Ce député de la majorité présidentielle dénonce les manoeuvres de son propre camp pour prolonger le mandat de Joseph Kabila en RDC au mépris de la constitution.
Paris Match. Vous êtes parmi les premiers disciples de Joseph Kabila, pourquoi l’avoir quitté après 15 ans auprès de lui ?
Francis Kalombo. Je n’ai pas quitté la personne. Je me suis opposé au système qui est en train de se mettre en place. Nous assistons à la reprise en main du pouvoir par les mêmes que la population a chassés en 1997 et qui ont pris les armes dans des mouvements rebelles. Ils installent aujourd'hui une dictature qu’aucun Congolais ne peut accepter après avoir vécu 32 ans sous le règne de Mobutu.
Le Président Kabila est-il, selon vous, sous l’influence de ces personnes ?
Oui parce qu’il ne fait rien pour les retenir. Il suit les traces de Mobutu. La répression a atteint un tel niveau aujourd’hui que toutes les personnes qui expriment une opinion qui n’est pas celle de la majorité présidentielle sont traquées. La traque s’étend même aux membres de leur propre famille. C’est le cas de Moïse Katumbi (ndlr: l’ancien gouverneur du Katanga fait figure de leader de l’opposition). On a découvert il y a quelques jours qu’un individu espionnait ses enfants. On ne compte plus le nombre de prisonniers politiques au Congo. De nombreux organisateurs de la journée ville morte du 16 février ont été emprisonnés, de même que Christopher le président de la société civile. Plusieurs chaines de télévisions et radios privées qui ont osé recevoir des opposants ont été fermées.
Comment ces «Mobutistes» sont-ils parvenus à s’immiscer dans l’intimité de Joseph Kabila ?
Après la chute de Mobutu, une guerre a éclaté le 2 août 1998. Elle a duré cinq ans et fait plusieurs millions de victimes. Un accord a été signé à Sun City en 2003 mettant fin au conflit. Elle a donné lieu à une réconciliation nationale. Les mobutistes qui avaient rejoint des mouvements rebelles ou créé des partis d’opposition à l’étranger sont revenus au pays. Joseph Kabila s'est allié avec les mobutistes pour être réélu président de RDC en 2006. Ils étaient encore faibles à l'époque. Ils ont commencé à prendre de l’importance au début de son deuxième mandat en 2011. Tout responsable politique attaché au respect de la constitution et des droits de la république s’est alors vu écarté du pouvoir au profit de ces anciens mobustistes et ex-rebelles. Après avoir écrit trois lettres au président de la République pour tirer la sonnette d’alarme, des ministres, des chefs de partis et des parlementaires ont été chassés de la majorité. Sept partis l’ont quittée pour former le mouvement G7 qui peine à vivre aujourd’hui.
"LES CONGOLAIS SONT TRÈS ATTACHÉS À LEUR CONSTITUTION"
Les Congolais ont-ils conscience du retour en force des Mobutistes ?
Oui bien sûr et c’est pour cela qu’ils résistent. Le peuple ne se laissera pas faire. Comme disait l’ancien président américain Hamilton, «il peut arriver à un peuple de réélire les mêmes personnes qu’il a chassées autrefois du pouvoir, mais si ces personnes font la même chose que ce pourquoi ils ont été chassés cette fois-là ils seront pendus.»
Outre les Mobutistes, qui sont aujourd’hui les alliés de Kabila ?
Des hommes politiques qui ont été vomis par la population et qui ont échoué aux élections. Kabila les impose comme ministres, commissaires spéciaux, ou candidats aux postes de gouverneurs.
Peut-il ainsi espérer rester plus de trente ans au pouvoir, comme Mobutu ?
Je ne pense pas. D’abord Joseph Kabila n’est pas arrivé au pouvoir comme Mobutu. Il a été élu président de la République démocratique du Congo réunifiée grâce à la communauté internationale. Des moyens financiers et humains colossaux ont été déployés pour mettre fin au conflit. Dix-sept mille casques bleus ont été envoyés et aujourd’hui encore, il en reste 15.000 sur le territoire. La mission de maintien de paix au Congo est encore la plus grand opération de l'Onu. Il est en quelques sortes redevable à la communauté internationale. Enfin, au terme de la négociation de Sun City qui a réunifié le pays, la RDC s’est vue doté d’un instrument fruit d’un large consensus: sa constitution. Elle a été adoptée par Referendum avec 85% de «oui». Aujourd’hui, les Congolais sont très attachés au respect de cette constitution, fruit de nombreux sacrifices.
