix du Zaïre » n’allait pas tarder pour « témoigner » que Mobutu n’était qu’un démon qui buvait même du sang humain ! Ainsi va la vie.

Le Phare : Prof, mais tout cela c’est de l’histoire ?

AMB : Je m’y attendais, mais il n’y a pas de peuple sans histoire. Tout peuple doit se préoccuper de son histoire passée, immédiate, et de son devenir. S’il n’a aucune emprise sur son passé, il doit cependant se préoccuper de son présent pour s’assurer de laisser une  bonne image à la postérité, ce que les anglais appellent « legacy » ou héritage. J’aime la sagesse de la fable de Jean de la Fontaine, « le Corbeau et le Renard ». Cette fable devrait apprendre aux dirigeants une vérité connue depuis l’aube des temps : il faut se méfier des flatteurs car « tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute ». L’exemple de Mobutu prouve qu’aucun de ceux qui chantaient ses louanges ne l’a suivi dans sa chute et certains perroquets d’hier continuent de pérorer aujourd’hui. L’unique qualificatif qu’ils utilisent pour le désigner est celui de « dictateur » et ils ont tout oublié de ce qu’ils avaient reçu de celui qui avait même « fabriqué » la plupart d’entre-eux. S’il est aussi un enseignement que j’aimais bien dispenser à la Faculté de Droit de l’Université de Kinshasa, avant même le cours d’Education à la citoyenneté ou celui de Droit constitutionnel congolais, c’est l’histoire des idées et faits socio-politiques. Lorsque nous étudions l’histoire de grands hommes, des empires ou des royaumes comme ceux du Kongo, Mali, Ghana, Monomotapa ou de France, cette histoire a toujours été constituée de quatre grands moments qui sont irréversibles: la naissance, l’avènement au trône, l’apogée et la décadence. L’histoire devrait être l’un de nos grands éducateurs qui nous aiderait à forger l’avenir en évitant les erreurs du passé. Enfin, il y a des gens qui confondent le peuple avec leurs propres ventres. Il n’y a aucun peuple africain qui accepterait aujourd’hui de revivre l’aventure et l’histoire malheureuse des partis uniques avec des mandats à vie pour les dirigeants ou des présidences monarchiques.

Le Phare : Revenons à l’interview de Mme Zuma, vous maintenez donc que ses propos ont été mal interprétés ?

AMB : Tout à fait. Suivez la réponse de Mme Zuma à la première question de Christophe Boisbouvier qui lui demandait si elle était d’accord avec Barack Obama sur le fait que les présidents africains devaient respecter les limites constitutionnelles de leurs mandats. Elle ne le contredit pas tout comme elle ne nous contredit pas non plus lorsqu’elle déclare que les constitutions sont conçues par les peuples et elles sont là pour être respectées. On ne peut tirer aucun argument d’une telle affirmation pour justifier les tentatives de monarchisation du pouvoir présidentiel au Burkina Faso, au Burundi, au Congo-Brazzaville, au Rwanda ou en RDC !

Le Phare : Mais en Allemagne, qui est un Etat démocratique auquel Mme Zuma s’est référée, la Constitution ne fixe aucune limitation au nombre de mandats du Chancelier ?

AMB : Dans notre pays, le peuple a décidé entre autres choses que le suffrage universel, le nombre et la durée des mandats présidentiels ne peuvent faire l’objet d’aucune révision constitutionnelle. Les Allemands l’ont fait pour la forme fédérale de l’Etat. Ainsi que je l’ai dit à plusieurs reprises, les matières verrouillées ne peuvent faire l’objet d’aucune révision constitutionnelle comme le stipule l’Article 220 de la Constitution. Même un référendum pour les déverrouiller serait inconstitutionnel. Le référendum constitutionnel à l’Article 218 est prévu sous le titre consacré à la révision constitutionnelle. Il n’est donc possible que sur les matières qui sont elles-mêmes susceptibles de révision constitutionnelle et non celles qui en sont formellement exclues comme celles énumérées expressément à l’article 220 ou implicitement dans plusieurs autres dispositions constitutionnelles.

Comme je l’ai dit dans ma précédente interview à votre journal, tenter de les déverrouiller par une révision constitutionnelle ou un référendum serait un renversement de régime constitutionnel et constituerait pour les auteurs et leurs complices un acte de haute trahison, une infraction imprescriptible contre la Nation et l’Etat.

Le Phare : Toute comparaison est-elle raison ? Prof, veuillez revenir à l’analogie faite entre la limitation constitutionnelle des mandats présidentiels en Afrique et le défaut de limitation des mandats du Chancelier en Allemagne ou du Premier Ministre en Grande Bretagne ou en Belgique ?