"LE MANDAT DE KABILA SE TERMINE LE 19 DÉCEMBRE"
Est-ce la raison pour laquelle Kabila n’ose pas encore y toucher ?
La majorité présidentielle a tenté de le faire, mais ils n’y sont pas parvenus. La population y est farouchement opposée.
Vous êtes juristes de formation, ce texte constitutionnel lui autorise-t-il d’une manière ou d’une autre à prolonger son mandat ?
Non, d’aucune manière. Le but recherché par les constituants originaires est l’alternance démocratique et le refus total des présidents à vie. Si l’on s’en tient au texte, le mandat de Joseph Kabila se termine le 19 décembre 2016 à minuit. Il sera dès lors dans l’incapacité définitive d’exercer sa fonction présidentielle. L’article 75 de la constitution prévoit alors, en cas de vacance de pouvoir, qu’il revient au président du Sénat de prendre la tête du pays avec une seule mission: l’organisation les élections dans les trois mois qui suivent. Certains membres de la majorité présidentielle évoquent l’article 70 pour essayer de faire croire à l’opinion que Joseph Kabila peut rester au-delà du 19 décembre 2016. Car selon le deuxième paragraphe de cet article, le Président doit rester en fonction jusqu’à l’entrée effective du nouveau président élu. C’est vrai mais ils oublient de mentionner que cet article ne peut être opposable que si un nouveau Président a été élu conformément aux articles 73 et 74 ! Le nouveau Président élu n’entre en fonction que dans les dix jours qui suivent la proclamation des résultats définitifs. C’est pendant cette période limitée à dix jours que le Président reste aux commandes.
Si la Commission électorale nationale et indépendante ne peut organiser d’élections dans les délais, que prévoit le texte?
Il est impossible de dire: «puisqu’on ne peut organiser des élections, alors je reste». Au contraire. L’article 69 de la constitution fait du président de la République l’arbitre du bon fonctionnement des institutions. Si la Ceni est dans l’incapacité d’organiser des élections, c’est sa responsabilité à lui. Or, lorsqu’on interroge aujourd’hui la Ceni elle répond que c’est l’exécutif qui ne lui donne pas de moyens pour tenir ces élections dans les délais. En tant qu’arbitre et patron de l’exécutif, Joseph Kabila est donc doublement responsable. S’il en était autrement, ce serait trop simple. Une fois élu, un Président pourrait ne pas vouloir organiser des élections pour sa succession et rester en fonction à vie.
"IL DEVRAIT SUIVRE L'EXEMPLE DU PRÉSIDENT HAÏTIEN MICHEL MARTELLY"
Kabila, est-il prêt à entendre un tel discours ?
Ce n’est pas un discours, c’est ce que dit la constitution. Ceux qui rappellent aujourd’hui les principes de ce texte sont pointés du doigt. Ils subissent la répression comme certains membres de la majorité comme moi. En janvier 2015, je me suis exprimé contre la révision constitutionnelle et contre une des dispositions de la loi électorale qui prévoyait le recensement de la population avant les élections, un moyen de gagner du temps… Le gouvernement venait de présenter ce projet devant la représentation nationale. J’ai dit que c’était de la poudre aux yeux. La preuve, aucun recensement n’a eu lieu aujourd’hui.
Kabila serait-il prêt aujourd’hui à reconnaître sa responsabilité et à se démettre de ses fonctions si des élections n’étaient pas organisées dans les délais ?
Il en va dans son intérêt et celui du peuple congolais. S’il décidait de respecter la constitution il en sortirait grandi. Plutôt que d’écouter les conseils des Mobutistes, il devrait suivre l’exemple du Président haïtien. (ndlr: Michel Martelly a quitté le pouvoir en Haïti le 8 février parce qu’il ne pouvait organiser les élections dans les temps.) Il pourrait aussi s’inspirer de Boni Yahi au Bénin qui après avoir échoué par un vote au Parlement à modifier sa constitution a accepté de se désister et d’organiser des élections. Kabila n’a même pas essayé de voter une modification de la constitution parce qu’il sait qu’il ne peut le faire.