AMB : Mais pourquoi ne se réfère-t-on pas au régime politique des Etats-Unis et surtout à celui de la France qui a le plus inspiré nos pays et où le nombre de mandats présidentiels est également limité? Comment peut-on prendre des vessies pour des lanternes, comparer des lièvres aux singes ou mettre ensemble les chauves-souris et les cochons et s’attendre à ce qu’ils pondent des œufs? Des connaissances élémentaires de droit constitutionnel et de science politique auraient permis de comprendre que le Chancelier allemand, le Premier ministre britannique, belge, japonais, indien, australien ou encore le Président du conseil italien dont le nombre de mandats n’est pas limité n’est pas à confondre avec le Président de la République. Aussi, les régimes politiques allemand, britannique, belge, japonais, indien, australien et italien, qui sont parlementaires, sont bien différents de ceux de nos pays qui sont généralement présidentialistes en dépit de ce qui peut être prévu par nos constitutions. Le Chancelier est le titre donné au Premier Ministre en Allemagne. En Italie, le Premier ministre est appelé le « Président du Conseil ». En Afrique comme ailleurs, le nombre de mandats du Premier Ministre n’est pas limité. C’est aussi le cas du nombre de mandats des Députés nationaux et Sénateurs. Qu’on cesse donc de prendre les Congolais pour des enfants ou des ignares. En Allemagne, il existe un Président de la République qui est différent du Chancelier ou de la Chancelière. On ne peut comparer que ce qui est comparable. Le Premier ministre ou le Chancelier, Chef du gouvernement, n’est pas comparable au Président de la République, chef de l’Etat et institution suprême du pays, dont le nombre de mandats peut être défini selon la volonté populaire exprimée dans la Constitution comme c’est le cas en RDC et dans plusieurs autres pays.

La Phare : L’exégèse que vous faites des propos de Mme Zuma est-elle la bonne ? Mme Zuma n’a-t-elle pas subtilement milité en faveur du déverrouillage du nombre des mandats présidentiels dans les pays africains comme la RDC ?

AMB: Il n’est jamais trop tard pour apprendre surtout que les vrais constitutionalistes sont encore disponibles, même s’ils sont rares. Parlant des élections cette année, Mme Zuma a dit : « le Président du Malawi a déjà changé, celui d’Afrique du Sud a été réélu, mais c’est son dernier mandat et il ne pourra pas se représenter. Au Mozambique, le président arrive au bout de son mandat et les gens vont élire quelqu’un d’autre. En Namibie, c’est pareil ». Pourquoi alors le président ne changerait pas en RDC, au Burkina Faso, au Congo- Brazzaville, au Burundi, ou Rwanda comme voulu par les Constitutions de ces pays ? Serions-nous des Africains de seconde zone ou arriérés politiquement par rapport à ceux qui changent leurs présidents ou obligent ces derniers à se conformer à la Constitution ?

Parlant du passé et de la stabilité en Afrique, pourquoi en Afrique du Sud, qui est sortie de 50 ans d’apartheid, le président réélu qui est l’ancien mari de Mme Zuma ne devrait-il pas se représenter à la fin de son second mandat alors que chez-nous, on  rechercherait un mandat illimité pour le Président? Il ne faut pas être un « as » de la politique pour comprendre que Mme Zuma a voulu dire que « là où la Constitution a limité le nombre de mandats présidentiels comme au Bénin, au Burundi, au Burkina-Faso, au Congo-Brazzaville, au Malawi, au Mozambique, en Namibie, au Rwanda, en Tanzanie, en Zambie, en RDC, notre pays ou en Afrique du Sud, son propre pays, la Constitution doit être respectée ».

Le Phare : Mais, le cas de l’Angola ?

AMB : En Angola, c’est la Constitution elle-même qui n’a pas limité le nombre des mandats présidentiels alors que la nôtre l’a verrouillé. Le Président angolais n’est pas directement élu par le peuple. La personne qui figure la première sur la liste du parti ou de la coalition qui a remporté la victoire lors des élections générales est automatiquement élue Président de la République. Ainsi, Mme Zuma a prôné le respect de la Constitution parce que même les Angolais respectent la Constitution qu’ils se sont librement donnée. Pour le reste, je préfère m’arrêter là car les détails supplémentaires de Mme Zuma concernant l’Angola me semblent déplacés.

Le Phare : Le mot de la fin, Professeur ?

AMB : Quelle que soit la longueur de la nuit, le jour finit par se lever et il se lèvera sûrement demain sur ce pays et sur l’Afrique. Faisons simplement le bon choix de respecter l’esprit et la lettre de la Constitution et de protéger notre Nation comme le Président de la République s’y était engagé lors de son serment et comme la CENCO, l’Opposition politique, la société civile et certains acteurs bien-pensants de la MP ne cessent de le conseiller aux farcins du régime.

Propos recueillis par DOM

 

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